L’exposition monographique très complète de A.R. Penck au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (jusqu’au 12 Mai) montre, à mes yeux, la tentative inaboutie d’un peintre pour trouver une cohérence dans le monde. Penck a voulu construire un système logique très élaboré, un langage avec des signes. Il s’efforce de bâtir un Standart, standard, étendard et art à la fois.
La grande salle en virage du Musée est peuplée de ces toiles Standart : un bonhomme fait de traits et de ronds noirs émergeant d’une forêt de signes rouges et noirs, lettres, chiffres, cercles, carrés, croix, roues. Cet homme-sémaphore organise ainsi toute une combinatoire grammairienne qu’on met longtemps à déchiffrer, mais l’arrivée dans cette salle arrache un cri d’étonnement à tous les visiteurs. Cet alphabet de pictogrammes quasi cybernétiques le démarque du primitivisme dans lequel sa fascination pour la peinture rupestre pourrait l’enfermer. Tente-t-il là une contribution positive au socialisme ? Il essaiera longtemps de survivre à l’Est, mais il se trouve dans une impasse artistique. Pour s’en échapper, il sculpte du bois à la hâche ou il se déchaîne à la batterie : je ne sais s’il jouait bien, mais ses blocs de bois taillé desannées 70 sont certes émouvants, tragiques et rageurs, mais ne font guère progresser son art (et leur présentation sur une proue menaçante dans le Musée est un peu trop pompeuse à mon goût). Ce n’est qu’une fois passé à l’Ouest, dans les années 80, que sa sculpture deviendra mûre et dense; ci-contre Le Français, de 1996 (hélas, un seul bronze, par ailleurs très beau, dans toute l’exposition).
Mais auparavant, il passe par une période picturale assez décevante, avec de grandes toiles colorées très expressionnistes, datant des années 70 : il travaille alors dans un collectif, puis dans un autre, et visiblement tourne en rond. Cette salle exubérante déconcentre après la pure tension des premières salles.
Nomade en Europe de l’Ouest avant de se fixer en Irlande, exil absolu, Penck revient à des toiles pures, intenses, couvertes de signes où désormais totems, mythes et signes abondent (ci-dessus Est, qui a son pendant ‘Ouest’ en noir sur fond blanc). On tente d’abord de les absorber dans leur totalité, puis on y plonge allant d’un homme à tête d’oiseau à un aigle à une danseuse nègre, déchiffrant, recomposant sans fin les motifs de la toile (ci-contre Le Démon). Ses dernières toiles l’entraînent vers l’abstraction, vers la prédominance du signe, vers une symbolique plus mortelle aussi.
Au passage, il ne faut pas manquer le petit couloir aux autoportraits. Penck, qui s’appelait en fait Ralf Winkler, eut recours, tant pour déjouer la censure que par pulsion propre, à de nombreux hétéronymes: A. R. Penck (d’après un glaciologue), Mike Hammer (un détective de roman noir), Tancred Mitchell, Theodor Marx et acronymes : T.M., Y, α, αAR. Cette galerie d’autoportraits lui redonne une unité, combinant ses différentes facettes en une même puissance expressive. “Je ne change pas, je voyage” disait Pessoa.
Nombreuses images de l’exposition ici. © A.R. Penck