A l'approche de la fin des vacances estivales, revient chaque année le "hype cycle" Gartner des technologies émergentes et ses multiples dérivés. L'édition 2012 réserve peu de surprises et s'avère en continuité directe avec la précédente. Les analystes profitent justement de ce calme relatif pour s'attarder sur quelques scénarios de rupture majeure, stimulés par les dernières tendances identifiées.
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, rappelons que le "hype cycle" est une représentation graphique du modèle universel d'évolution de la maturité des nouvelles technologies, de leur émergence à leur généralisation, en passant par un "pic" d'enthousiasme excessif (la période du "buzz"), suivi par un "puits" des désillusions (lorsque les "sur-promesses" ne sont pas tenues). L'objectif de cet exercice est de donner aux stratèges des entreprises une idée des thèmes qu'ils doivent surveiller, au bon moment.
Pour la plupart des technologies présentes dans le "hype cycle", la progression de maturité entre 2011 et 2012 suit son cours "normalement". Parmi celles qui nous intéressent particulièrement, il faudra ainsi noter l'entrée (indiscutable) du paiement sans contact (NFC) dans la phase de désenchantement après son passage au pic du buzz l'an dernier. Quelques thèmes se démarquent tout de même. C'est le cas notamment des tablettes média (iPad et autres), dont le succès fulgurant les amène déjà sur la voie de la "lumière", en ayant pratiquement "sauté" l'étape des désillusions. Pour d'autres enfin, le pessimisme est de mise, comme l'illustre l'internet des objets dont la perspective de généralisation s'éloigne désormais à plus de 10 ans.
Cependant, les changements les plus intéressants sont certainement les nouvelles entrantes. En particulier lorsqu'il s'agit du paiement mobile via Internet ("OTA") qui s'affiche aux portes de la montée d'adoption. La comparaison avec le paiement NFC est sans appel et laisse planer un doute (de mon point de vue) sur la viabilité de ce dernier au vu de son "retard". Dans un tout autre registre, la vague du "BYOD" ("Bring Your Own Device", l'utilisation des appareils personnels dans le cadre professionnel) est (très logiquement) au sommet des attentes excessives, prête à subir l'épreuve de la défiance.
Afin de pimenter un peu cette livraison du "hype cycle", finalement légèrement insipide, Gartner imagine un nouveau concept de "point de bascule" ("tipping point"), permettant de projeter les technologies émergentes dans des scénarios plus larges (sociétaux, dans certains cas), qui offriront les futures opportunités de développement de valeur pour les entreprises. L'idée sous-jacente est qu'il existe une multitude de tels scénarios aujourd'hui, qui ne se concrétisent pas pour cause d'immaturité de 2 ou 3 technologies essentielles : celles-ci constituent les "points de bascule" (une fois qu'elle sont adoptées, le scénario peut se réaliser).
Dans le cas du paiement, la vision proposée est celle d'un monde sans espèces, où tous les échanges d'argent sont électroniques, et donc plus efficaces et traçables, tout en offrant commodité et sécurité aux consommateurs. Selon Gartner, les principales technologies impliquées sont celles du paiement mobile (internet ou NFC) et l'authentification biométrique, ainsi que, plus indirectement, les AppStores mobiles, la reconnaissance de contenus, l'internet des objets... Mais ici, naturellement, les "points de bascule" sont à rechercher dans la maturité des solutions de paiement mobile.
Moins trivial, le scénario de la "voix du client" décrit un futur où toutes les interactions sociales des consommateurs sont présentes et accessibles dans le "cloud", prêtes à être analysées pour offrir un meilleur service ou produit, personnalisé. Les technologies facilitatrices sont nombreuses, du "cloud computing" aux "big data", en passant par les outils analytiques des réseaux sociaux, les flux d'activité, la reconnaissance vocale, l'analyse textuelle, le crowdsourcing... Dans ce cas, les "points de bascule" seront les technologies "big data" et la réaction à l'invasion de la vie privée (si je comprends bien, une "crise" d'atteinte à la vie privée devra être franchie avant d'atteindre un "compromis" satisfaisant pour tous).
Les analystes promettent depuis longtemps l'émergence de nouveaux modes d'interactions humaines avec les technologies, plus "naturels" que le clavier et la souris qui prédominent encore aujourd'hui. Il s'agit donc bien d'un scénario à considérer, s'appuyant sur la traduction en temps réel, le contrôle gestuel, la reconnaissance vocale et bien d'autres encore. Beaucoup de ces technologies commencent en fait à se répandre (voir Nina et Lola, par exemple) mais, étonnamment, Gartner estime que ce sont NFC et les systèmes de réponse aux questions en langage naturel qui déclencheront la généralisation. Pourquoi NFC ? L'inspiration vient des TecTiles de Samsung, qui proposent de réaliser une action donnée sur son téléphone mobile (par exemple le mettre en mode silencieux à l'entrée d'une salle de spectacle) en le passant simplement devant un tag NFC.
Un autre concept qui fait rêver de longue date est celui de l'universalité des services et fonctions, sur n'importe quel appareil, à tout moment et en tout lieu. Il se trouve aujourd'hui alimenté par la consumérisation (l'introduction dans les entreprises des équipements destinés au grand public) mais reposera aussi sur l'évolution du "BYOD", du "cloud computing", des tablettes, ainsi que sur des technologies "brutes" telles que HTML5 ou le PC virtuel hébergé (HVD). Or, ce sont justement ces deux dernières que Gartner retient comme "points de bascule" : les DSI ont là un rôle important à jouer pour rendre ce scénario possible !
Comme d'habitude avec ce type d'analyse, les avis et conclusions émis peuvent aisément prêter le flanc à la critique et tous ne doivent pas nécessairement être pris au pied de la lettre. En revanche, les "hype cycles" de Gartner sont (à mon avis) d'une valeur inestimable pour mettre l'accent sur les innombrables technologies qu'il faut impérativement connaître, surveiller et, le moment venu, expérimenter et mettre en œuvre. Quant aux "tipping points" (qui me semblent encore plus discutables), ils ont au moins le mérite de projeter les réflexions dans le monde réel (et non uniquement celui de la technologie), ce qui constitue évidemment un modèle à suivre (et à prolonger).