Moi qui viens de quitter Londres pour me planquer en Suisse, il paraît que j’ai été très mal avisé. The Times recense une étude menée par Jane, le magazine de défense britannique, qui me révèle que l’Angleterre est jugée bien plus sûre, prospère et stable que la Suisse. Le premier de la classe est le Vatican, et le dernier est Gaza. L’Angleterre arrive en septième place, la Suisse en dix-septième. Après le Danemark, après l’Autriche, après l’Allemagne. Diable, dois-je croire que le quai d’Ouchy est plus dangereux que l’East End ? Devrai-je bientôt glisser un cran d’arrêt dans mon panier de courses ?
Les critères sur lesquels se basent les enquêteurs sont paraît-il très objectifs et non politisés. Ils imputent une bonne part de l’instabilité croissante de notre pauvre pays à ce qu’ils qualifient de political divide, un phénomène trop extraordinaire pour ne pas être menaçant. La division dont il est question est celle provoquée par l’UDC et par cet épouvantail de service qu’est devenu Blocher. D’autres articles de Jane couvrant les événements de l’automne dernier, des élections d’octobre au tyrannicide de décembre, soulignent à grand renfort d’épithètes le gouffre qui est en train de s’ouvrir sous les pieds dodus de l’heureuse mais inconsciente Helvétie. En revanche l’Angleterre, en dépit des attentats de 2005, de ceux qui ont été évités de justesse depuis, des dizaines d’adolescents en bas âge assassinés au cœur de Londres et des déconvenues financières en série des derniers mois, l’Angleterre est paraît-il remarquablement stable et sûre pour qui désire s’y aventurer.
Un des intérêts majeurs de cet article du Times réside dans son titre : « If you think it’s bad here, don’t try Switzerland ! » (Si vous pensez qu’ici c’est mauvais, n’essayez pas la Suisse !) Icône absolue de sérénité et de prospérité, la Suisse est un sujet de conversation de plus en plus fréquent outre-Manche. Depuis les récentes propositions de Gordon Brown en matière fiscale, on assiste à un exode massif des sujets de sa Gracieuse Majesté, et de leurs sociétés financières, sur les rivages du lac Léman. Plus qu’une provocation potache, le titre devrait donc se lire comme un appel très sérieux aux lecteurs du Times à ne pas quitter Londres. « Méfiez-vous des apparences : la Suisse, ça n’est pas si bien que ça, » suggère en substance le journaliste.
On ne va pas jouer les patriotes outrés mais déclarer que la Suisse est plus instable et moins sûre que l’Angleterre ne peut que faire sourire ceux qui ont vécu dans les deux réalités. Malheureusement c’est avant tout sur des critères externes que se jouent les grandes batailles d’aujourd’hui. Or en quelques occasions récentes la Suisse, quelle que soit sa condition réelle et effective, a donné d’elle-même une image peu avantageuse, en désaccord avec elle-même et souvent trop semblable à ses grands voisins. Ainsi en dépit des assurances offertes par Jane, l’étude publiée se fonde bel et bien sur le subjectif et le politique. L’image de la Suisse est probablement un de ses plus sérieux atouts dans le monde. Lorsque celle-ci, ou même seulement la perception de celle-ci se détériore, et même si ça n’est que pour des raisons hypocrites, c’est qu’une bataille importante est en train d’avoir lieu. Notre histoire récente nous suggèrerait de ne pas en faire peu de cas.