Dans un billet du mois de mai dernier, j'évoquais mes souvenirs de voyage en Amérique latine en parallèle avec la crise sociale qui secouait le Québec.
Si je reviens avec ce sujet aujourd'hui, c'est qu'une relecture de quelques notes de mon passage au Pérou m'est apparue particulièrement intéressante, en regard des événements que l'on a vécu au Québec ce printemps et permettent également d'éclairer les politiques préconisées autant par le Parti Libéral qui cherche à obtenir un 4e mandat que la CAQ de François Legault pendant cette campagne électorale. Ces observations au Pérou, en 2007, ont été notées après avoir parcouru Lima, Arequipa, Puno, Cusco et Juliaca, avoir assisté à deux manifestations des travailleurs miniers et traversé deux de leur blocus routiers, à Ayaviri et Juliaca, pris un vol de Juliaca à Cusco sous surveillance militaire et asisté à deux manifestations des enseignants, à Arequipa et Cusco en plus d'une contre-manifestation de l'industrie touristique *.
(Les extraits de mon journal de voyage sont en italique et sont suivis de notes actuelles entre crochets).
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Le Président actuel [2007] du Pérou, Alan Garcia, a été élu en 2006. Garcia avait déjà dirigé le Pérou de 1985 à 1990, menant l'économie du pays littéralement en ruine. Lors de la fin de son mandat en 1990, sa gestion avait été considérée comme un échec total. Après avoir perdu les élections de 2001, il a donc repris le pouvoir l'an dernier en promettant surtout d'amoindrir les différences entre les riches et les pauvres du pays, et en mettant un frein aux politiques de droite du gouvernement précédent.
[Notes de 2012: Il semble que l'idée de se faire élire en promettant du changement et de prétendre qu'on n'est pas de droite ne soit pas si nouvelle que la CAQ voudrait nous le faire croire].
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Depuis son entrée en fonction, le gouvernement Garcia a signé un traité de libre-échange avec les Etats-Unis et des pourparlers pour signer le meme genre de traité avec le Canada ont justement débuté aujourd'hui, lundi 16 juillet 2007. Le gouvernement Garcia favorise grandement des politiques économiques néolibérales - une attitude vaguement basée sur les politiques chiliennes voisines- en stimulant l'investissement privé au pays, qu'il soit national ou étranger. Le résultat de ses politiques est que l'économie du pays est en progression, même si cette progression est lente. Par contre, l'encadrement de ces politiques est controversé, puisque l'écart entre les riches et les pauvres du pays semble se creuser plutôt que s'amoindrir.
Malgré ses ressources naturelles (or, argent, cuivre et pétrole), le pays souffre d'une situation économique qui n'est pas aussi dramatique que par le passé, mais plus de 52% de sa population vit sous le seuil de la pauvreté - et considérant le cout de vie ici, c'est dire que plus de la moitié des péruviens n'ont pratiquement rien, ni biens ni revenus.
[Notes de 2012: Promettre des mesures progressistes et gouverner à droite, échec des politiques néolibérales à améliorer le niveau de vie de la classe moyenne et des classes plus pauvres, airs connus. Exploitation des ressources naturelles sans que le pays n'en tirent de revenus conséquents, les parallèles avec la gouvernance Libérale sont éclairants].
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Un des déclencheurs des diverses manifestations anti-gouvernementales a été la nouvelle Loi sur l'évaluation des enseignants, que le gouvernement tient responsable de la médiocrité du système d'éducation péruvien. Résultat de ce projet de Loi; le syndicat des enseignants a déclenché une grève générale illimité partout au pays. Diverses manifestations publiques ont eues lieu parallèlement à l'arret de travail des enseignants, qui accusent le gouvernement d'utiliser cette loi pour faire des mises à pied massives et injustifiées.
Les travailleurs des mines s'en sont melés peu après, protestant entre autres contre l'absence de droits syndicaux, mais surtout contre la contamination des eaux potables engendrées par l'opération des mines. Ils ont été rapidement appuyés par les populations locales, puisque tout le sud contestent les politiques d'investissement privé. (...) Le résultat de ces manifestations et blocages routiers a complètement isolé certaines régions du sud du reste du pays; au moment d'écrire ceci, il n'y a plus de circulation entre les secteurs de Puno-Cusco-Juliaca et ceux d'Arequipa-Lima.
[Notes de 2012: Manifestations, remise en question de la compétence des enseignants, travailleurs syndiqués perdant leurs droits d'association et de grève légale, rien de nouveau dans notre printemps érable, non?]
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Les agriculteurs du sud, mécontents des politiques du gouvernement Garcia depuis le début de son mandat ont donc emboîté le pas dans ce qui semble devenir une manifestation générale de la population péruvienne contre son gouvernement. (...) Plus de 2500 paysans ont envahis la ville de Andahuaylas il y a quelques jours et la manifestation a dégénéré en violences et arrestations. Les agriculteurs ont imité les travailleurs des mines et bloqué la route vers Abancay, toujours dans la partie sud du pays. Aujourd'hui, on estime le nombre de paysans à avoir envahi quelques villes à 10000. La situation a atteint un point culminant les 11 et 12 juillet dernier, quand tout le pays a été paralysé par une grève générale, et qu'aucun transport n'était en fonction. Les travailleurs de la construction ont donc emboîté le pas aux autres manifestants et la crise semble avoir atteint toutes les strates de la société péruvienne.
