Editeur : Albin Michel - Date de parution : Août 2012 - 454 pages grandioses et un coup de cœur !
Lors d'une longue nuit, un homme attend ses anciens frères
d'armes les Wafadars qui vont venir le tuer. Il s'est enfui de cette vallée de l'Inde où il
vivait dans une communauté. Une vallée coupée de tout, vivant en autarcie selon
des préceptes d'un gourou légendaire Aum, le pur des purs. Durant cette nuit,
il va raconter son histoire, la transcrire avec un souhait : les hommes
doivent entendre ce que j'ai à dire, y réfléchir et agir en conséquence.
Anka est un ancien Wafardar, un guerrier entraîné par des
années d'initiation et d’épreuves. Séparé à l'âge de trois ans de sa mère
pour être élevé par toutes les mères au sein de la Maternité. Ne pas laisser
place aux préférences et aux émotions, la non possession est un des
préceptes d'Aum. La vie sublime d'Aum nous enseignait, que
contrairement à l'histoire lamentable du monde, le soi inférieur pouvait être
entièrement vaincu à condition de s'atteler de bonne heure à la tâche et de ne
jamais abandonner. Chacun de nous avait résolu de ne jamais faillir à Aum.
Une communauté régie par des règles de d'égalité et où chacun porte le
même masque à l’effigie d'Aum pour bannir l’individualité. Les membres de la communauté sont immergés
dans un environnement contrôlé et hiérarchisé où la musique et le chant
sont interdits. Avant d’être sélectionné
pour devenir un Wafardar, Anka a connu le Berceau puis le Foyer, la Caserne
et le Sérail des Bonheurs fugitifs où les hommes s’adonnent au plaisir
avec de nombreuses femmes. Sans s'attacher à l'une d'entre
elles ou pire, développer des sentiments. A chaque étape de son parcours, il a subi des mises à l'épreuve sur son
engagement, ses connaissances sur Aum et sur les neuf livres d'où sont tirés tous
les enseignements. Ce cheminement vers la voie la plus haute est en fait une compétition déguisée où la
barbarie existe.
Le mot secte vient forcément à l’esprit d’autant plus
que dans la Vallée les informations délivrées sur l’outre-monde
(le monde extérieur) sont terrifiantes. Au fil des pages, on devine que la
Vallée n’est pas un cocon où l’on s’emploie à ce que chacun soit pur et digne
d’Aum.
Dans ce livre, Tarun Tejpal distille habilement une forme de
suspense. Je l'ai lu en apnée totale ! Car si il y a une fascination
presque magnétique qui s’en dégage, elle est vite troublée par les
interrogations que l’on se pose. Et je l’ai terminé abasourdie… Pourquoi Anka
s’est-il enfui ? Comment a-t-il compris que les principes de la
communauté étaient des leurres ? Je vous laisse le découvrir !
Dans ce très, très bon roman foisonnant,
intelligent qui ressemble à une fable, Tarun Tejpal dénonce un univers déshumanisé et totalitaire. Il nous
met en garde sur les dérives du pouvoir, de la religion et du communautarisme
basé sur des idéologies attirantes.Un immense coup de cœur sur toute la
ligne !
Un livre puissant, engagé à l’écriture sublime (chapeau
bas pour la traduction) que je ne suis
pas prête d’oublier ! A lire absolument et à faire lire !
Et difficile de choisir un extrait….
Mes adieux à mes frères de caserne furent empreints d’une
chaleureuse affection dénuée de sensiblerie. La sentimentalité, nous avait dit
le maître, était un défaut grave pour tous, mais plus encore pour un soldat et
un saint homme. Dans l’outre-monde, les humains tombaient, perpétuellement
malades d’excès de sentiments. Envers leurs enfants, leurs parents, leur
conjoint, leurs amants et maîtresses, leurs amis, et même chez certains, de
façon diffuse et geignard, envers l’ensemble des êtres vivants, plantes,
animaux, tout.
L’outre-monde, nous avait-on appris, était un repère de
faux maîtres qui encourageaient cette forme d’imbécilité chez leurs ouailles.
Ils engendraient ainsi chez elles une faiblesse qui les détournait de la
vérité, aidés par une culture qui exaltait la sentimentalité. Les larmes dans
leurs yeux empêchaient les hommes de voir, la boule coincée dans leur
gorge étouffait leur parole. C’était une stratégie d’asservissement :
l’individu sentimental est facile à contrôler, à manipuler. Il est capable, au
nom du sentiment, d’abandonner la voie juste sans se poser de questions.