En lisant Hot, Flat and Crowded (un ouvrage sur la non durabilité de notre développement), j’en suis arrivé à me demander si nous ne vivions pas une lutte des civilisations. L’auteur du livre explique que c’est la consommation immodérée de pétrole par l’Amérique qui enrichit les dictatures (Iran, Arabie Saoudite…) et leur permet de ne pas se réformer. Sans cela, les forces de la globalisation les contraindraient à la démocratie et à un meilleur emploi des talents individuels. Le monde idéal est celui de la concurrence et de l’innovation. Et si ces pays défendaient une culture à laquelle ils tiennent ? Et si, justement, pour cela, ils prenaient les USA à leur propre jeu : leur consommation ostentatoire ?
Mais c’est un jeu dangereux. Il semble que l’URSS soit parvenue à se maintenir quelques années grâce aux revenus de son pétrole. Devenue trop dépendante de ces revenus, elle a été abattue par une crise. La crise renforce le capitalisme, comme le disait, il y a quelques temps, The Economist ?
Les Chinois, apparemment, bataillent plus subtilement que les Russes. J’ai entraperçu une émission (Arte) qui parlait de l’embargo qu’ils ont fait sur les terres rares. Celles-ci sont essentielles à la performance de notre électronique. Eh bien cette tactique a fait plier les Japonais : incapables de trouver un substitut à ces terres rares, ils ont dû sous-traiter certaines étapes de leur production en Chine. Ils en deviennent de plus en plus dépendants. Ces Japonais seraient-ils des losers ?
Toutes les analyses que je lis sur la pauvreté donnent un rôle critique à la femme. Dès qu’elle sera éduquée, et qu’elle travaillera, le taux de natalité baissera et les pauvres s’enrichiront. Mais, la femme anglo-saxonne riche ne travaille pas ! Et si la libération de la femme avait une autre signification que son bien-être ? Et si son « égalité » était une condition nécessaire du passage à l’économie de marché ? La féministe serait-elle l’idiot utile du capitalisme ?
C’est pourquoi j’en suis arrivé à m’intéresser à Pussy Riot. Ce groupe est un spécialiste de la provocation, et il ne connaît pas la subtilité. La provocation qui lui vaut des ennuis consistait à intervenir dans un culte orthodoxe pour contrefaire une prière et demander la chute du Président de la République russe. D’après Wikipedia, la société russe approuve, massivement, la condamnation de Pussy Riot. Qu’aurions-nous fait, si un événement similaire avait eu lieu en France ? me suis-je interrogé. J’ai découvert avec surprise que, jusqu’en 2000, une insulte au Président de la République menait à la prison (1 an). Quant à la profanation de tombe, elle peut coûter 5 ans de prison. (Les profanateurs sont effectivement sévèrement punis.)
L’Occident est outré : la liberté de parole est entravée. Mais l’Occident est-il vertueux ? Et l’affaire Julian Assange ? L’Angleterre menace de s’en prendre à une ambassade, semble-t-il. Je croyais l’immunité diplomatique sacrée… L’URSS a-t-elle eu recours a de tels procédés, durant la guerre froide ?
Hypocrisie massive anglo-saxonne ? Le sociologue James March a trouvé d'élégantes explications à ce phénomène. Pour ma part, il me semble que les Anglo-saxons utilisent la raison pour imposer ce qu’ils croient juste, et qui se trouve servir leurs intérêts. C’est la technique des sophistes. Mais c’est surtout une technique totalitaire : elle nie une autre pensée que la sienne.
La presse, cette semaine, est pleine de cette hypocrisie. Le Financial Times, par exemple, explique que Facebook utilise une subtilité juridique pour payer une acquisition avec ses actions, à leur prix actuel (la moitié de ce qu’il était à l’époque de la dite acquisition). Un autre article du Financial Times parle d’un des premiers investissements de Mitt Romney, chez Bain Capital. Il s’agissait d’une petite compagnie d’aviation. Pour empêcher la constitution d’un syndicat, les investisseurs ont eu recours à des mesures d’intimidation, en violant la loi. (Pour lesquelles ils ont été condamnés par la justice.)
Un autre article, du Monde cette fois, parle d’un coin d’Amérique. Depuis qu’il n’a plus de scierie, son petit peuple est au chômage. Nestlé voulait mettre en bouteille son eau, très pure, mais il a été défait par quelques écologistes, des riches. Les pauvres, qui auraient aimé les emplois de Nestlé, n’avaient pas les moyens de se faire entendre. Et, à côté de tous ces gens, il y a d’immenses fortunes, qui vivent en vase clos, et utilisent quelques servants locaux.
Est-il dans notre intérêt qu’un tel modèle de société triomphe ? Ne serait-il pas grand temps que nous nous penchions sur notre avenir ? Je reviens sur cette idée plus bas.
Il n’y a pas que l’Anglo-saxon qui soit perfide. A coups de citations, Michel Onfray s’est engagé dans une démolition du couple Sartre / Beauvoir, les Bonnie and Clyde de la philosophie. Apparemment, ils voulaient la célébrité et ils étaient prêts à tout lui sacrifier, à commencer par la rigueur intellectuelle.
Mais doit-on juger une œuvre à la vie de son auteur ? Sartre a dit « L’important, ce n’est pas ce que l’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous. » Si sa vie est un contrexemple de sa déclaration, il me semble qu’elle donne une solution à nos difficultés du moment. La société nous fait souffrir en nous prescrivant des orientations contradictoires (cf. Lara Croft plus haut). Pour sortir de là, une seule issue, selon moi : se projeter dans l’avenir, c’est-à-dire, se demander ce que nous avons envie d’être. L’existence précède l’essence, selon ce même Sartre. Il faut créer son identité, à partir de l'inné et de l'acquis, et des circonstances du moment. C’est l’idée même du concept de résilience : notre capacité à nous réinventer. Le billet de Dominique Delmas et du paraplégique en est une illustration, parfaite.
Un article de Psychology today va dans ce sens. Il traite du stress. Le stress peut être bon ou mauvais. La différence ? L’impression de subir ou non son sort.
Quant à ma propre projection, elle est peut-être plus proche du comportement de Jean-Paul Sartre que de ses paroles. Je me laisse aller à l’esprit du temps. Un éditeur m’a reproché de ne pas parler de la version française (qu’il a publiée) d’un livre que j’ai commenté. Il n’a pas compris que je ne suis pas un service public. Selon la théorie de l’économiste Mancur Olson, l’individu laissé à son intérêt peut faire un peu de bien collectif, dont pourront profiter quelques parasites. Mais ce ne sera pas parfait. Par exemple, le propriétaire d’une usine construira une route pour l’approvisionner, qu’utiliseront gratuitement ses riverains. Cependant, elle sera peu pratique et peu sûre. Pour réaliser l’intérêt général, au moindre coût pour chacun, il faut un acteur qui représente l'intérêt collectif. C’est ça un service public.