Un homme est mort des suites de ses blessures. Il s'était immolé dans le hall d'une Caisse d'Allocations Familiales à Mantes-la-Jolie. Il était allocataire du RSA, mais le versement du RSA avait été suspendu depuis trois mois pour défaut de justificatifs.
Il lui manquait sa date de cessation d’activité et les fiches de paie correspondant à son activité des mois précédents, d'après Sébastien Rochat d’Arrêt sur images.
Véronique Valentino est revenue sur l'affaire, ce scandale effroyable, pour le site ActuChômage. Bizarrement, les anciens sarkozystes si prompts à s'indigner de tout et de rien n'avaient pas grand chose à dire. D'ailleurs, l'information ne fit même pas l'objet d'un communiqué de l'UMP.
Où était donc Laurent Wauquiez, le chantre de la droite sociale qui nous promettait, en mai 2011, de lutter contre ce cancer social qu'était l'assistanat ?
Bien sûr, certains argumenteront qu'il est bien normal d'être exigeant sur les justificatifs à l'assistance sociale, afin d'éviter la fraude quand il s'agit de la solidarité nationale. Mais combien de bénéficiaires de niches fiscales largement plus coûteuses qu'un RSA à 450 euros mensuels accepteraient le niveau de flicage imposé aux bénéficiaires du RSA ?
Comment ne pas se révolter devant la disproportion d'importance des contrôles imposés aux plus faibles par rapport aux contrôles fiscaux des plus riches ? Rappelez-vous l'anecdote fameuse: Liliane Bettencourt n'avait jamais été contrôlée entre 1995 et 2010, malgré plusieurs dizaines de millions d'euros d'avantages fiscaux chaque année ! La milliardaire aurait-elle supporté ce que les bénéficiaires du RSA supportent en contrôles connus ou à leur insu ? En 2010, en pleine affaire Bettencourt, un représentant du SNUI révélait que le nombre de contrôles approfondis sur les particuliers
(ESFP, examens de la situation fiscale personnelle), avait chuté de 5.100 en 2005 à 3.900 en 2009.
Deux poids, deux mesures ? Bien sûr !
En avril 2009, nous nous inquiétons des mesures de contrôle publiées au Journal Officiel,
le décret d'application "n° 2009-404 du 15 avril 2009 relatif au revenu de solidarité active".
Les formalités de contrôle du RSA étaient et demeurent strictes et intrusives comme jamais: les risques de radiation étaient plus plus importants que pour le RMI que le RSA remplaçait. Des modalités du contrôle franchement « perturbantes »: le contrôle peut être réalisé à l'insu du bénéficiaire. Le train de vie de ce dernier peut être
espionné à tout moment. Toute « personne morale », publique
ou privée, disposant d'informations électroniques sur le bénéficiaire du
RSA peut être sollicitée, sans information préalable du bénéficiaire
contrôlé. Toute personne morale compétente sur des sujets aussi variés
que l'automobile, le matériel hi-fi, les déplacements, les hébergements
en hotels, ou le vendeur d'une automobile.
Récemment, les services de l'Etat se sont félicités de l'efficacité de la lutte contre la fraude, à l'occasion de la publication de quelque bilan annuel.
Concernant le RSA, environ 7.500 fraudeurs avaient été démasqués, notamment grâce aux croisements de fichiers et autres contrôles clandestins. Au total, les CAF ont récupéré 105 millions d'euros l'an dernier, sur 15.000 personnes (dont 48% de RSAistes). 105 millions d'euros, pas plus. En 2011, les redressements totaux opérés par les Urssaf se sont élevés à
220 millions d’euros. Ils représentent une forte augmentation (de
l’ordre 20 %) par rapport à 2010, supérieure aux objectifs fixés
L'essentiel de la fraude sociale provient du travail illégal. Et elle se chiffre à plus de 3 milliards d'euros. La seule fraude à la TVA par les entreprises est estimée ... à 7 à 9 milliards d'euros de manque à gagner par an !
Mais l'homme qui s'est immolé le 9 août dernier ne fraudait pas. Il peinait à fournir les justificatifs. Il avait 51 ans. Il campait. On aurait pu isoler son cas. Au lendemain de son décès, le 13 août, la ministre en charge des
Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion Marie-Arlette Carlotti a rappelé «qu'il est important d'éviter toute rupture dans le suivi des
personnes et qu'il est indispensable d'accompagner chacun de manière
continue. Les situations personnelles, aussi complexes que diverses,
doivent être prises en compte afin d'apporter un soutien aux personnes
en difficultés».
Jeudi 16 août dernier, la CAF de Mantes-la-Jolie a réouvert ses portes.
Une délégation du Mouvement National des Chômeurs et des Précaires a rendu hommage au décédé: « Des deux côtés du guichet, la tension est forte, agents et usagers se
sentent abandonnés par les pouvoirs publics, sous pression. Nous
appelons les autorités compétentes à réagir, pour que le service public
ait les moyens d'accomplir avec sérénité ses activités, pour que toutes
les personnes en situation de précarité ne se sentent pas exclues ou
traitées comme des citoyens de seconde zone. »
Un cas isolé ? Sans mesurer sans doute la gravité de sa déclaration, le directeur de cabinet du sous-préfet de la Marne a expliqué, à chaud: «c’est un cas courant, les gens à qui on suspend leur allocation puis
auxquels on reprend le versement, dès lors qu’ils ont fourni les pièces
demandées. Il y a des milliers de gens à qui ça arrive». Comme le rappelle ActuChômage, le RSA est d'abord une usine à gaz: « L’une des conséquences de cette complexité administrative, c’est le non-recours au RSA : plus du tiers des bénéficiaires potentiels ne le demanderaient pas, soit une économie de 5,2 milliards d’euros pour les pouvoirs publics.»
Un machin administratif complexe et ultra- fliqué qui tue... occasionnellement.