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En s’associant à l’emblématique Chico, figure de la musique gitane depuis l’époque des Gipsy Kings, le chanteur algérien Cheb Aïssa ouvre de nouvelles perspectives au raï sur l’album Baraka. Une fusion à haute dose énergétique.
RFI Musique : Quelle est l’histoire de ce nouvel album Baraka, fruit de votre collaboration avec Chico & The Gypsies ?
Cheb Aïssa : Chico habite à Arles, qui n’est pas très loin de Marseille où je vis. Quand sa maman était encore vivante, il m’appelait chaque fois pour faire une soirée raï spécialement pour elle, lors des fêtes de l’Aïd, du Ramadan… Il a beaucoup aimé ces soirées-là, au Patio. Un jour, j’étais en train chanter Abdul Kader Boualem en version raï, et il a pris le micro pour le faire en duo avec moi. C’était génial. Donc on a commencé à penser : pourquoi ne pas faire un album gipsy raï ? C’est de là qu’est partie l’idée. On l’a appelé Baraka parce que Chico est quelqu’un qui a la “baraka”. Il est généreux, il donne, il fait du bien aux gens.
Comment voyez-vous ce mariage entre ces deux musiques ?
Pour moi, il est culturellement logique. La musique arabe et la musique gitane, c’est un peu la musique andalouse. On a fait ça au feeling, pas pour être commercial. Par amour de la musique. Partout où on est venu faire un concert, les gens ont beaucoup aimé. L’année dernière, à Oujda, au Maroc, j’étais l’invité de Chico parce qu’il était le directeur artistique de ce festival et il m’avait invité pour chanter quatre chansons avec lui. 80.000 personnes qui hurlent, ça ne s’oublie pas. Ça fait peur ! Là, je reviens du Liban, on était programmé au festival de Baalbeck. Avant, on est allé au festival de Louisiane, et aussi au Qatar où le disque est sorti il y a six mois et figure dans le top 5 des ventes. J’espère que ça sera pareil en France !
Aviez-vous beaucoup écouté de musique gitane ou andalouse durant votre enfance en Algérie ?
J’ai grandi avec. Il n’y avait que ça dans les programmes algériens pendant les années 80. En plus, dans la ville d’Oran, il y avait beaucoup d’Espagnols, donc je connais un peu la mélodie espagnole et les Gipsy Kings, le groupe de Chico. La musique andalouse a une histoire en Algérie, qui est liée entre autres à celle des juifs, et de grands musiciens l’ont jouée, comme Enrico Macias.
Qu’est-ce qui vous a donné le plus de travail en studio dans le rapprochement de ces styles, quand même différents à la base ?
On a beaucoup réfléchi à la réalisation de l’album : on a essayé des sons, des breaks. Ça a pris du temps : près de six mois. On n’était pas tous les jours en studio. Ça dépendait de la disponibilité de Chico qui faisait en même temps l’album de Charles Aznavour et était toujours en déplacement. On n’a pas rencontré de réelles difficultés sur le plan musical, même s’il y a une grosse différence dans la façon d’interpréter la chanson dans le raï et dans la musique gitane. Mais le raï peut se mélanger avec tout !
Est-ce dans ce métissage que réside son avenir ?
Je crois. C’est devenu une musique internationale maintenant. Et c’est aussi mon expérience. J’ai fait pas mal de duos : avec le reggaeman jamaïcain U Roy, avec l’Ivoirien Paco Sery pour le titre Maghreb sur son album Voyages, avec les rappeurs de Mafia Magrebine, Ihmotep, K’Rhyme le Roi…
Comment vous êtes-vous mis d’accord sur les titres qui constituent le répertoire de Baraka ?
On a repris des titres qui sont connus, comme ceux de Khaled, mais on en a pris aussi qui étaient sur mes anciens disques ou ceux de Chico et des Gipsy Kings, comme Barcelona, Salam Alaikoum, Tu Sabes. On a aussi voulu faire un album pour le Maghreb : Dore Biha représente le Maroc, Sidi Mansour la Tunisie et Abdul Kader Boualem, l’Algérie. C’est cette chanson qu’on a commencé par enregistrer en premier en 2010 au Petit Mas, un studio de Martigues.
Lorsqu’il vous arrive de réécouter du raï datant de la fin des années 80, avec le son caractéristique de cette époque qui a beaucoup vieilli aujourd’hui, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Il n’y avait pas de qualité sur le plan du mixage, du son. Quand Mami et Khaled ont fait leurs premiers enregistrements en studio, c’était sur une seule piste, en live. Dans une petite salle de deux mètres carrés, il y avait le percussionniste, le violoniste, le guitariste, le bassiste… et on enregistrait tout. C’est ça qui donnait le charme. Personnellement, chaque fois que je veux écouter Khaled ou Sahraoui, j’écoute leurs enregistrements des années 80. Je me retrouve dedans. Ça me rappelle ma jeunesse, mes débuts. Et je me régale.
Cheb Aissa feat.Chico and the Gypsies Baraka (MLP Productions) 2012
Par Bertrand Lavaine/ RFI