Bis repetita. François Hollande se retrouve confronté à un choix cornélien sur la question européenne. Alors que les cicatrices de la bataille du référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE) en 2005 sont loin d'être refermées, la question de l'adoption par la France du "Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire " (TSCG) semble politiquement insoluble.
Toute l'habileté politique du Chef de l'Etat n'y fera rien. Sur le papier le très européiste et politique Conseil constitutionnel lui a rendu un fier service en décidant, jeudi 9 août, que l'adoption de ce nouveau traité ne nécessite pas de réforme de la Constitution, et donc de référendum. Pour autant François Hollande est suffisamment fin pour se rendre compte que la méthode laissera deux morts sur le carreau : l'Europe et la démocratie ou plutôt un seul, l'Europe démocratique.
Le déni de démocratie est évident. François Hollande, dans les pas de Nicolas Sarkozy est prêt à l'assumer sous la justification de la pression des marchés. En vérité les deux hommes partagent l'idée que la construction européenne relève d'une élite éclairée et directive. Celle que prônait déjà Jean Monnet lorsque celui-ci pensait à propos des européens qu'à force d'obéir aux mêmes circulaires et règlements, ils finiront par constituer un peuple.
La question posée par le futur Traité est tout sauf anodine puisque qu'elle vise à instituer la "régle d'or" soit l'interdiction pour la France d'avoir un déficit structurel supérieur à 0,5% du Produit intérieur brut (PIB). Cette règle de banquier a de quoi mettre en orbite autour de leur tombe les révolutionnaires de 1789 qui avaient fait de l'Assemblée nationale la seule autorité légitime pour lever impôts et contributions, mais aussi examiner et consolider la dette publique.
De fait, adopter le TSCG revient à porter atteinte à la souveraineté nationale. Le sujet vaut vient un débat et a minima un référendum ! Les nombreux élus locaux socialistes le savent bien puisque le vote du budget constitue le temps politique fort de l'année dans leur collectivité. On imagine la levée de boucliers qu'engendrerait la mise sous contrôle du Préfet de leurs budgets…
Oui, mais. François Hollande a en mémoire la débâcle des européistes lors du référendum de 2005 et les chemins détournés qu'il a fallu utiliser pour le faire passer, notamment l'adoption par voie parlementaire du Traité de Lisbonne en 2007. Pas le temps de finasser estime-t-on du côté des dirigeants européens au moment où la zone euro risque à tout moment l'implosion. Avec une franchise surprenante Marion Monti confiait dernièrement son regret que les gouvernements européens soient les otages des parlements au moment d'agir sur l'euro…
Le hic pour le Président de la République, ce sont ses engagements de campagne. Si Paris vaut bien une messe, l'Elysée valait bien une promesse. Elu d'une relative courte tête, 1,2 million de suffrages, François Hollande doit en partie son succès à la posture combative prise sur l'Europe dans laquelle il rejetait le TSCG en l'état. "Je réorienterai l’Europe : renégociation du traité d’austérité dans le sens de la croissance et de l’emploi" s'était engagé par écrit le candidat socialiste pendant la campagne. Isolé au sein de l'UE le président français a obtenu, juste pour sauver la face, le déblocage de 120 milliards d’euros, pour relancer la croissance européenne. On attend de voir. Nuls grands travaux à la New Deal ne semblent émerger.
Adopter le TSCG c'est, à a sens unique, se lier les mains et construire l'impuissance des dirigeants politiques d'aujourd'hui et de demain. C'est à l'inverse de démocratisation des circuits de décision dont ont besoin les peuples européens tout comme d'une rupture avec une orientation ultra-libérale qui sacrifie, faute d'un minimum de protectionnisme, salariés et industries sur le temple d'une mondialisation sauvage.
Le code français des marchés publics contraint de répondre aux orientations ultra-libérales de la Commission européenne en est une parfaite illustration. Il conduit à des aberrations de plus en plus visibles. Recours à un centre d'appel au Maghreb du syndicat des transports d'Ile-de-France, achats de véhicules étrangers pour les administrations publiques, importation de pierres de Chine pour la réalisation d'édifices ou d'espaces publics … on marche sur la tête.
La renaissance européenne au plan international passera par notre capacité de dépoussiérer des systèmes démocratiques confisqués par les élites et à faire émerger de nouveaux modes de gouvernance. Il est illusoire de penser, pour paraphraser Benjamin Franklin, que sacrifier un peu de démocratie pour un peu plus de sécurité du côté des marchés est un choix rationnel. On finira par perdre sur les deux tableaux. Que l'UE s'occupe un peu plus de l'omnipotence des marchés et un peu moins des bribes de souveraineté des parlements nationaux.
C'est d'une voix porteuse de réorientation de la construction européenne dont nous avons besoin à l'Elysée, pas d'un standardiste de Bruxelles. Entre le renoncement et l'aventure le choix est vite fait. Lors des primaires vous nous aviez promis, M. Hollande, de "réenchanter le rêve français". Nous sommes prêts.