La ministre a bien du courage.
Les loups contre Taubira
Sa nomination même a été contestée par les mêmes qui ne mouftèrent pas quand Nicolas Sarkozy, il y a 5 ans, avait placé Rachida Dati à la tête du même ministère. Pour les chantres de la Droite Forte ou de la Droite Populaire, Christiane Taubira était une erreur de casting.
Rien ou presque ne lui fut épargnée. On lui contestait d'avoir été nommée, avant même qu'elle n'ait fait quoique ce soit. Pensez-vous ! Une députée originaire de Guyane ! Rappelez-vous la rumeur des drapeaux français brûlés... Ou ce député UMPiste, Jean-Paul Garraud, qui confiait publiquement « avoir mal à la France » à cause de cette nomination. Il fut battu aux législatives de juin. Mais Mme Taubira ne fut pas rancunière. Elle appuya sa nomination au poste qu'il convoitait, avocat général à Poitiers (il était anciennement magistrat).
Plus récemment, la ministre de la justice avait « commis » un long entretien au quotidien Libération, dans lequel on lisait notamment ceci: « Nous sommes aujourd’hui à 42 CEF. L’héritage de la précédente mandature prévoyait la transformation de 18 foyers supplémentaires en CEF. J’ai arrêté ça et j’ai lancé une inspection devant évaluer ces centres. » Puis ceci: « Il faut sortir du fantasme CEF. Il faut arrêter de se dire que c’est LA solution. Je ne l’ai jamais pensé ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. ».
Immédiatement et sans surprise, la quasi-totalité des ténors de droite se jetèrent sur l'argument:
« Ce que révèlent ces faits-là, comme d'autres précédents, c'est un vrai problème d'autorité du président François Hollande sur son équipe » osa Laurent Wauquiez. Un problème d'autorité ? Mais de quels faits l'ancien ministre-godillot parlait-il ?
Eric Ciotti, directeur de campagne de François Fillon, publiait même un communiqué de presse: « Je pose aujourd'hui une question au président de la République : approuve-t-il et cautionne-t-il les propos et les projets de sa ministre? (...) En voulant supprimer les courtes peines, en revenant sur l'engagement de campagne de François Hollande de doubler le nombre de centres éducatifs fermés, Mme Taubira défend une vision idéologique, passéiste et naïve d'une justice qui refuse toute place à la sanction. »
Même un centriste comme Yves Jego se joignit au concert des procès d'intention: « J'appelle François Hollande à tenir ses promesses de campagne. Il a promis de doubler le nombre de centres éducatifs fermés, quelle est sa réaction aujourd'hui en voyant sa garde des Sceaux dire qu'elle veut revenir sur cette promesse ? »
Car il s'agissait bien d'un procès d'intention. Primo, la ministre avait-elle annoncé la fermeture des centres ou le gel de leur construction ? Non. Elle avait rappelé quelques critiques fortes et décisives. D'autant plus fortes et décisives que l'on apprenait de Marianne2.fr que l'ancienne équipe au pouvoir savait pertinemment que les fameux centres éducatifs fermés souffraient de graves dysfonctionnements. Secundo, avait-elle démembré l'héritage sarkozyen ? Même pas !
Le cas Hortefeux...
Brice Hortefeux fut un cas à part au sein de la meute. Il était plus confus, mais plus directement intéressé que d'autres par certaines décisions de la ministre. Il avait été ministre de l'immigration, puis de l'intérieur, et directement concerné par quelques enquêtes en cours dans le cadre du Karachigate.
Quand Mme Taubira muta ce procureur qui aimait tant la fréquentation des cercles du pouvoir quand ceux-ci lui étaient proches, son sang ne fait qu'un tour. Philippe Courroye était passé du statut enviable de juge indépendant à courroie de transmission de la Sarkofrance triomphante. C'était peut-être injuste, mais que n'a-t-il fait dans de multiples affaires pour évacuer l'instruction de la justice quand elle gênait les pontes de l'Elysée ? Voici que Christiane Taubira lui proposa/imposa une mutation à la Cour d'appel de Paris, et il joua au martyr. L'homme avait été mis en examen avant que la procédure ne soit annulée pour vice de forme. Ses collègues du Syndicat de la Magistrature lui avaient écrit une lettre acide, révélée par Mediapart:
« Et le syndicat de moquer méchamment son déjeuner avec Jacques Chirac chez François Pinault, alors que le juge instruisait un dossier sur la mairie de Paris ; son dîner avec Nicolas Sarkozy et la médaille reçue par la suite de ses mains ; son dîner avec Jean-Charles Naouri et l’avocat Paul Lombard, en marge du dossier Casino ; et l’espionnage des journalistes dans l’affaire Bettencourt. »Quand Courroye fut muté, Hortefeux s'énerva et dénonça la chasse aux sorcières: « En se comportant ainsi, la garde des Sceaux se fait le fossoyeur d'une autorité judiciaire dont elle est censée être la garante». Ou encore: « Mme Taubira démontre à quel point la justice est pour elle une notion à géométrie variable et la fermeté un concept étranger, bien plus qu'une nécessité. »
En fait, le plus fidèle des sarkozystes - mouillé jusqu'au cou dans nombre d'affaires de Sarkofrance - pouvait se sentir visé. Il aurait pu être discret.
