L’émergence d’une alternance politique à Maurice s’obstine à vouloir passer par la case Facebook, alimenté de “likes”.
Contrairement à l’enthousiasme populaire autour du lancement du Ralliement Citoyen pour la Patrie, je ne suis pas emballé. J’entends déjà les « ban zournalis la nanyen zot pas trouv bon ». Je me propose d’expliquer ma position et partager mon scepticisme face à « l’émergence de ce nouveau parti politique à Maurice » (sic).
D’emblée, qu’on soit d’accord. Je suis pour l’émergence d’une nouvelle force politique. Je suis d’accord que la classe politicienne actuelle ne répond pas aux nouveaux besoins et aux attentes de la société civile active, celle qui recherche de gens capables – et surtout intègres – à qui elle va donner le mandat de décider à leur place selon notre formule de démocratie représentative.
Cela dit, tout comme je ne croyais pas qu’Azir Moris était la réponse à cette demande de la population (ici et ici), je ne crois pas que le Ralliement Citoyen pour la Patrie le soit non plus. Cependant, avant de poursuivre, le disclaimer :
Extrait – le seul – d’une conversation sur Facebook avec une des animatrices du RCP
Je ne pourrai partager avec vous toute la teneur des discussions que j’ai eues avec une des dirigeantes du parti. Par contre, je vais en profiter pour formuler schématiquement un des commentaires dont je lui ai fait part et qui résume mon sentiment global: « On ne fait pas du neuf avec du vieux. » Démonstration.
Première interrogation : qui sont-ils ?
Bien sûr, nous savons qui ils sont.
M. Parvèz A. C. Dookhy est Président; M. Yannick Cornet est vice-président ; M. Ahmed Doba est vice-président ; Mme Shabana Raman est secrétaire générale ; M. Philippe Choong Yang est conseiller pour les affaires économiques ; M. Rajeev Gunput est conseiller pour le développement et le commerce ; M. Raj Moothoosamy est conseiller pour les affaires sociales ; M. Jean Lélio Wong est conseiller pour les affaires étrangères ; Melle Priscilla Sambadoo est porte-parole du parti ; Melle Mélanie Moutou est trésorière.
Cette question est rhétorique. Car si certains – uniquement certains – des noms peuvent vous sembler familiers, c’est sûrement à travers quelques publications éparses que vous aurez aperçues dans la presse – avec les photos des auteurs en vignettes pour bien mettre un visage aux idées, notamment dans la rubrique forum. Cela n’est toutefois pas une « réalisation » digne que de se constituer en parti politique et de se réclamer une alternance politique. Ce n’est qu’une tentative d’éveiller la conscience sur certains thèmes au mieux, l’illustration de sa réflexion, au pire.
On commence par se faire voir… et on collectionne pour la postérité
Deuxième interrogation : sont-ils de « bons » politiciens ?
Il y a environ deux ans, j’essayais de débattre de la question « c’est quoi un bon politicien » sur cet espace à travers les propos de l’ancien député Sam Lauthan. Le Ralliement Citoyen pour la Patrie se propose justement de combattre cette idée du politicien, vue comme un anachronisme en déphasage avec les attentes d’une population informée. Si dans le fond, je n’ai aucune raison de douter de leur sincérité, dans la forme, c’est une autre histoire.
Certes, on n’est pas dans le même registre qu’avec les Krishna Athal. Comme je le formule dans le point plus haut, les Parvèz Dookhy, Shabana Raman et autres utilisent des articles de presse dans une tentative pour construire l’avatar sain du politicien, celui bâti sur les débats d’idées. Mais en voulant faire le politique, les membres du Ralliement Citoyen pour la Patrie sombrent dans la politique.
Car une fois les premières couches de la stratosphère de la rhétorique passées, on sombre dans la politique-glamour, la pipolisation. En d’autres mots, le culte de la personnalité. A peine commence-t-on à parler des maux qui rongent le pays que soudain, on bascule dans le « moi ». Et on se retrouve à parler plus de sa personne que de ses idées et de comment répondre aux aspirations de cette tranche de la population qui réclament plus que la classe politique actuelle.
Extrait du portrait de Shabana Raman paru dans le magazine People
Troisième interrogation : « driven by the people » ou « driven for the people »
D’accord, je l’avoue. Mes critiques envers Azir Moris, et maintenant Ralliement Citoyen pour la Patrie, ont pour origine un fondement de romantisme. Dans l’idéal, l’émergence d’une troisième force politique à Maurice serait « driven by the people ». Ca serait une personne, ou un groupe, qui se distingue par une action quelconque : sociale, syndicale ou autre. J’appellerai ici cette personne ou ce groupe « l’activiste ». Une des conditions à ce stade devrait être que l’ambition politique ne dicte pas les actions l’activiste dès le départ. Le contraire, lui, mérite le qualificatif de roderboutiste.
Ainsi, l’activiste devrait être animé d’un sentiment de sincérité dans son action initiale. Pas de pipolisation, pas d’attitude politicienne. L’action de l’activiste aurait pour conséquence la fédération d’une partie de la population. Celle-ci poussera alors l’activiste dans l’arène politique. L’activiste devient alors politicien car la pression populaire le réclame parce qu’il incarne les aspirations dans lesquelles le peuple se retrouve. Ce n’est hélas là que le cheminement d’un scénario hollywoodien. Néanmoins, j’admets que j’en nourris mon romantisme.
De cet idéal, un juste milieu est tout de même possible. Malheureusement, avec les membres du Ralliement Citoyen pour la Patrie, on bascule à l’autre extrême. Contrairement à l’activiste, ils ne sont pas « driven by the people ». A la place, ils ont lancé leur parti comme on lance un produit commercial. La logique semble être la suivante : le sentiment général semble indiquer – du moins sur Facebook – qu’il y a une demande, les « likes » sont là ; on crée alors le produit ; on le place sur les rayons du commerce ; et on attend que les consommateurs se laissent tenter. En d’autres mots, « driven for the people ». On pense savoir ce que demande la population et on ose leur proposer une solution – qui reste encore à être définie.
Et dans cette logique, le Ralliement Citoyen pour la Patrie n’est en rien différent des autres mini-partis qui gravitent autour des partis majeurs de l’île. Ce n’est ici que du déjà-vu. En d’autres mots, on tente de faire du neuf avec du vieux. Pour ces raisons, je ne crois pas que le Ralliement Citoyen pour la Patrie sera une « troisième force politique », comme le présente – malheureusement – certains.