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Le Café Zimmermann (2001)Voici un roman dont on sort sans souffle, étouffé par les phrases que Catherine Lépront ajuste à ses personnages comme des habits non de scène mais de vie, stupéfait des découvertes amenées page après page, ébloui d'une beauté qui ne se laisse pas saisir facilement mais qui, une fois perçue, ne vous lâche plus.Le Café Zimmermann est beaucoup de choses à la fois. Il est d'abord un superbe livre qui, loin du tumulte de la rentrée littéraire où l'agitation médiatique risque de se concentrer sur quelques titres, aurait sans doute créé un choc authentique. Il serait regrettable que la date de sa parution empêche de ressentir ce choc et de partager de grands moments de lucidité artistique. C'est bien d'art en effet qu'il est question ici, de musique en particulier, mais d'art et de musique pour révéler à soi-même ce qu'on est.Le Café Zimmermann, puisque tel est le titre, évoque un endroit où Bach avait rencontré son meilleur auditoire. Loin des pressions sociales qui lui imposaient un travail alimentaire - et si peu nourrissant pour sa grande famille -, il pouvait y développer ses trouvailles en toute liberté. Dans cet endroit de Leipzig, il oubliait les contraintes de ses fonctions successives et se livrait à l'art pur.De Bach, il est beaucoup question dans le roman, et pour cause: Vilhem Zachariasen, qui dirige l'Ensemble du Nord, en est un des grands spécialistes. Il vit avec sa musique et connaît la vie du compositeur dans ses moindres détails, qu'il ne manque jamais de rappeler à tous ceux qu'il a à portée de voix, serait-ce même pendant une répétition ou un cours. Exigeant avec lui-même dans l'interprétation qu'il fait au clavecin, exigeant avec les autres, il apporte avec lui, dans la ville qui l'accueille pour trois concerts dans le cadre d'un festival, un air d'absolue liberté qui détonne dans le paysage local. Avant lui, tout était pesé et empesé, chacun à sa place et dans son rôle. Après lui, plus rien ne sera pareil, comme s'il avait ouvert non seulement à la musique mais aussi et surtout à la vérité de chacun. Chacun, alors, de reconsidérer sa place dans le monde pour se trouver une meilleure raison d'être.Le cas le plus frappant est celui de Joséphine. Elle n'a jamais fait partie d'un couple avec son mari qui, d'ailleurs, collectionne les aventures. Ce n'est pas le plus grave: le vrai couple, dans la maison, est celui constitué par le mari et sa mère, d'où Joséphine se sent totalement exclue. Quand l'Ensemble du Nord, et surtout son violoncelliste, se pose dans la ville, l'avenir se dessine autrement, certes meilleur mais surtout tellement différent que le passé donne l'impression d'avoir été totalement oublié. Chaque personnage a sa fonction dans Le Café Zimmermann. Certains, comme Hanne, la merveilleuse épouse de Vilhem Zachariasen, pour rendre l'atmosphère plus légère. D'autres, comme Thérèse-Ida, épouse de l'adjoint au maire, sans cesse en mission culturelle et y connaissant moins que rien, pour rappeler la pesanteur des structures inutiles qui tuent l'art - si les artistes se laissent faire, ce qui n'est pas le cas ici. Deux conceptions de l'existence s'opposent, avec dans chacune d'elles beaucoup de possibles nuances. Il y a à faire un choix définitif entre l'asservissement aux conventions et la rupture avec celles-ci. Le roman de Catherine Lépront tout entier plaide évidemment, bien que sans aucun discours, en faveur du deuxième choix. Il le fait en donnant la parole à de nombreux personnages, sans qu'on sache toujours immédiatement qui est le récitant du moment. Comme dans un concert qu'on écoute les yeux fermés, on ne sait pas immédiatement quel instrument vient d'entamer une phrase. Un bref instant, il n'y a que la musique, pour elle-même, privée d'interprète, puis il devient clair qu'il s'agit d'un instrument plutôt que d'un autre. Le texte, ici, fonctionne de la même manière et court d'une voix à une autre, qui se répondent, qui se trouvent, s'échappent. Dans les meilleurs cas, une construction très élaborée s'efface derrière la beauté de l'ensemble. C'est ce qui arrive dans ces pages. Sitôt les a-t-on refermées qu'on a envie de les reprendre, par bribes, pour se redonner le bonheur d'entendre à nouveau la grâce absolue.
