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redressement productif

Publié le 22 août 2012 par Hoplite

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« (…) Avertissement : ce que je suis sur le point de dire est peut-être déplaisant, mais j'aimerais me débarrasser de la question. La plupart des progrès technologiques du XXe siècle ont résulté en un plus haut niveau de confort physique. Oui, c'est pour cela que nous avons causé le réchauffement global, un trou dans la couche d'ozone et une extinction massive des plantes, poissons, oiseaux et mammifères : pour être quelque peu plus confortables pendant un petit moment.

Nous comptons tous sur le chauffage et l'air-conditionné, l'eau chaude et froide, l'électricité fiable, le transport personnel, les routes bitumées, les rues et les parcs de stationnement illuminés, peut-être même l'internet à haut débit. Et si vous deviez laisser tomber tout cela ? Ou, plutôt, que ferez-vous quand vous devrez abandonner tout cela ?

La plupart de nos ancêtres s'accommodaient d'un niveau d'inconfort que nous trouverions scandaleux : pas d'eau chaude courante, une cabane au lieu de toilettes à chasse d'eau, pas de chauffage central, et ses propres pieds, ou un cheval, comme principal moyen de se déplacer. Et pourtant ils ont réussi à produire une civilisation et une culture que nous parvenons à peine à imiter et à préserver.

Il n'y a pas besoin d'une crise pour faire vaciller les services publics, mais une crise aide certainement. N'importe quelle crise fera l'affaire : économique, financière, ou même politique. Considérons le gouverneur de Primorie*, une région à l'extrémité de la Sibérie, qui a simplement volé tout l'argent qui était censé payer le charbon pour l'hiver. Le Primorie a gelé. Avec des températures hivernales autour de quarante degrés sous zéro, c'est un émerveillement qu'il y ait encore quelqu'un de vivant là-bas. C'est un témoignage de la persévérance humaine. Tandis que la situation économique dégénère, les événements semblent se dérouler en une certaine séquence, indépendamment du lieu. Ils semblent toujours mener au même résultat : des conditions insalubres. Mais une crise énergétique semble pour moi de loin la manière la plus efficace de priver quelqu'un de ses chers services publics.

En premier, l'électricité commence à clignoter. Finalement, cela prend un rythme. Des pays tels que la Géorgie, la Bulgarie et la Roumanie, ainsi que certaines régions périphériques de la Russie, ont dû s'accommoder de quelques heures d'électricité par jour, quelquefois pendant plusieurs années. La Corée du Nord est peut-être le meilleur élève soviétique que nous ayons, survivant sans beaucoup d'électricité depuis des années. La lumière s'allume en tremblotant quand le soleil se couche. Les générateurs luttent pendant quelques heures, alimentant les ampoules, les postes de télévision et les radios. Quand il est l'heure d'aller au lit, les lumières s'éteignent à nouveau.

À la seconde place, le chauffage. Chaque année, il s'allume plus tard et s'éteint plus tôt. Les gens regardent la télévision ou écoutent la radio, quand il y a de l'électricité, ou s'assoient simplement sous des piles de couvertures. Partager la chaleur corporelle est l'une des techniques de survie favorites des êtres humains depuis les ères glaciaires. Les gens s'habituent à avoir moins de chaleur, et finalement cessent de se plaindre. Même en ces temps relativement prospères, il y a des blocs d'appartements à Saint-Pétersbourg qui sont chauffés un jour sur deux, même durant les périodes les plus froides de l'hiver. Des pulls épais et de grands édredons sont utilisés à la place des seaux de charbon manquants.

À la troisième place, l'eau chaude : la douche coule froide. À moins que vous ayez été privé d'une douche froide, vous ne pourrez pas l'apprécier pour le luxe qu'elle offre. Au cas où vous seriez curieux, c'est une douche rapide. Mouillez-vous, savonnez, rincez, essuyez, habillez-vous et grelottez, sous plusieurs couches de couvertures, et n'oublions pas la chaleur corporelle partagée. Une approche moins radicale est de se laver debout dans un baquet d'eau chaude — chauffée sur le poêle. Mouillez-vous, savonnez, rincez. Et n'oubliez pas de grelotter.

Ensuite, la pression d'eau chute complètement. Les gens apprennent à se laver avec encore moins d'eau. On court beaucoup avec des seaux et des cruches en plastique. Le pire de cela n'est pas le manque d'eau courante ; c'est que les chasses d'eau des toilettes ne fonctionnent plus. Si la population est éclairée et disciplinée, elle réalisera ce qu'elle doit faire : collecter ses excréments dans des seaux et les porter manuellement jusqu'à une bouche d'égout. Les gens super-éclairés ont construit des cabanes et fabriqué des toilettes à compostage, et en utilisent le produit pour fertiliser leur jardin.

Sous cet ensemble combiné de circonstances, il y a trois causes de mortalité à éviter. La première est simplement d'éviter de mourir de froid. Il faut une certaine préparation pour être capable d'aller camper en hiver. Mais c'est de loin le problème le plus facile. La suivante est d'éviter les pires compagnons des humains au cours des âges : les punaises, les puces et les poux. Ceux-là ne manquent jamais de faire leur apparition partout où des gens sales se pressent les uns contre les autres, et répandent des maladies telles que la typhoïde, qui a pris des millions de vies. Un bain chaud et un changement complet de vêtements peuvent sauver la vie. Le style sans-cheveux devient à la mode. Passer au four les vêtements tue les poux et leurs œufs. La dernière est d'éviter le choléra et d'autres maladies répandues par les fèces en faisant bouillir toute l'eau potable.

Il semble peu risqué de postuler que le confort matériel auquel nous sommes accoutumés sera rare et sporadique. Mais si nous voulons bien supporter les petites indignités de la lecture à la chandelle, s'emmitoufler durant les mois froids, s'activer avec des seaux d'eau, grelotter debout dans un baquet d'eau tiède, et transporter notre caca dans un seau, alors rien de tout cela ne suffira à nous empêcher de maintenir un niveau de civilisation digne de nos ancêtres, qui ont probablement vécu pire que nous ne vivrons jamais. Ils en étaient déprimés ou joyeux, conformément à leur disposition personnelle et au caractère national, mais apparemment ils ont survécu, ou vous ne seriez pas en train de lire ceci. (...)»

Dmitry Orlov, 2005.

* Le Primorie est une région administrative à la frontière de la Chine et de la Corée du nord.


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