[Critique] HOLY MOTORS

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Festival de Cannes 2012 – Sélection Officielle – En Compétition

Titre original : Holy Motors

Note:
Origine : France
Réalisateur : Léos Carax
Distribution : Denis Lavant, Edith Scob, Eva Mendes, Kylie Minogue, Elise Lhomeau, Jeanne Disson, Michel Piccoli, Léos Carax…
Genre : Drame/Art et Essai
Date de sortie : 4 juillet 2012

Le Pitch :
La journée de Monsieur Oscar s’annonce longue. Il a neuf rendez-vous à honorer en 24 heures. Il voyage à travers Paris dans sa limousine blanche, conduite par son assistante Céline, et à l’aide d’une collection de maquillages et de déguisements, joue divers personnages. Errant entre des vies parallèles, c’est un acteur qui joue son rôle en le devenant véritablement. Au cours de son périple, il rencontrera d’autres personnes étranges, tout jouant leur rôle dans un monde qui gît dans la théâtralité…

La Critique :
Quand on lit que Holy Motors est le meilleur film du Festival de Cannes 2012, on s’attend à une blague, mais apparemment ce n’en était pas une. Oui, Michael Haneke est rentré vainqueur avec son film Amour, mais le favori de la critique était bel et bien le long-métrage de Léos Carax : un réalisateur qui ne s’était pas remis devant la caméra depuis 1999. On se demande si dans ce laps de temps, il n’est pas sorti pour s’aérer un peu les idées.

La bonne nouvelle, c’est que Carax fait son come-back après treize ans d’absence, et des idées, il en a. La mauvaise, c’est que son Holy Motors, s’il se distingue bien de ses semblables, est juste une autre des bêtises du Festival. Un délire kaléidoscopique, bizarre, vain, exaspérant, auto-indulgent, qui se casse magnifiquement la gueule et fait preuve d’une telle audace, qu’on se demande si le cinéaste est un génie ou a tout simplement perdu la boule.

Dans la grande tradition de ce genre de films, qui ne font pas dans la convention, Carax semble avoir oublié le scénario à la maison. Son œuvre est essentiellement une série de « meilleurs tubes » d’un film d’art et d’essai, structurés épisodiquement. Comme dans Cosmopolis, un homme étrange embarque dans une odyssée mystérieuse à travers un monde mourant dans sa limousine. Sauf qu’ici, c’est Monsieur Oscar, un acteur qui enfile des déguisements et joue des rôles sans être filmé : une mendiante qui parle en roumain, un père disciplinaire qui vient chercher sa fille après une fête, un tueur à gages qui tue son double, un vieil homme mourant dans son lit, un lutin qui kidnappe une mannequin… Denis Lavant endosse ses divers personnages comme un caméléon, et le travail qu’il apporte au métrage est fantastique.

Certains de ces passages sont chiants, d’autres sont marrants, tous sont bizarres. Carax pioche de droite à gauche dans la culture et fait un gros mélange de références maladroites au 7ème art, essaye sans grand succès d’explorer une variété de genres (science-fiction, fantastique, mélodrame, comédie musicale…), tout en se moquant de leurs conventions. Il référence aussi sa propre carrière, l’histoire du cinéma, et un tas de trucs filmiques obscurs qui lui sont chers. Quelques-unes de ces références sont subtiles : un peu de Métropolis par ci, deux ou trois trips Kubrickiens par là, une pincée d’évocations de Lewis Carroll, de Cocteau, et ainsi de suite. D’autres sont risibles tellement c’est lourdaud et flagrant, notamment cette séquence flashy de danse en tenue motion-capture censée évoquer l’univers du jeu vidéo et qui se rapproche bizarrement de Tron. Le cinéaste jette les ingrédients farfelus de sa soupe contre un mur en espérant que ça colle.

Mais qu’est-ce que cela veut dire, tout ça ? Peu importe. Cherchez bien, et Holy Motors vous donnera la métaphore que vous souhaitez. Carax, lui, semble vouloir se la jouer poétique : lui-même apparaît au début pour ouvrir son film, donne son nom au protagoniste (son vrai nom étant Alex Oscar, un anagramme de Léos Carax) et insère des commentaires lourdingues complètement dénués de subtilité sur le monde virtuel d’Internet qui domine le monde réel, et l’âge des caméras digitales signifiant la fin du cinéma. Certains font des comparaisons avec David Lynch, et c’est clair que Carax meurt d’envie de partager ses idées avec nous après une telle absence, mais elles ne sont pas toutes bonnes ou raisonnées. Lorsque Monsieur Oscar, dans le rôle de Mr. Merde (reprit du court-métrage Tokyo!), mange une poignée de fric comme si c’était un sandwich, le film prend le ton débraillé d’un projet d’étudiant qui fait de « l’Art Très Important Qui Signifie Quelque-chose ».

Holy Motors marche le mieux lorsque l’imagination et la créativité de Carax entrent en jeu, entraînant son œuvre vers des chemins intéressants. Quelques passages arrivent à atteindre un niveau hasardeux de beauté ou de lyrisme. L’énergie de son créateur est indéniable. Et superficiellement, c’est assez fun, finalement. Si on compte les grands moments de n’importe quoi dans le film, il y a de quoi s’en souvenir : des adresses de site web sur les tombes d’un cimetière, des répliques dérisoires (« Taxi ! Suivez ce pigeon ! », ou bien « Trois ! Douze ! Merde ! »), Kylie Minogue qui chante, une famille de chimpanzés, des voitures qui parlent…Bref, des délires euphoriques qui font bien marrer.

Étrange, somnolent, drôle, borné, énervant, inégal, bâclé, et complètement barjot, Holy Motors est difficile à prendre au premier degré ou à évaluer proprement. Mais qu’est-ce qu’on s’éclate. Surréaliste ? Sans doute. Prétentieux ? Certainement. Compulsivement regardable ? Absolument. Un navet excellent. Qui a dit que Cannes ne pouvait pas divertir ?

@ Daniel Rawnsley

Crédits photos : Theo Films