Je n'ai que très peu de disques de "free" jazz. Encore moins qui soient parus dans les années 80, période que je connais
mal et qui ne m'attire pas vraiment. L'habitude de la mélodie "identifiable" et de la pulsation "repérée" sont autant de points de constructions sur lesquels il est dur de revenir lorsque
l'oreille y est trop habituée. Si le jazz n'est déjà pas (plus) une musique populaire, le style "free", marginal et incompris, est quant à lui carrément ignoré, voire moqué.
Autant le dire tout de suite, si vous n'êtes pas porté sur le sujet, l'oeuvre de Archie Shepp ne sera
certainement pas la plus facile à aborder. Pourtant, s'agissant de cet album enregistré en duo en 1982 à l'occasion d'un concert en Allemagne réunissant le saxophoniste américain et le pianiste
néerlandais Jasper Van't Hof, dès les premières notes de clavier l'atmosphère se charge d'une magie poétique minimaliste si extrème qu'elle en devient doucement envahissante,
finement captivante, jusqu'à ce que vienne s'enlacer les couleurs impressionnistes du soprano plaintif de Shepp.
On y est, le cadre est planté et la symbiose selon moi parfaite, ou pour le moins suffisamment parlante pour qu'il ne
soit pas nécessaire d'habituer l'oreille du néophite d'une telle expérience émotionnelle. Bien sûr on ne passera pas le cap facilement si l'essentiel de ses connaissances tient dans le format
radiophonique ou télévisuel en cours. Il est clair que, si depuis toujours vous n'avez jamais fait l'effort de vous "distinguer" du format facile et pré-maché de la consommation globalisée, ce
disque ne pourra rien pour vous, et croyez bien que je le regrette. La belle musique c'est comme tout, ça se mérite, et celle-ci en est une qui compte beaucoup pour moi et qui je l'espère
comptera bientôt pour vous, auditeurs de passage ou amis fidèles. Mélodies et rythmes fragmentés, improvisation, dissonance, recherche du langage et de l'unité du son, partage et transfert; si
vous n'êtes pas là que par le fruit du hasard, c'est que peut-être certaines expériences sonores passées trouvées ici vous poussent à revenir. Aussi croyez-moi, celle-vi vaut vraiment la peine
d'être vécue.
Je me rappelle encore. Ce fut l'un de mes tout premiers disques de jazz, offert par un ami de passage chez mon père
lorsque j'étais minot et que je ne comprenais encore rien à cette musique. J'ai très vite jugé son idée de m'offrir un tel cadeau saugrenue et peu propice à me faire rêver. Quand bien même je
finirai par grandir, il me semblait de toute façon impossible de parvenir à y trouver quoi que ce soit de réjouissant. Tu m'étonnes, passer du premier NTM à "Mama Rose",
faut avouer qu'il y a un cap à franchir. Vers 15 ans et dans mon cas c'était même carrément insurmontable. "Patience m'avait-il dit. Un jour peut-être cette musique t'apparaitra-t-elle plus
évidente, mais pour l'heure je comprends que ce ne soit pas dans tes préoccupations premières que de t'attarder dessus. Continue de jouer et écoute beaucoup, le temps fera le reste": amicale
réponse du vieux sage face au jeune con.
20 ans se sont écoulés et je reconnais sans peine que cette musique m'est aujourd'hui indispensable, bienfaitrice dans
mon quotidien et je le sais, pour les années futures. Je ne pourrai plus faire sans, ou faire semblant que cela n'existe pas. Je ne joue plus vraiment mais j'écoute toujours beaucoup, et je suis
heureux de vous faire partager ce grand moment de fraternité écrit un jour de l'année 1982, quelque par sur Terre. Gloire au génie de l'Homme et à son audace.
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