Dès l'entrée dans le restaurant, l'accueil est chaleureux. Il le restera durant les trois heures de notre présence. Simple, aussi. On se sent bien, comme chez des amis. Idéal pour ceux qui craignent l'ambiance un peu guindée des "trois étoiles".
Lorsque nous arrivons (20h00), la salle est quasiment vide. Et un peu sombre. Elle s'éclairera au fur et à mesure que les tables se rempliront, une lampe étant alors allumée au dessus de chacune. Le plafond de la pièce, incrusté de diodes lumineuses, donne à celle-ci une ambiance irréelle...
A peine attablés, nous recevons la visite de Régis Marcon, avec qui nous discutons quelques minutes. Cet accueil du maître de maison va se reproduire avec chaque client qui arrivera au restaurant. Le maître d'hôtel nous donne le menu de la soirée. Etant donné que ce repas est déjà payé, celui-ci est déjà établi, sauf le dessert que nous pourrons choisir.
Le sommelier vient s'enquérir de nos préférences. Nous partons sur une formule de vin au verre que nous lui demandons de servir à l'aveugle. Cela donne l'occasion de jouer aux devinettes, et permet de plus d'apprécier le vin pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il y a de marqué sur l'étiquette.
Le premier verre servi est un Cocktail Maison à base de fleur de sureau et de gentiane. C'est à la fois très floral, fruité - il y a de la pomme, aussi - avec une légère amertume finale dûe à la gentiane. Très sympa, rafraîchissant, et ouvre l'apétit s'il en était besoin.
Ca tombe bien: des serveurs nous amènent une série de mises en bouche. Dont une qu'ils mettent directement dans l'assiette. Plus fragile que les autres, ils craignent l'accident entre la table et l'assiette...
C'est un bonbon de betterave à l'endive et noix. L'alginate et la sphérification sont donc aussi passés à Saint-Bonnet le Froid. Il nous est conseillé de ne pas mordre dedans sous peine de drame textile. Tu m'étonnes, surtout avec du jus de betterave. Allez, je le met en bouche; je sens le bonbon s'ouvrir et s'écouler dans le palais. C'est bon. Mais plus rigolo qu'autre chose.
L'on passe ensuite au sarassou aux herbes et légumes crus. Pour les ignorants que vous êtes, le sarassou est un fromage frais. Riche en plantes aromatiques, c'est un incroyable concentré de saveurs. Cette petite boule fraîche et moelleuse vous en met plein les papilles!
Puis nous passons à un tartare de boeuf "fin gras du Mézenc" à l'avocat. Ce qui est étonnant ici, c'est la petite tuile croustillante (nougatine?) posée dessus qui contraste avec le tartare, autant au niveau de la texture que de la saveur. Je n'aurais jamais pensé à mettre un produit aussi sucré avec de la viande crue, mais ça fonctionne parfaitement. Bravo!
Nous continuons avec un opéra de foie gras de canard aux myrtilles. Je me demande si je n'aurais pas dû le manger en premier celui-là, car il paraît un peu fade à côté des précédents. Dommage, car le mélange me paraissait passionnant.
Antépénultienne mise en bouche: une marinade de maquereaux au chèvre frais. Frais, savoureux, et surtout équilibré. C'est très bon.
Last, but not the least: une huître d'Isigny en gelée de pomme et algues dulse. Le chef d'oeuvre de la série. C'est d'une finesse à couper le souffle! La gelée souligne le goût de l'huître avec délicatesse. Une grande leçon de cuisine. Quand je compare ça à mes différents essais de la semaine dernière, je me sens tout petit...
A peine me remets-je de cette émotion qu'une nouvelle série de mises en bouche arrive! Cette fois autour du champignon. Pour ceux qui l'ignoreraient, Régis Marcon est considéré comme l'un des plus grands spécialistes de la préparation de ceux-ci. Nous allons en avoir la preuve.
D'abord, des girolles et champignons de Paris en aigre-doux. C'est fin, délicatement acidulé, d'une texture délicate. Vraiment très bon!
Puis un velouté mousseux aux champignons. Servi dans sa petite marmite, il fait un petit clin d'oeil à la cuisine paysanne locale. C'est néanmoins d'un grand raffinement et se mange tout seul.
