Jean de LA FONTAINE : L’Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses

Par Unpeudetao

   ..Un homme de moyen âge,
   Et tirant sur le grison,
   Jugea qu’il était saison
   De songer au mariage.
   Il avait du comptant,
   Et partant
   De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ;
En quoi notre Amoureux ne se pressait pas tant :
   Bien adresser n’est pas petite affaire.
Deux Veuves sur son coeur eurent le plus de part ;
   L’une encor verte, et l’autre un peu bien mûre,
   Mais qui réparait par son art
   Ce qu’avait détruit la nature.
   Ces deux Veuves, en badinant,
   En riant, en lui faisant fête,
   L’allaient quelquefois testonnant,
   C’est à dire ajustant sa tête.
La Vieille à tous moments de sa part emportait
   Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son Amant en fût plus à sa guise.
La Jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
   Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
   Qui m’avez si bien tondu :
   J’ai plus gagné que perdu ;
   Car d’hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon
   Je vécusse, et non à la mienne.
   Il n’est tête chauve qui tienne ;
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.

Jean de LA FONTAINE (1621-1695).

*****************************************************