Au bout de tant d’années à Londres, je pensais m’être parfaitement fondue dans la masse. Je ne double plus subrepticement les gens dans la queue en me félicitant intérieurement d’être plus maligne qu’eux, j’ai toujours un parapluie sur moi « parce qu’on ne sait jamais il peut pleuvoir à tout instant », et il m’est même arrivé de recevoir de vrais Anglais pour le thé. D’accord, il s’agissait de voisins qui n’avaient pas eu le cœur de décliner ma huitième invitation, mais qu’importe : je croyais sincèrement être intégrée jusqu’au bout des ongles.
C’est pourquoi, lorsque ma franchouillardise est démasquée en quelques millisecondes, cela a le don de m’agacer profondément.
Qu’est-ce qui me trahit ainsi ?
Mon foulard élégamment enroulé autour du cou ?
Mon sac Vanessa Bruno ?
Un certain je ne sais quoi (comme disent les Anglais) de chic parisien ?
Hélas, non.
Mon accent franco-français.
Il a beau être loin, le temps où Eva in London prenait soigneusement des notes sur le professional English de ses collègues Superconsultants (« Welcome to SuperConseil, how can I help ? »), immanquablement, à peine ouvré-je la bouche que mon client m’interrompt, jovial :
- Ah, you’re French!
Cette saillie peut également être suivie de « I love the French accent, it’s so cute » (mignon) lorsqu’un(e) Anglais(e) tombe sous le charme d’un(e) Français(e), voire du plus explicite « It’s so sexy ».
Enfin, paraît-il, parce qu’en ce qui me concerne, mes interlocuteurs ont surtout tendance à me prendre pour une agence de voyages sur pattes. Et que je te demande une bonne adresse de resto à Paris, et que je te raconte mes dernières vacances dans le family cottage du Lubéron, et que je m’étrangle d’indignation devant la grossièreté des garçons de café / les Russes qui envahissent Megève / les frasques de Rihanna à St Tropez.
Bref. Vous conviendrez que c’est rien moins que rageant, après dix-huit ans de pratique de l’anglais, d’en être encore là. En bonne Française, je me proclame victime du système. Plus précisément du système éducatif français des années 80 (« Femme des années 80, femme … », mais je m’égare) : déjà, en faisant allemand Langue Vivante 1 parce que c’est comme ça qu’on sépare le bon grain de l’ivraie les bons élèves des mauvais les élèves poussés par leurs parents des normaux, je ne partais pas bien. Par ailleurs, je suis partie tard, c’est-à-dire en commençant en quatrième et non, comme paraît-il c’est le cas aujourd’hui, au primaire voire à la maternelle ou à la crèche. Un retard que je n’ai malheureusement jamais rattrapé.
Si je n’ai point à rougir de mon anglais à proprement parler – contrairement à de nombreux Français qui refusent inexplicablement de s’exprimer dans la langue de Shakespeare devant leurs compatriotes – je me prends malgré tout à rêver au jour où je manierai impeccablement l’accent british.
En attendant, avec 400 000 Français à Londres et moult touristes en goguette, je tiens ma revanche. Tiens, pas plus tard que cet après-midi. Au détour d’une rue, un jeune homme m’aborde, chaussures bateau aux pieds, pull négligemment noué autour des épaules et accent franchouillard à couper au couteau :
- Excuse me, Madam, do you know where is ze pub ‘orse and Groom ?
Moi, du tac au tac et en français dans le texte :
- Alors, vous prenez à droite après le feu, et au bout de 200 mètres, c’est sur votre gauche. Bon WE !
La vengeance est un plat qui se mange froid.
Et vous, votre accent vous trahit-il ? Cela vous agace-t-il, ou cherchez-vous au contraire à en jouer ?