Pour finir, un cromesquis de champignon. Croustillant à l'extérieur. Moelleux et fondant à l'intérieur. Un petit régal (la recette! la recette!).
Au moment où je me disais que si le repas s'arrêtait là, je n'aurais pas fait 500kms pour rien, la suite arrive dans une grande assiette. L'intitulé est à la dimension de celle-ci: chaud-froid de Saint-Jacques et tourteau au cresson, la noix poêlée à l'épice de sapin servie avec son bouillon de barbes. Détaillons un peu tout ça...
D'abord la Saint-Jacques poêlée l'épice de sapin. DI-VINE! Que ce soit par sa saveur ou sa texture, ce petit bout de chair justifie à lui tout seul les trois macarons de Marcon! Certainement la meilleure Saint-Jacques mangée à ce jour!
Du coup, le bouillon de barbes paraît bien plat et d'un intérêt limité. Peut-être a-t-il le rôle de rince-bouche afin d'avoir le palais net pour s'attaquer à la suite du plat?
Cette hypothèse semble se confirmer lorsqu'on attaque le carpaccio de Saint-Jacques, posé délicatement sur la crème de cresson, d'une grande délicatesse. La crème de cresson, onctueuse, a pris la belle couleur du crucifère mais pas sa saveur piquante, respectant ainsi les saveurs de la Saint-Jacques et du tourteau. Pour donner un peu de croquant (et une saveur de noisette fraîche) à l'ensemble, de fines lamelles de courgettes crues - plus fines que mon petit doigt - ont été ajoutées. L'ensemble à beaucoup de charme, même si on aimerait un peu plus de peps.
Je ne vous ai pas parlé du premier vin qui nous fut servi, et accompagna les deux premiers plats. Une belle robe or pâle brillante. Un nez racé sur des notes grillées évoquant la roche calcinée. Une bouche ample, avec une belle vivacité et une droiture minérale. Une finale généreuse légèrement marquée par l'élevage. Ni une, ni deux, je pars sur un Chardonnay. Bourgogne ou Jura. Lorsque le sommelier, l'air malicieux, vient s'enquérir de nos hypothèses, je lui parle des différentes piste envisagées. Pas du tout, nous dit-il avec un grand sourire. C'est beaucoup plus au sud. Et il repart, tranquille, vers de nouveaux arrivants. Plus au sud. Rhône? Cassis? Nous pateaugons total... Lorsqu'il revient 10mn plus tard, nous lui avouons notre impuissance. "Je ne vais pas vous laisser chercher plus longtemps. C'est la cuvée Laïs..."
... d'Olivier Pithon! m'écrie-je en lui coupant la parole." Le pire, c'est qu'on en a déjà bu, mais on ne l'a pas reconnu". Il faut dire que ce n'était pas le même millésime. C'est ici le 2006, qui vient de sortir. En tout cas, un très beau vin!
Il accompagne d'ailleurs superbement le deuxième plat qui arrive: un sandre confit doucement à l'huile de lard, association du salsifis et de la fève. Ce type de cuisson est tout à fait dans l'esprit de mes recherches actuelles en la matière, et c'est intéressant d'avoir la version d'un grand chef. Ce qui est étonnant, c'est que l'extérieur du poisson n'a pas l'air gras du tout. Mais comment font-ils? Le goût du lard me fait penser au gras de jambon rance cher à Michel Bras et donne un côté sympathiquement rustique au poisson, auquel répondent les fèves. Les salsifis sont cuits al dente, ce qui fait un contrepoint à la tendreté du sandre. La "languette croustillante" visible sur la photo semble également être du salsifi, frit cette fois-ci. Très bon, et excellente idée: je m'en souviendrai ;o)
Le sommelier arrive avec deux nouveaux verres de vin blanc: celui-ci est plus pâle que le précédent, avec un nez sur la pêche et l'abricot, souligné par des notes beurrées et grillées. La bouche est ronde, fraîche, un poil tannique, avec une finale accrocheuse délicieusement astringente. La bouche pourrait faire penser à un bourgogne, mais le nez paraît beaucoup plus sudiste. La salle se remplissant de plus en plus, nous ne revoyons pas le sommelier. Nous demandons donc à son second la solution. C'est un Rully 1er cru. (sans précision supplémentaire). Etonné, mais pas vraiment surpris!
