14.
J’ai fait un rêve étrange. J’étais un animal et je me baladais dans une forêt épaisse. Il régnait le plus profond silence. J’étais heureux, je ressentais une plénitude féroce. Le ciel parfaitement bleu était strié de nuages. Au loin, des oiseaux volaient d’arbre en arbre. Je voulais parler mais je n’y arrivais pas. Je me sentais libre. Ensuite je me suis observé dans une rivière. Il était clair que j’étais un animal mais lequel, difficile à dire. Je compris peu après que j’étais dans un rêve et que je n’avais nulle envie de replonger dans la réalité. Le rire m’attendait de pied ferme. J’ai donc poursuivi ma balade dans une nature luxuriante. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau, d’aussi spectaculaire. C’était un véritable défilé de couleurs, tout y était parfait. Soudain je vis un homme surgir. Il parlait une langue bizarre. Il donnait des ordres à d’autres hommes. Des guignols ou des soldats, je n’arrivais pas à savoir. Il s’approcha de moi. Il n’était pas question de fuir. J’étais trop lourd. Je compris à cet instant que j’étais un gros oiseau et je ne pouvais pas voler. De toute façon je n’étais pas animal à prendre la poudre d’escampette. J’ai quand même un ego. L’homme me posa une question en français, qui n’était vraisemblablement pas sa langue maternelle.
- Kri es tus ?
- Je suis un animal. Que voulez-vous ?
- Nus voutrons vus extemine juskro denie.
- Mais pourquoi ?
- Parccron aim votre groz crair doudue !
- Dodue, mais qui est doudue ici ?
- Toi grons cronard.
Et tout à coup la lumière fut, j’étais un Dodo. J’étais un foutu Dodo. J’étais le dernier des dodos. Et il voulait me tuer. Il voulait en finir avec ma race.
J’ouvris mes petites ailes pour fuir mais une force irrésistible me retenait par terre.
Ce rêve fut interrompu par la sonnerie de mon réveil.
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Rêve étrange en effet. Qui m’a donné une sacrée frousse. Pour être tout à fait franc, j’aurais préféré me métamorphoser en un cancrelat car cela fait plus chic. Un rêve Kafkaïen est quand même plus élégant qu’un rêve Hollandais.
Et puis une question demeure. Pourquoi est-ce que le Hollandais me parlait en français mais avec un accent Allemand ( ou apparemment Allemand ) ? Décidément les voies des rêves sont mystérieuses.
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Je suis réveillé depuis bientôt une heure. Je suis toujours dans la salle de bains. Je suis immobile. Il fait jour. Bientôt ma copine/fiancée viendra. Je me sens calme. Règne un grand vide en moi. Je suis à bout de souffle. Il faut que je m’en sorte. JE vais tenter de me mettre debout et de me rendre dans le salon. Je dois éviter tout objet qui pourrait susciter le rire. Il me faut quelques heures de répit. Je n’en peux plus. Si ça continue je vais perdre la tête. Je ne veux pas faire la une des journaux, "Haut fonctionnaire à l’asile parce qu’il n’arrive pas à s'arrêter de rire". Haut fonctionnaire au bout du rire et de l’enfer. Je ne veux pas qu’on jette l’opprobre sur ma famille. Je suis un homme normal et respectable.
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Elle arrive. J’entends les bruits de ses pas. Bientôt elle va frapper à la porte. Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Je ne dispose malheureusement pas de super pouvoirs. J’aimerais bien, je ne sais trop pourquoi d’ailleurs, voir à travers les murs. Mais dans ce cas précis, les super pouvoirs ne sont pas nécessaires. Je la vois clairement. Le visage ferme et sévère, elle monte à pas déterminés les escaliers, elle est la femme d’un seul objectif et quand elle a quelque chose en tête, rien ne peut l’arrêter, son fiancé ne lui parle plus depuis quelques jours et elle doit savoir pourquoi. Elle porte un churidar bleu pâle, elle a un sac a main noir ( qu’elle a acheté chez un marchand ambulant de la rue Desforges parce que généralement tout y est moins cher et une fille convenable doit toujours faire des économies ), dans ce sac il y a un téléphone portable Nokia ( acheté en promo chez Mastodonte ), un porte monnaie ( qui contient exactement rs 900, jamais plus ) et un livre ( le dernier Robin Sharma – ce grand penseur contemporain - qu’elle compte m’offrir pour me remonter le moral ). Elle progresse irrésistiblement vers cette porte et rien ne peur l’arrêter. Elle se meut dans l’espace comme un bolide. Et dans son esprit je ne vois qu’une chose, mon nom. Elle m’aime, elle veut m’aider, elle sera mon épouse, elle ne va jamais me laisser tomber.
Que peut-on faire face à une telle détermination ?
Je la vois et je ne peux m’empêcher de vouloir rire. Je suis désolé. Pardonne-moi. C’est une chic fille mais elle est trop parfaite. Elle est trop convenable. J’aimerais qu’elle se métamorphose ( pour un jour évidemment ) en chanteuse punk ou qu’elle se mette à exprimer des opinions subversives, qu’elle interroge le sens de la vie, de la société, qu’elle se révolte. Mais elle en est incapable. Il est des gens qui sont ainsi, qui demeurent jusqu’au dernier moment bien comme il faut.
Elle est à moins de cinq mètres de la porte désormais et je ne sais toujours pas quoi faire. Je vais exploser de rire. Je ne vais pas pouvoir y résister.
Il est faux de dire que je ne l’aime pas. Elle est, au contraire, parfaite. Je me sens coupable, je me sens mal.
Elle frappe à la porte.
Chéri es-tu là ?
Mes entrailles sont sur le point de rompre. Le rire émerge. La déferlante va commencer.
Chéri es-tu là ? Tu veux bien ouvrir s’il te plaît ?
Le rire monte. Je mets ma main sur ma bouche. Je ne dois pas rire.
Chéri es-tu là ?
Qu’est-ce qui va arriver maintenant ? Est-ce que le rire parviendra à me dominer une fois de plus ? Est-ce qu’elle s’en ira les larmes aux yeux ?
Est-ce que le rire instiguera la défaite de notre amour ?
Ou est-que notre amour vaincra le rire ?
( Musique doucereuse maintenant de télénova et la caméra se fige sur mon visage qui se tord dans une expression de douleur )
Vous en saurez plus très bientôt mais avant je dois effectuer un flash-back. Vous comprendrez pourquoi après. Cette technique cinématographique a ses avantages. Mais ce n’est ni le moment, ni le lieu pour faire un cours de cinéma.
Umar Timol
(à suivre).