Parce qu'un con qui marche va toujours plus loin qu'un intellectuel assis, deux frères sont partis sur les routes depuis de longs mois, traversent les frontières, les villes et les campagnes à l'occasion d'un tour du monde à durée indéterminée, sans casques ni golden-parachutes. Au fil de leur voyage, ils livrent leurs impressions sur des expériences qui les ont marqués.
Aujourd'hui, leur regard s'arrête sur le Blackwara Camp en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Par Greg.
Suite à une courte escale dans la ville de Jayapura et une laborieuse journée de vélo pour rejoindre la frontière, nous voici officiellement en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG), pays inconnu, réputé dangereux, primitif voire cannibale. Un cocktail détonnant que nos avons hâte de découvrir, toujours accompagnés de notre organisation approximative.
Nous sommes alors rapidement rassurés sur la possibilité de longer la côte en vélo, la route de la frontière à Vanimo étant relativement plate, recouverte d’un beau bitume, peuplée d’autochtones des plus hospitaliers et bordée de plages « carte postale » à notre entière disposition. Même pas le temps de penser aux puk-puks, ces crocodiles des mers locaux pouvant atteindre les sept mètres.
Bref, un départ parfait malheureusement freiné après quarante kilomètres quand nous apercevons au loin une voie cabossée et montagneuse qu’on venait de nous promettre à la sortie d’un « supermarché ».
Tant pis pour les plages désertes et nos mollets, nous nous engageons une bonne heure dans ce chemin de croix quand un groupe de Papous nous stoppent, d’abord pour nous offrir spontanément bananes, boissons chocolatées, biscuits (et finalement tout ce qu’il était possible de tenir dans quatre mains), puis pour nous proposer l’hébergement pour la nuit. La décision ne fut pas difficile à prendre devant tant de bienveillance et nous étions admis dans le clan Blackwara (Pierre noire).
Le clan a un chef, dont le pouvoir se transmet de façon héréditaire depuis que les Australiens ont donné ce privilège à un de ses aïeuls. On est loin du glamour japonais autour de leur empereur descendant d’une lignée divine mais tout le monde semble respecter cette filiation promue par les colons. La PNG est ainsi divisée en clans et l’intégration d’un nouveau clan passe forcément par l’aval du chef. Les changements sont nombreux et les refus plutôt rares puisqu’il est généralement interdit de se marier au sein d’un même clan. Il s’agit donc la plupart du temps de « regroupement familial ».
Rapidement nos hôtes nous indiquent qu’il est hors de question de continuer en vélo, la route étant beaucoup trop dangereuse : attaques fréquentes, souvent mortelles, rivières infranchissables, etc. Nous avons fait fi des conseils glanés épisodiquement sur internet mais rien ne vaut en principe les conseils des locaux. Après avis, Aitape, Wewak, Bogia, Madang, Lae, Port Moresby, tous ces villes étaient pires les unes que les autres, certains villages ne seraient composés que de Raskolls (les kaïra locales, le plus souvent drogués ou alcooliques) et les anecdotes les plus horribles accompagnent leur récit. Nous connaissions la réputation du pays avant d’arriver mais jusqu’à aujourd’hui, nous avions toujours été rassurés par les populations quand nous devions traverser un pays risqué. Nous nous fions donc une fois de plus à leur jugement mais si nous voulons voir un peu du pays, il faudra tout de même penser à passer outre leur bons conseils de temps en temps.
Ils promettent alors de nous arranger un véhicule pour le lendemain, qui se rendrait à Wewak. Par "arranger", il faut comprendre stopper un des nombreux pick-ups en espérant qu’il ait de la place à l’arrière. Ce qui ne doit poser aucun problème.
La boy’s house, la cabane où nous dormons.
À l’intérieur du camp, le stress n’est pas au rendez-vous. Les hommes, c’est bien simple, ne font strictement rien de la journée, pendant que les femmes s’occupent du jardin, de la cuisine et de vendre quelques bricoles au bord de la route. On est tout de même loin de la grosse activité d’un côté comme de l’autre. Tous mâchent et raffolent des noix de betel, qui, associées à de la moutarde et du « lime » (de la chaux ?) rendent les dents rouges vif. Ces sourires sanguinaires nous accompagnent depuis notre escale de ferry à Nabire. La consommation est tellement importante qu’on compte presqu’autant d’arbres à noix de betel que de cocotiers.
Et la cueillette ? Facile.
Le soir, les hommes se réunissent dans la boys’ house où les femmes n’ont pas le droit d’entrer afin de "telling stories". Une petite appréhension nous envahit d’abord à l’idée de devoir nous acquitter d’un rôle de conteur. En réalité, nous attend une soirée glandouille pendant laquelle tout le monde se regarde dans le blanc des yeux si nous ne posons pas quelques questions.
John, grand chasseur brecouille.