Tous, Hortefeux compris, avaient décidé de partir en meute contre la Garde des Sceaux.
Taubira trahie par Libé ?
Le plus drôle, le plus grave était ailleurs, apprenait-on de la lecture du Canard Enchaîné de ce mercredi 15 août. Le quotidien avait jugé bon de tronquer une phrase décisive de l'entretien conduit avec Christiane Taubira le 7 août dernier:
« L'engagement du Président de la République vaut, et, ma responsabilité de Garde des Sceaux, c'est de lui apporter des éléments indiscutables pour lui dire: voilà ce que produit le milieu ouvert, voilà ce que produisent les CEF ».Où la ministre renie-t-elle les promesses du candidat Hollande ? Nulle part. Libération s'est excusé de toute malice, assure le Canard Enchaîné. La gaffe - si gaffe il y avait - était fausse.
Taubira perdante ?
Ces UMPistes qui hurlaient à chaque déclaration de la ministre choisissaient leurs sujets d'anathèmes. Les critiques de Taubira contre les peines planchers - qui, 100 jours après l'élection de François Hollande n'ont pas été supprimées - ont alimenté son procès en laxisme. Pourtant l'échec sécuritaire de Nicolas Sarkozy était là, encore bien présent. Des émeutes à Amiens aux récidives d'un délinquant sexuel dans un camping de l'Ardèche, où était le bilan de l'ancienne administration ?
La ministre affirmait que « la lutte contre la récidive est une démarche, un objectif majeur de ma politique pénale », mais Hortefeux la traitait encore de laxiste.
L'entretien du 7 août de la Garde des Sceaux couvrait bien des thèmes que d'aucuns se refusèrent à droite de commenter, comme la surpopulation carcérale via la récente condamnation de l'Etat par le tribunal administratif de Nouméa pour traitement inhumain aux prisonniers (avec ses 328% de taux d'occupation !). Le 6 août, elle avait envoyé une mission sur place.
Jeudi 16 août, le patron de l'Express Christophe Barbier a ajouté sa petite musique. Il n'avait pas lu le correctif du Canard Enchaîné, mais il expliqua pourquoi Manuel Valls avait déjà gagné contre Christiane Taubira. Son argument était simple: les Français auraient besoin d'ordre plus que de justice. Un argument simple, mais contestable. Nicolas Sarkozy avait eu toutes les peines du monde à imposer la sécurité et l'immigration comme thèmes de campagne. Et les Français, in fine, avaient préféré la rigueur juste à la « protection » sécuritaire proposée par l'ancien Monarque. La veille, Lionnel Luca, député de la Droite Populaire, s'exclamait sur Twitter: « On recherche désespérément Christiane Taubira, disparue dans la forêt guyanaise, qui a lâchement abandonné son petit camarade Manuel Valls isolé à Amiens.» Tout était dit, la gêne de ne pouvoir accuser le gouvernement de laxisme que compensait un mépris relatif voire certain contre Mme Taubira.
Jeudi midi, les services de Mme Taubira ont reçu un colis macabre: le doigt qu'un détenu s'était coupé pour réclamer son transfert dans une prison plus proche de sa famille. Au fait, qui est responsable de la surpopulation carcérale ?
Nous devions conclure sur ces quelques lignes, une citation de la Garde des Sceaux elle-même:
« Ainsi, comme il était à prévoir, le bruit et la fureur se sont tassés. Jusqu’à la prochaine ? La prochaine quoi, au fait ? Leur prochaine panique. Chaque fois qu’un acte mettra en lumière, de façon rigoureuse, l’impasse de leur politique passée, ils feront diversion par des cris et anathèmes. Ils ne supportent pas l’idée de notre efficacité. »