Je lis en ce moment la dernier opus d'Élisabeth Lévy, La Gauche contre le réel. Cataloguée néo-réac par le prêt-à-penser gauchiste, elle invoque Voltaire pour justifier son droit d'expression.
Franchement, on nous rebat les oreilles avec Voltaire ! Il faudrait créer un « point Voltaire », à l'image du « point Godwin », à chaque fois que quelqu'un invoque naïvement le philosophe en renfort de la tolérance.
C'est assez curieux, d'ailleurs, parce que Voltaire avait une conception particulière de la tolérance : un instrument qu'il invoquait au service de ses idées, mais qu'il était fort loin de réclamer pour ses adversaires. Rousseau, ou l'abbé Fréron, pourraient en témoigner ! La tolérance voltairienne est fondamentalement partisane et partiale.
Conception qui eut, après lui et jusqu'à aujourd'hui, une riche postérité. Par exemple, dans un article de Rue89, une journaliste reproche à des gens qu'elle ne goûte guère (genre Zemmour, Ménard, etc.) d'invoquer Voltaire pour justifier leur droit à la parole. Or, répond-elle en substance, ils ne le peuvent point puisque le philosophe n'était pas si tolérant... Message transmis : que l'on fasse taire ces nuisibles, qui pérorent si mal à propos ! D'ailleurs, cela ne rate pas, un commentateur lâche : « De toute façon on devrait empêcher de parler tous ceux qui sortent de la norme, ainsi nous ne serions pas pollués [sic] par l'extrême droite ! » Limpide ! En revanche, pour ce qui est de définir la juste norme...
On dira qu'ici, on défend une conception autrement plus large de la tolérance que la vision étroite de Voltaire. Un rappel conceptuel s'impose : ce qui confère, in fine, une quelconque valeur à la tolérance, c'est la protection qu'elle accorde justement à la différence et à la dissidence. Elle n'a d'intérêt qu'en dehors du consensus. Être tolérant, c'est donc faire de la liberté d'expression la règle universelle du jeu, que l'on se gardera bien, si l'on est fair-play, de vouloir instrumentaliser à son avantage.
Pour revenir à Voltaire, point n'est question d'instruire un procès anachronique ; sa vision s'explique par le contexte de son temps. Et il est vrai que, parfois, il doit se retourner dans sa tombe.
Post scriptum
On peut lire avec profit le livre de Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes. L'antiphilosophie au temps des Lumières, Albin Michel, 2000. D'une part parce que c'est toujours bon de jeter un coup d'œil dans le camp d'en face, c'est-à-dire des vaincus, d'autre part parce que, en arrière plan, se pose la question de la neutralité dans la recherche historique (p. 9) :
Quelles que soient nos positions idéologiques, politiques ou critiques, convenons que les notions de « Lumières » et d'« anti-Lumières » relèvent d'une construction a posteriori profondément influencée par l'actualité dans laquelle elles s'élaborent. L'étude [...] reste à faire. Elle témoignerait, sans doute, d'une influence considérable exercée par les engagements politiques du moment [...].
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