Première nuit sur le plancher, c’est bon pour le dos paraît-il. Nous ne sommes pas vraiment convaincus au réveil. Nos sacs sont prêts dans le cas d’un départ précipité dans une voiture mais rien ne laisse penser que quelqu’un s’occupe de trouver un transport. On nous emmène « wash-wash » à la rivière, où les enfants jouent la plupart de la journée sur un toboggan formé au fil des ans par le courant. Une feuille de bananier sous le postérieur et voici un parc aquatique improvisé se finissant souvent par une grosse gamelle.
Le repas, composé de bananes vertes, de bread-fruits (fruit qui rappelle le goût du pain) cuits au feu de bois et de noix de coco est plutôt fade. Les heures passent et aucun véhicule ne semble être disponible. Autant faire bref, ils vont nous faire le coup tous les jours, nous racontant des tas de problèmes invraisemblables, qu’il n’y a aucun bateau, aucun véhicule alors que nous savons pertinemment à travers le guide qu’on nous a offert qu’il y en a tous les jours. Ils doivent sans cesse arranger un transport via un ami qui connaît un beau frère d’un cousin qui aurait une voiture ou un bateau selon les versions. Ils se rendent à Vanimo des journées entières, revenant soit bredouilles, soit bourrés.
Leur hospitalité étant des plus attentionnée, nous comprenons qu’ils veulent en réalité que nous restions mais n’osent pas nous le demander directement. Nous restons quatre jours parmi eux, plus ou moins volontairement. Pendant notre séjour, chacun souhaitait s’occuper des deux blancs, ce qui nous valait parfois de voir arriver trois repas copieux au lieu d’un. Et tous les jours des montagnes de biscuits, des fruits, des dizaines de gamins à poil pour « wash-wash » avec nous et la nuit tombée, nous repartions dans une séance de "telling stories". Ces petites réunions deviennent vite ennuyeuses puisque ne faisant rien de leur journée, ils n’ont rien à raconter. Nous parlons alors plusieurs fois de notre voyage, suscitant beaucoup d’intérêt mais peu de questions en retour.
Côté médecine, les accouchements se passent à l’hôpital local, qu’il faut payer. Et pour tout le reste, il y a la feuille de salat, une plante sauvage avec laquelle ils frappent la zone douloureuse. Mal de ventre, hématome, foulure, fracture ? Salat. Après essais, ça semble bien n’être qu’une ortie dont nous doutons fortement de la capacité à soigner les fractures.
Et en cas d’échec, amputation maison ?
Pour communiquer, rien de plus facile puisqu’ils sont nombreux à parler anglais ou tok pisin, un mélange de dialecte papou et d’anglais développé il y a un siècle quand les Allemands contrôlaient l’île de Papouasie.
Good morning=morning
Good afternoon=apinoon
Thank you=tenkyou
My name is=name do me
Your name is=name do you
À l’école, ils apprennent donc dans l’ordre le dialecte local, le tok pisin, puis l’anglais. Quand ils peuvent s’y rendre, car l’école la plus proche du clan est à 20km. Nous leur avons soumis l’idée de faire cours sur place, les enfants étant tout de même assez nombreux et les hommes ayant une propension assez impressionnante à la procrastination. Mais un silence de plomb a suivi notre suggestion… Ils semblèrent un peu plus enthousiastes lorsque nous avons parlé d’hydroélectricité, croquis à l’appui, au lieu de bricoler des montages avec des batteries de deux roues mais nous sommes bien persuadés qu’aucun n’a entrepris le moindre projet en ce sens depuis notre passage. Un homme, présenté comme un « grand chasseur » n’a rien attrapé durant notre séjour et le seul épisode de chasse qui nous a été rapporté s’est soldé par une fin prématurée causée par une panne de lampe électrique…
Nous comprenions vite que nous avions à faire à des gens qui non seulement ne sont pas des foudres de guerre mais qui n’ont jamais à l’esprit l’idée de progrès, qui se contentent de ce qui est à leur portée, nous rappelant le comportement des Laotiens, préférant dormir sous une cabane en lambeaux plutôt que de la retaper. Après tout pourquoi pas, mais leur journée sont si peu remplies que l’ennui est palpable. La thèse du gouvernement corrompu pour expliquer les retards du pays prend petit à petit du plomb dans l’aile et il est difficile de se plaindre lorsqu’on n’entreprend absolument rien. Le manque d’initiatives privées est au moins autant responsable de la situation du camp. Un seul d’entre eux travaillait et semblait avoir un train de vie un peu plus « élaboré », se payant le luxe de regarder quelques DVD. Les autres, oisifs, ne semblaient pas sensibles à ce contraste.
Notre petit séjour parmi eux n’en était pas moins agréable. Chouchoutés, nous partagions un temps ce mode de vie avec beaucoup de plaisir, à généralement partager la vie des gamins Blackwaras et jouer aux échecs depuis notre cabane.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin et nous décidions de prendre le taureau par les cornes pour organiser notre départ. Tout de même un peu las de nous faire mener en bateau, nous partirons le lendemain matin pour Vanimo afin d’en prendre un nous mêmes.
La suite, se passera encore sur l’eau.
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Sur le web.
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