Je lis beaucoup tout au long de l'année, et même si les vacances sont tout de même synonyme de repos je ne m'arrête pas pour autant. Et je profite de ce temps entre parenthèses pour découvrir des livres que je n'ai pas eu le temps d'ouvrir ... ou au contraire ceux qui vont bientôt paraître et dont je vous parlerai lorsque l'omerta sera levée par leurs éditeurs (à partir du 23 août).
Du domaine des Murmures faisait partie de ces bouquins que je me promettais de lire, malgré un résumé laissant craindre une austérité que l'été me donnais le courage d'affronter :
En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui » à Lothaire que son père a choisi pour elle comme futur époux. Elle veut faire respecter son vœu de s'offrir à Dieu, et se fait emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe...
Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures, et ce souffle l'entraînera jusqu'en Terre sainte.
La quatrième de couverture promet que Carole Martinez donne ici libre cours à la puissance poétique de son imagination et nous fait vivre une expérience à la fois mystique et charnelle, à la lisière du songe. Elle nous emporte dans son univers si singulier, rêveur et cruel, plein d'une sensualité prenante.
Il y toujours de l'autobiographie dans un livre ... parfois si bien cachée qu'elle en est indébusquable. Et je m'interrogeais sur ce qui avait pu pousser l'auteur à un tel sujet pour son second roman.
Il y a aussi toujours de la vérité ... parfois même à l'insu de celui qui écrit. On s'étonne tant des "hasards" qui nous font choisir de lire ce livre-là à ce moment-là ... De fait, en glissant Du domaine des Murmures dans ma valise avant de partir pour la Franche-Comté, je ne me doutais pas du choc que j'allais vivre, dès la deuxième page avec ces mots : la tour seigneuriale déploie ses ailes dépareillées au sommet d'une falaise abrupte au pied de laquelle coule la Loue.Une grande balade était programmée le lendemain et je n'avais pas étudié la carte de près. Nous nous rendions pourtant au bord de cette "tranquille rivière qui lèche l'escarpement rocheux, s'appliquant à dessiner depuis toujours les mêmes boucles vertes sur la terre."La vallée de la Loue est effectivement magnifique, avec ses eaux vertes évocatrices de sortilège, encadrée de falaises abruptes si joliment peintes par Gustave Courbet.Nous nous sommes tous amusés à chercher le château bravant le vide, dominant un horizon noir de forêts et sommes revenus, enchantés de la beauté des paysages, croyant l'apercevoir ici ou là et finalement un peu déçus de n'avoir pas foulé le décor.
Et pour cause. J'ai appris depuis que Carole Martinez avait en quelque sorte tout inventé, mais à partir d'une réalité qu'elle avait approchée d'aussi près que si elle y avait mis les pieds. Une suite de concours de circonstances alors qu'elle cherchait le cadre de son roman, initialement contemporain et orienté autour du mythe de Barbe Bleue (ce qui est d'autant plus surprenant que c'est précisément le titre du dernier Amélie Nothomb, lui aussi dans mes bagages ...) l'a menée jusqu'au château de Montal à Saint-Céré, dans le Lot, (pas très loin d'où j'ai passé mes vacances ... l'an dernier ... hasard encore) construit par une Jeanne de Balzac au XVI° siècle, pour son fils, qui se présente comme un livre ouvert inachevé. Elle a fait écrire sur la pierre d'une façade tous les symboles du bonheur et de la famille, et ceux de la perte du deuil et de la folie sur l'autre corps.
C'est cette voix qui a inspiré l'écrivain et l'a conduite jusqu'aux recluses, quasiment enterrées vivantes pour prier. Elle a essayé de comprendre le phénomène jusqu'à écrire un roman qui n'a plus rien de contemporain. Du moins en apparence car les thèmes qui sont traités résonnent encore à nos oreilles.Voilà pourquoi ce livre se lit facilement, faisant découvrir un aspect du Moyen-Age encore méconnu, et indirectement des territoires un peu secrets où j'ai trouvé une vraie douceur de vivre. A l'instar de sa voisine lorraine, la Franche-Comté est une région magnifique où les habitants sont d'une gentillesse qui ne passe pas inaperçue pour les parisiens qui ne sont pas habitués à tant de sollicitude.
L'écrivain nous y promène, traçant un chemin, pour elle imaginaire, pour moi bien réel, entre la cathédrale Saint-Jean de Besançon et la source bleue, qui coule près du champ de la fée verte à Malbuisson.Carole Martinez rend merveilleusement compte de l'emprise du père, seigneur et maitre, dont son héroïne se libère, non pas en fuyant, mais en s'enmurant. Elle décrit aussi parfaitement les sentiments de la jeune mère pour qui (page 70) l'enfantement n'est pas seulement une torture physique, mais une peur attachée comme une pierre à une joie intense.
Le coeur des hommes est lui aussi sondé, aussi bien Lothaire que ce père tout puissant qui vont tous deux évoluer tout au long du récit. Bref, un très beau roman à lire avant, pendant ou après les vacances ... et qui, quel que soit le moment vous transporte très loin.
Du domaine des murmures de Carole Martinez, 2011, 208 pages, Prix Goncourt des lycéens 2011
Illustrations : Sources de la Loue, dans le Haut DoubsLes contrefort d'Ornans, DoubsChateau de Fondremand, Haute-SaôneLa chapelle de Notre Dame des Anges, sur la commune d'Ouhans, DoubsLe clocher de la cathédrale Saint-Jean de BesançonLa source bleue de Malbuisson, dans le Doubs