Du domaine des Murmures faisait partie de ces bouquins que je me promettais de lire, malgré un résumé laissant craindre une austérité que l'été me donnais le courage d'affronter :
En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui » à Lothaire que son père a choisi pour elle comme futur époux. Elle veut faire respecter son vœu de s'offrir à Dieu, et se fait emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe...
Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures, et ce souffle l'entraînera jusqu'en Terre sainte.
La quatrième de couverture promet que Carole Martinez donne ici libre cours à la puissance poétique de son imagination et nous fait vivre une expérience à la fois mystique et charnelle, à la lisière du songe. Elle nous emporte dans son univers si singulier, rêveur et cruel, plein d'une sensualité prenante.
Il y toujours de l'autobiographie dans un livre ... parfois si bien cachée qu'elle en est indébusquable. Et je m'interrogeais sur ce qui avait pu pousser l'auteur à un tel sujet pour son second roman.
Il y a aussi toujours de la vérité ... parfois même à l'insu de celui qui écrit. On s'étonne tant des "hasards" qui nous font choisir de lire ce livre-là à ce moment-là ... De fait, en glissant Du domaine des Murmures dans ma valise avant de partir pour la Franche-Comté, je ne me doutais pas du choc que j'allais vivre, dès la deuxième page avec ces mots : la tour seigneuriale déploie ses ailes dépareillées au sommet d'une falaise abrupte au pied de laquelle coule la Loue.
Et pour cause. J'ai appris depuis que Carole Martinez avait en quelque sorte tout inventé, mais à partir d'une réalité qu'elle avait approchée d'aussi près que si elle y avait mis les pieds. Une suite de concours de circonstances alors qu'elle cherchait le cadre de son roman, initialement contemporain et orienté autour du mythe de Barbe Bleue (ce qui est d'autant plus surprenant que c'est précisément le titre du dernier Amélie Nothomb, lui aussi dans mes bagages ...) l'a menée jusqu'au château de Montal à Saint-Céré, dans le Lot, (pas très loin d'où j'ai passé mes vacances ... l'an dernier ... hasard encore) construit par une Jeanne de Balzac au XVI° siècle, pour son fils, qui se présente comme un livre ouvert inachevé. Elle a fait écrire sur la pierre d'une façade tous les symboles du bonheur et de la famille, et ceux de la perte du deuil et de la folie sur l'autre corps.
C'est cette voix qui a inspiré l'écrivain et l'a conduite jusqu'aux recluses, quasiment enterrées vivantes pour prier. Elle a essayé de comprendre le phénomène jusqu'à écrire un roman qui n'a plus rien de contemporain. Du moins en apparence car les thèmes qui sont traités résonnent encore à nos oreilles.
L'écrivain nous y promène, traçant un chemin, pour elle imaginaire, pour moi bien réel, entre la cathédrale Saint-Jean de Besançon et la source bleue, qui coule près du champ de la fée verte à Malbuisson.
Le coeur des hommes est lui aussi sondé, aussi bien Lothaire que ce père tout puissant qui vont tous deux évoluer tout au long du récit. Bref, un très beau roman à lire avant, pendant ou après les vacances ... et qui, quel que soit le moment vous transporte très loin.
Du domaine des murmures de Carole Martinez, 2011, 208 pages, Prix Goncourt des lycéens 2011
Illustrations : Sources de la Loue, dans le Haut DoubsLes contrefort d'Ornans, DoubsChateau de Fondremand, Haute-SaôneLa chapelle de Notre Dame des Anges, sur la commune d'Ouhans, DoubsLe clocher de la cathédrale Saint-Jean de BesançonLa source bleue de Malbuisson, dans le Doubs