Il est ironique de voir le même gouvernement qui a accordé l'asile à Julian Assange pousser un autre journaliste à s’exiler aux États-Unis et utiliser les médias au pouvoir de l'État pour discréditer un des principaux défenseurs de la liberté d'expression en Équateur.
Par Carlos Lauría
Rafael Correa en compagnie de Christine, la mère de Julian Assange.
La décision du gouvernement équatorien d'octroyer l'asile politique à Julian Assange se produit au moment où la liberté d'expression en Équateur se voit menacée. Le niveau de liberté de la presse sous le gouvernement du président Rafael Correa figure parmi les pires du continent et le fait de concéder l'asile au fondateur de Wikileaks ne changera pas les restrictions que doivent affronter les journalistes équatoriens qui critiquent les politiques et les décisions du gouvernement.
Les enquêtes de plusieurs groupes internationaux des droits de l'Homme, incluant le CPJ (Committee to Protect Journalists), Human Rights Watch, Fundamedios et le rapport spécial pour la liberté d'expression de l'Organisation des États américains ont conclu que le gouvernement de Correa ne tolère pas la contestation et a entrepris une campagne pour faire taire les critiques dans la presse.
On citera, par exemple, la récente fermeture de onze radios locales. L'évaluation du CPJ permit de voir que la majorité des radios avaient été critiques envers le gouvernement et que l'autorité de régulation n'avait pas suivi la procédure requise dans de nombreux cas. Dans une lettre au directeur des Télécommunications Fabián Jaramillo, le CPJ a exprimé sa préoccupation de ce que les fermetures de radios soient une tentative politique pour contrôler la circulation de l'information.
Un rapport spécial de 2011 du CPJ a montré que Correa et son gouvernement ont déposé des plaintes en diffamation devant les tribunaux civils et pénaux comme moyen pour intimider les personnes critiques. Le cas concernant le premier tirage de la presse El Universo a été emblématique de cette pratique. En février, Correa gagna son procès en diffamation contre le journal. Trois directeurs et l'ex-éditorialiste, Emilio Palacio, furent condamnés à trois ans de prison chacun et à payer un total de $40 millions en dommages. La plainte s'appuyait sur un éditorial publié par El Universo en février 2001 qui insinuait que le président pourrait être accusé de crimes contre l'Humanité pour ses actions durant la révolte policière de 2010. Correa pardonna ensuite les journalistes après avoir atteint son objectif d'intimider tous ceux qui pourrait remettre en question ses politiques. Il était déjà trop tard pour Palacio, qui avait fui le pays par crainte d'être incarcéré.
Le gouvernement a également promu une législation pour intimider les personnes critiques dans les médias. Des changements dans la loi électorale, approuvés par l'Assemblée nationale en janvier, inclurent des clauses d'interprétation si large qu'elles pourraient empêcher que la presse ne puisse couvrir les campagnes politiques pendant les mois précédents les élections présidentielles de février 2013, quand Correa cherchera à se faire réélire. Une des clauses établit que les médias « s'abstiendront de faire de la promotion directe ou indirecte » à l'occasion des campagnes des candidats pendant les 90 jours précédant une élection. Une seconde clause dans la loi interdit aux médias de transmettre tout type d'information, photos ou opinion sur le processus électoral pendant les 48 heures précédant une élection. Un projet de loi sur la communication actuellement en débat à l'Assemblée nationale pourrait restreindre encore plus la liberté d'expression ; son langage ambigu octroierait aux régulateurs de grandes facilités pour imposer des santions arbitraires et censurer la presse.
Marchant sur les traces de son collègue vénézuélien Hugo Chávez, Correa a également construit un réseau massif de médias gouvernementaux qui est utilisé pour lancer des campagnes de discrédit contre les critiques et pour faire la promotion de son agenda politique, selon l'enquête du CPJ.
Il est ironique de voir que le même gouvernement qui a accordé l'asile à Julian Assange a poussé Palacio du journal El Universo à s’exiler aux États-Unis et est en train d'utiliser les médias au pouvoir de l'État pour discréditer César Ricaurte, directeur de Fundamedios et un des principaux défenseurs de la liberté d'expression du pays.
La communauté internationale ne doit pas se laisser abuser. Pendant l'Examen Périodique Universel des Nations Unies en mai, 17 États membres de l'ONU émirent plusieurs recommandations pour fortifier la liberté d'expression en triste état en Équateur. Le gouvernement répondit comme c'est son habitude quand on le critique, avec mépris. Le ministre des Affaires étrangères Ricardo Patiño attribua les critiques internationales à la « méconnaissance ».
Mais pendant que l'Équateur offre son appui à Julian Assange, un ferme et controversé défenseur de la libre circulation de l'information, il serait souhaitable que l'on commence à écouter les critiques, aussi bien au niveau national qu'international, et mettre un terme aux nombreuses restrictions qui empêchent la circulation de l'information dans le pays.
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Traduit de l'espagnol.
[*] Carlos Lauria est originaire de Buenos Aires. Journaliste largement publié, il a beaucoup écrit pour Noticias, le plus grand magazine du monde hispanique et est coordinateur principal auprès du CPJ.