Jean Quatremer, le journaliste qui suit l'Union Européenne pour Libération est un visionnaire.
Souvenons-nous de sa mise en garde, sur son blog, à propos des dérapages de DSK, mise en garde qu'apparemment, personne n'a prise au sérieux jusqu'au feu d'artifice du 14 mai à New York.
Son opinion actuelle de la crise belge pourrait bien, dans les prochaines semaines, nous convaincre de son talent de visionnaire. Interviewé sur le sujet par Paris-Match, Quatremer s'inquiète: "Oui, la Belgique est gravement malade et son pronostic vital est engagé!" Quatremer a le mérite de dire et d'écrire ce qu'il pense. Voilà enfin un journaliste, non pas belge mais français qui, non seulement, ne mâche pas ses mots mais qui a compris la stratégie du fauteur de troubles, le nommé Bart De Wever, Président de la N-VA. Il cite l'article 1 du programme de ce parti nationaliste qui stipule l'exigence de l'indépendance de la Flandre. En tant que belges, nous l'avions compris depuis sa victoire aux élections de 2010 mais sans trop vouloir y croire ou plutôt en adoptant la politique de l'autruche. Nous nous sommes laissés bercer par du rêve et on s'est réveillé avec une sacrée gueule de bois.
Ainsi que le précise le journaliste, "Bart De Wever a des alliés dans cette bataille: le CD&V, une partie de l'Open VLD ainsi que le SPA, tous ces partis flamands ont recueilli une partie de l'héritage de l'ex-Volksunie", parti de droite par excellence.
Quatremer est d'une lucidité effrayante, il se demande "Comment on a pu croire, au lendemain des élections de 2010, qu'un compromis était possible entre un parti nationaliste, indépendantiste et de droite (N-VA) et un parti fédéraliste et de gauche (PS)". Je me suis posé la même question. En tant que français, Quatremer s'inquiète: "Si le nationalisme flamand arrive à ses fins et fait exploser le pays, cela va engendrer une période instable en Belgique mais également en Europe. La N-VA et le Vlaams Belang rejettent la solidarité entre riches et pauvres du moins ceux qui ne partagent pas leur culture, leur langue ou, en ce qui concerne le Vlaams Belang, la couleur de leur peau. Alors que la Belgique était un modèle de cohabitation entre deux communautés, modèle qui devait inspirer l'Europe, l'éclatement du Royaume serait non seulement un échec belge mais aussi un échec européen. Depuis un an, la France s'inquiète de la crise belge. Si la séparation devait mal se passer, surtout concernant Bruxelles, quel avenir aurait une Belgique morcelée? Sera-t-elle viable en états indépendants ou sa partie francophone voudra-t-elle se rattacher à la France? La N-VA, précise Quatremer, n'est absolument pas un parti européen. L'Europe s'est fondée contre le nationalisme destructeur qui est toujours basé sur le rejet et l'infériorisation des autres. Bart De Wever incarne des valeurs contre lesquelles l'Europe s'est bâtie. Son refus de la négociation est inquiétant. Je crains pour la démocratie belge si De Wever arrive au pouvoir. Les socialistes, les libéraux et les démocrates-chrétiens ont tort de sous-estimer le danger pour la démocratie que représente le parti de Bart De Wever. S'allier avec lui, c'est s'allier avec le diable même si celui-ci a revêtu des atouts séducteurs. La N-VA est un parti populiste qui n'hésitera pas à remettre certaines libertés en cause....Je constate qu'au xxième siècle, la question des liens entre le nationalisme flamand et l'extrème-droite demeure....Une proposition de loi du Vlaams Belang sera examinée par la Chambre, proposition qui prévoit l'amnistie des collaborateurs et l'indemnisation de leurs descendants....Le symbole est terrible: le simple fait que les partis flamands acceptent de discuter de la question de l'amnistie sur la base d'une proposition d'extrème-droite montre qu'il y a un problème sérieux en Flandre."
Jean Quatremer, le visionnaire, a tout compris. Toutefois, l'espoir persiste dans ma tête de petite belge. Puisse-t-il, pour une fois, se tromper.
Interview de Jean Quatremer par André Gilain pour Paris-Match (13-20 juillet 2011)