[Notes de 2012: Gouvernement qui fait le sourd face aux manifestants, crise sociale qui s'étend à une autre strate de la population, ça rappelle l'intransigeance libérale et les manifs de casseroles citoyennes.]
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La première réaction du président Garcia a été de blâmer les partis d'opposition et de crier au complot de l'opposition pour déstabiliser le pays (...) Par la suite, Alan Garcia a qualifié les groupes de manifestants (agriculteurs, enseignants, travailleurs des mines et de la construction), de "dangereux communistes", une réaction qui a été ridiculisée dans tous les médias. (...) Suite aux dernières manifestations, le président a annoncé qu'il adoptait la ligne dure (main de fer) pour contrer les agitations et ramener la paix au pays. (...) Les grands titres d'aujourd'hui laissent croire que le gouvernement Garcia continue son attitude de la ligne dure contre les manifestants et prévois meme déposer une nouvelle loi imposant des sanctions aux dirigeants syndicaux et aux dirigeants des manifestations qui ont mal tourné.
[Notes de 2012: Complot de la gauche, des souverainistes, des communistes, des anarchistes et des anticapitalistes, adoption de la ligne dure par une Loi spéciale imposant des sanctions aux manifestants et associations syndicales. Déjà vu!]
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Parmi les commentaires scandés par les manifestants, on a les prévisibles "Gouvernement incapable", "Sans justice, pas de paix" ou encore "La grève continue, sans compromis". Quelques affiches taxaient le président Garcia de Dictateur... un chant réclamait avec "urgence, un nouveau président" et certains manifestants chantaient aussi que c'était la faute du président si les cours ne reprenaient pas et les enfants demeuraient chez eux. (...) Le commentaire le plus ambitieux était certainement le récurrent: "Sans solution, nous marchons sur le Machu Picchu!", qui vise à inquiéter le gouvernement en visant la plus importante source de revenus du tourisme au pays.
[Notes de 2012: On va vous l'organiser, votre Grand Prix. Morale: Si vous n'attaquez pas la droite par l'argent, personne ne réagit.]
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L'éditeur d'El diario de Cusco rappelle aux manifestants que le tourisme est une des industries les plus importantes du Pérou et que leurs actions nuisent grandement à cette industrie fragile. L'éditorial fait état du fait que le tourisme est la principale ressource économique de toute la région de Cusco. Il mentionne des touristes quittant le pays déçus (de ne pas avoir vu le Machu Picchu pour cause de train bloqué) et jurant de ne plus jamais remettre les pied dans ce pays. Dans El diario de Cusco, toujours, la chambre de commerce de Cusco publie une lettre ouverte aux manifestants et au gouvernement, expliquant les impacts économiques désastreux de la crise sur toute la région (agences, boutiques, restaurants, attraits, etc).
[Notes de 2012: Gilbert Rozon et cie convoquent le ministre Bachand craignant l'hécatombe touristique de Montréal en cas de poursuite du conflit. Paranoïa du Grand Prix, peurs pour les festivals, etc.]
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La centaine d'arrestations à Lima les 11 et 12 juillet dernier sont pour le moment très mal vus dans tout le pays. Le président a beau apparaître quasiment tous les jours à la télé pour appeler au calme et justifier ses politiques (à grand renfort de chiffres confirmés par les observateurs internationaux selon lesquels l'économie progresse), la population pauvre (et majoritaire) du pays ne l'entend pas ainsi et exige sa part de cette renaissance économique.
[Notes de 2012: Arrestations de masse, l'écart entre riches et pauvre qui se creuse, la lutte est citoyenne, etc.]--
De retour chez nous, nous sommes donc en campagne électorale, avec six partis, dont quatre ont des députés sortants, chacun avec ses promesses et se ses déclarations choc. Nous allons savoir bientôt quelle direction idéologique prendra le Québec. Car au-delà des belles promesses à court terme et des beaux débats télévisés, il est important de réaliser quelle idéologie sous-tend le parti qui sera au pouvoir. Car c'est avec cette idéologie qu'il va régler tous les problèmes et les imprévus qu'il rencontrera pendant les quatre prochaines années. On a vu où l'idéologie libérale de la manière forte a mené à l'affrontement avec les forces policières et à l'adoption d'une loi spéciale décriée par tous les observateurs indépendants.
Les péruviens ont payé cher cette réalisation. Un an après mon passage, en octobre 2008, l’ensemble du cabinet a démissionné suite à un scandale de corruption sur des contrats pétroliers [oui, je sais, déjà vu aussi ici], mais le président est demeuré en fonction. Et ce n'est que lors des élections suivantes, quatre ans après les manifestations dont j'ai été témoin, en juin 2011, que Ollanta Humala, un socialiste modéré, a été élu président du Pérou avec des promesses de redistribution des richesses vers les plus pauvres du pays.
Au Québec, après 12 ans de gouvernance à droite (le gouvernement Bouchard était clairement de centre-droite), sommes-nous enfin prêts à penser autrement pour notre avenir, ou bien allons-nous poursuivre dans la même direction avec encore plus de politiques néolibérales que proposent le PLQ et la CAQ? Réponse le 4 septembre prochain.
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* Le texte intégral d'un article composé en juillet 2007, sur les agitations sociopolitiques au Pérou, peut être lu ici.