En transition, entre poisson et viande, il nous est apporté l'autre symbole de la cuisine de Marcon: des lentilles. Plus précisément, un ragoût de lentilles vertes du Puy et oeuf de caille poché au sel fumé. Au moment où nous attaquons le plat, une lady que je suppose être madame Marcon nous conseille de crever l'oeuf sur les lentilles. Aussitôt dit, aussitôt fait. C'est bon. Mais pas à s'en relever la nuit. Ou à traverser la France d'Ouest en Est.
Deux verres de vin rouge nous sont servis. La robe est d'un rouge sombre remarquable. Le nez est friand, sur des parfums de framboise, de prunelle, avec en arrière-fond des notes ferrugineuses et poivrées. En bouche, c'est gourmand, frais, sensuel, avec des tannins très fins. Jolie fin de bouche sans durcissement notable. Les notes de prunelle me font partir sur du Fer Servadou, même les vins issus de ce cépage sont souvent plus rustiques. En fait, nous apprendrons que c'est un Saumur Champigny: le petit Saint-Vincent 2005.
Pour accompagner ce vin, une assiette de "fin gras du Mézenc" avec la paleron braisé aux carottes nouvelles, pièce de boeuf poêlée, millefeuille de légumes Salers. Le paleron est vraiment excellent: fondant, intensément parfumé. Un modèle du genre! La pièce de boeuf est irréprochable. Le millefeuille est par contre un peu quelconque. Il lui manque le p'tit quelque chose qui affolerait les papilles.
Lorsque je vois arriver le fromage, j'ai souvent un sentiment de tristesse, car je sens que c'est le début de la fin :o( Ceci dit, cette assiette était très bien, du chèvre chaud sur la gauche jusqu'au sorbet au roquefort sur la droite. Les gourmandises diverses disposées dans leur petit compartiment offraient des combinaisons multiples permettant de découvir les fromages sous un nouveau jour.
Pour faire une transition entre fromage et dessert, une panacotta (framboise et mangue?), certes bonne, mais qui ne m'a pas laissé un souvenir impérissable.
Puis un plateau de mignardises: je ne pourrais plus dire lesquelles j'ai préférées. Chacune avait son charme et contrastait avec la précédente. Excellentes!
Il y avait aussi des tuiles en forme de champignon (mais qui n'en avait pas le goût). Vous remarquerez qu'à la base du support, il y a les lentilles chères au maître des lieux. Bref: tout Marcon dans cette photo!
Le dessert proprement dit était entièrement dédié au chocolat. J'aurais dû recopier l'intitulé de la carte des desserts car il n'apparaît pas dans le menu. Je l'ai trouvé plutôt bon, mais pas au niveau du reste du repas. Pas assez intense en chocolat pour le chocoholic que je suis.
Déception identique du côté d'Olivier avec son dessert autour de la morille et de la banane (sic). Bon, mais pas un niveau espéré. J'en ai goûté quelques cuillérées: c'est vrai que ça ne m'a pas ému plus que ça...
En fait , j'ai préfére cette coupe à base d'ananas, rafraîchissante, goûteuse: elle n'a pas fait un pli!
Il était temps de rejoindre le salon pour prendre le café. Ambiance paisible au coin du feu. On se sent bien. Tout simplement. Les cafés sont servis avec des mignardises, dont des étonnants chocolats aux cèpes (il faudra que j'essaie d'en faire!).
C'est alors qu'un des employés vient me chercher pour visiter les cuisines de l'établissement. Je suis vraiment curieux de voir à quoi elles ressemblent.
On sent que tout le monde est concentré sur sa tâche, mais c'est d'un calme étonnant. Loin des clichés du "coup de feu", du chef qui hurle et de "Oui, chef". Du coup, on ose à peine les déranger de peur de briser cette harmonie.
Il faut que Régis Marcon me pousse à passer ici et là afin de voir de plus près le travail des cuisiniers. J'aime vraiment la quiétude qui régne ici. On aimerait y travailler :o)
Ce n'est pas tout. Mais on a 5 kms à faire sur une route enneigée. Après avoir remercié le personnel pour cette belle soirée, nous nous éclipsons, heureux...
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