Le gouvernement multipartis en Grèce (conservateurs, socialistes et gauche modérée) est pris en tenaille entre ses bailleurs de fonds, qui exigent un nouveau plan d'austérité de 11,5 milliards d'euros pour 2013 et 2014, et le peuple qui ne supporte plus les conséquences sociales de cette rigueur massive. Il est vrai que le gouvernement grec a cédé à peu près tout ce qui restait de souveraineté nationale à la troïka...
Pour répondre aux injonctions de la troïka (BCE + FMI + UE), et obtenir le déblocage en septembre d'une tranche du prêt de 31,5 milliards d'euros tiré des 130 milliards d'euros accordés en février, le gouvernement s'apprête à reprendre son programme de mise en réserve de 40 000 fonctionnaires (c'est-à-dire leur donner 40 % de leur traitement pendant un an avant de les licencier), réduire les dépenses des ministères, fusionner plusieurs organismes publics, baisser les traitements des fonctionnaires, baisser les retraites, couper dans les aides sociales,... Mais comme cela ne devrait pas suffire, il est prévu un important programme de privatisation des entreprises publiques : aéroport d'Athènes, loterie publique, paris sportifs, société de distribution et de gestion du gaz naturel, etc.
Rien d'étonnant donc, comme je l'avais évoqué dans ce billet, que les Grecs perdent confiance en leur système financier, au point qu'entre les élections du 6 mai 2012 et le 24 mai 2012 ils avaient retiré entre 2,5 et 3 milliards d'euros de leurs comptes en banque. Depuis le début de la crise en 2009, les dépôts des banques grecques n'ont cessé de fondre, les retraits avoisinant les 2,5 milliards d'euros par mois en moyenne !
Ce phénomène de retrait s'explique d'abord par la crainte de voir les banques grecques faire faillite, d'autant que la BCE avait cessé de fournir des liquidités à certaines banques grecques en raison de leur sous-capitalisation... Mais il y a également la crainte d'un retour à la drachme qui pousse aussi les Grecs à conserver des bas de laine en euros, sachant que la nouvelle monnaie nationale sera fortement dévaluée par rapport à l'euro (50 % semble être une estimation sérieuse). En outre, lorsque le climat économique et politique se dégrade dans un pays, les gens préfèrent avoir des liquidités pour payer, ce qui n'est pas sans rappeler la préférence pour la monnaie dont parlait déjà Keynes.
Les politiciens grecs répétaient et répètent encore à l'envi que ces nombreuses saignées économiques permettront au pays de se relancer. Or, force est de constater que malgré les incantations, rien ne vient... Pire que cela, le PIB devrait encore se contracter de 4,5 % en 2012 selon la Banque de Grèce, après une baisse de 6,9 % en 2011 !
[ Source des données : Eurostat ]
Quant au chômage, celui-ci est devenu endémique avec un taux record de 23 % de la population active au mois de mai 2012 ! Pour le dire autrement, le taux de chômage a été multiplié par deux depuis 2010 :
[ Source : Capital.fr ]
Je n'ai pour ma part de cesse de répéter que l'austérité généralisée au sein de la zone euro conduira nécessairement à une implosion de la monnaie unique, puisque d'aucuns semblent oublier que l'Union européenne est aussi une vaste zone de commerce interne et que les problèmes économiques des uns finissent dès lors par devenir ceux des autres (Cf; l'Allemagne). Paul Krugman, prix Nobel d'économie, cite même désormais l'Europe en exemple pour expliquer à ses concitoyens américains que les plans de rigueur constituent une politique économique inefficace et mortifère ! Dans son billet de blog "le suicide économique de l'Europe", il conclut : "Plutôt que d'admettre qu'ils se sont trompés, les dirigeants européens semblent déterminés à faire tomber leur économie - et leur société - d'une falaise. Et c'est le monde entier qui en paiera le prix"...
Mais cela n'empêche pas les dirigeants européens de continuer sur la voie de l'austérité, comme en témoignent la ratification prochaine Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG, dit Pacte budgétaire) qui s'annonce déjà comme un instrument qui portera l'estocade à la zone euro... J'en avais rendu compte dans ce billet où j'expliquais qu'il s'agirait d'un accord intergouvernemental - imposé par la France et l'Allemagne - engageant les 17 États-membres de la zone euro et quelques volontaires kamikazes à renforcer notamment la discipline budgétaire au sein de la zone euro avec pour objectif d'aboutir à l'équilibre des budgets nationaux. Au final, ce traité est surtout le moyen de graver la rigueur budgétaire, et ce faisant le programme néolibéral, dans les piliers de l'Union européenne...
Et ce ne sont pas les propositions de croissance de François Hollande qui changeront l'orientation de ce traité. Qui peut en effet croire que ces fonds alloués sur 4 ans à la croissance pourront compenser les 240 milliards que coûtent chaque année les plans d'austérité dans la zone euro ? Au reste, une impulsion d'à peine 1 % du PIB européen ne suffira sans aucun doute pas à avoir un impact macroéconomique déterminant.
En définitive, disons-le sans ambages : la Grèce fera tôt ou tard défaut sur sa dette, car le pays se trouve en effet dans une situation d'insolvabilité budgétaire et extérieure qui ne peut s'améliorer, même avec une réduction importante de sa dette publique (voir mon billet Comment soigner une crise de solvabilité d'un État ? pour une analyse plus technique de ces questions de soutenabilité de la dette). Et ce n'est pas l'allongement de deux ans du calendrier de son programme d'austérité qui changera quelque chose.
De plus, l'entente entre les peuples en Europe ne permet pas d'espérer un éventuel fédéralisme salvateur : la Finlande n'a-t-elle pas annoncé qu'elle préparait son pays à une éventuelle sortie de l'euro ? Jörg Asmussen, membre du directoire de la BCE, n'a-t-il pas estimé qu’une sortie de la Grèce de la zone euro serait "gérable mais très coûteuse" ?
La suite risque donc fort d'être bien noire en Europe...
N.B : l'image de ce billet provient d'un article du site presseurop.eu