Esther Mésopotamie (2007)Partons du principe que la narratrice du nouveau roman de Catherine Lépront est l'intermédiaire entre l'auteur et le lecteur. Il faut bien que quelqu'un guide celui-ci dans l'univers qui s'installe dès les premières pages de Esther Mésopotamie. Et qu'elle se charge de présenter des personnages qu'elle connaît depuis vingt ans, depuis qu'elle travaille avec le professeur Osias Lorentz, expert en antiquités, appelé sans cesse aux quatre coins du monde pour donner son avis sur certaines pièces, quand il ne fait pas cours à l'université de Damas. Cela lui laisse peu de temps pour séjourner à Paris et il n'est, au début du livre, pas beaucoup plus qu'une silhouette élégante. Un homme cultivé et séduisant.En revanche, Anabella Santos João, «la Santos» comme on l'appelle familièrement, occupe toute la place. Il est vrai qu'elle a quatre vies, dont trois simultanées. La quatrième, chronologiquement la plus ancienne, s'est terminée il y a trente ans, quand elle est arrivée à Paris. Faisant du même coup une croix sur son enfance et son adolescence au Cap-Vert. Elle n'avait pas tout à fait l'âge indiqué sur son passeport, elle n'avait pas l'intention d'entamer les études qu'elle venait officiellement suivre en France. Et elle avait perdu ses valises. Osias Lorentz, attiré par le bruit qu'elle faisait dans l'aéroport, intrigué par l'énergie de ce petit bout de femme filiforme, l'a prise en charge et lui a offert ses trois autres vies. Pendant lesquelles Ana a pris un kilo par an - trente, donc - sans rien perdre de sa légèreté ni de sa vivacité. Mais sa présence en impose, dans tous ces rôles. Elle est d'abord la gardienne du bric-à-brac qui s'entasse chez son « Doktor », titre qui lui plaît depuis qu'elle l'a lu sur une enveloppe. Elle est aussi la secrétaire de Lorentz, tâche dont elle s'acquitte si consciencieusement qu'elle ouvre même avec discrétion le courrier personnel. Elle est, enfin, devenue la gardienne de l'immeuble. Sa personnalité massive, voire agressive tant elle semble surtout attachée à défendre son bienfaiteur contre toutes les intrusions, retient autant l'attention de la narratrice que la nôtre.La personnalité d'Osias Lorentz met un peu plus de temps à se dessiner. Très absent, nous l'avons dit, il se consacre presque tout entier à ses travaux. Mais garde aussi à l'esprit une mystérieuse Esther qui, dit-il, ne partage pas l'amour qu'il lui porte. De cette inconnue, Ana et la narratrice sont maladivement jalouses. Elles la détestent sans la connaître, tandis que les précédentes épouses de Lorentz, reléguées dans le passé, font partie d'un décor oublié depuis longtemps. Mais voir «leur» homme que, d'une certaine manière, elles se partagent, qu'elles aiment toutes les deux sans se l'avouer, attaché à une inconnue, est tout à fait insupportable!Savoir qui elle est, si nous la rencontrerons un jour - à supposer qu'elle existe, s'interroge la narratrice -, voilà toute l'énigme du roman. Entièrement bâti autour de cette figure à construire ou à découvrir. Catherine Lépront tourne autour d'Esther qui occupe d'autant plus les esprits que nous ne savons rien d'elle. La narratrice moins encore, peut-être, que n'importe qui. Car, pour avoir son histoire où tout n'est pas rose, cette femme a surtout besoin de comprendre quelle place elle occupe dans un environnement où elle se sent bien: la proximité d'Osias Lorentz et d'Anabella. Avez-vous vu le motif dans le tapis?
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