L'aveu même d'être là débute par une longue préface de Pascal Maillard et se poursuit par un entretien de Valérie Minetto et Cécile Vargaftig ; le reste, soit la plus grande partie de l'ouvrage, offre des poèmes et des proses de Bernard Vargaftig dont ceux lus par lui dans le film, et la réédition de Éclat & Meute, publié par Action Poétique en 1977 et depuis longtemps épuisé.
Nous manquons cruellement de ces films-portraits, où l'on regarde et écoute un poète dire ses textes. Ça ne doit pas être "économiquement rentable"... Le film s'ouvre par la voix de Bernard Vargaftig lisant trois poèmes, sans que la lecture soit de quelque façon illustrée : on voit/on écoute des images en contrepoint d'oiseaux dans le ciel, de l'eau dans la rivière, de fougères, d'arbres ; plus tard ce seront des sous-bois, des fleurs d'acacia, les pages d'un livre du poète, son visage très souvent, son pas, des trains qui passent, les maisons d'un village. On entend, avant qu'elle apparaisse, la voix de Cécile Vargaftig qui sera jusqu'au bout près de son père, le questionnant sur les moments de sa vie, sur ses engagements, sa pratique de l'écriture, sur les lieux de l'enfance - l'enfance toujours oubliée toujours à retrouver. Ces lieux, où furent cachés les enfants juifs, Bernard (entre 6 et 11 ans) et son frère, c'est le Limousin. Le film parcourt des espaces de l'enfance, dont Oradour-sur-Glane, aujourd'hui pour Vargaftig " ruines presque vides de sens ". Oradour, où il aurait pu, à un jour près, être lui aussi exécuté par l'unité nazie qui remontait vers le front de Normandie. C'est là, sur un banc, qu'il explique comment il écrit un poème :
" Je fabrique des images en fonction des mots qui se présentent et du nombre de syllabes que les mots doivent avoir par rapport à mon souffle. [...] Je cherche à construire quelque chose de vivant [...] quelque chose de vivant, c'est le poème, c'est vers après vers [...] il faut des mots et pour qu'ils soient vivants, c'est le rythme, c'est le souffle qui les fait tenir ensemble ".
Un autre lieu, c'est l'appartement de Nancy où il vit au milieu des livres. Nouvelle approche de son atelier d'écriture, avec ce qu'il détaille de son attention aux nombres, au rythme, à la disposition des vers sur la page, au jeu des blancs qui ponctuent ses poèmes. Il y parle aussi avec Cécile de son adhésion au Parti communiste, à 17 ans, de la manière dont il organise chacun de ses livres, du travail avec les peintres, des motifs de sa poésie.
" Je vais vers l'enfance ", dit-il, et : " on n'écrit que de l'identité " - pour lui l'identité juive ; motifs indissolublement liés, puisque l'on écrit " pour exister " et que la seule question qui vaille est " comment tenir debout ? ".
Le livre, L'aveu même d'être là. Le titre est repris du dernier poème d' Éclat & Meute, et emprunté à son ami Maurice Regnaut. Le choix des poèmes, extraits de l'ensemble des recueils jusqu'à Si inattendu connaître (2006), forme une bonne introduction à l'œuvre. La préface de Pascal Maillard présente le film de Valérie Minetto et résume avec acuité plusieurs aspects du travail de Vargaftig. Il souligne l'intérêt du point de vue de la cinéaste, pour qui les images ne peuvent être représentation des mots du poète ou de son dialogue avec sa fille. V. Minetto a pris " son objet-sujet comme une matière vivante qu'elle façonne et à laquelle elle donne un nouveau sens, une nouvelle vie ", vrai travail de création.
Pascal Maillard tourne autour du titre et montre précisément en quoi l'aveu est, pour Vargaftig, " tout le sens de son chant ", dans la mesure où " ce mot-valeur condense sémantiquement l'énigme de l'enfance, le rapport à la mémoire et aux images, et pose la question de l'identité par celle du lieu : "N'y a-t-il d'autre lieu que l'aveu ? Qui suis-je ? ". L'aveu d'être là : Bernard Vargaftig répète souvent son étonnement profond d'avoir échappé au massacre. Pascal Maillard revient de façon détaillée sur quelques aspects de la poésie qu'aborde Vargaftig dans le film, l'usage rythmique du blanc, le rôle du nombre dans ses recueils, l'emploi des formes fixes, l'importance des changements de mètres au cours du temps. C'est une réflexion attentive qui met en valeur le fait que l'œuvre de Vargaftig " est en elle-même politique, inséparablement individuelle et sociale, et que son agir est dans l'invention de ses formes, dont on rappellera, avec Valéry, qu'elles sont le sens ".
Le DVD propose d'autres séquences où Vargaftig lit ses poèmes, et ses proses, parle du hiatus dans sa poésie et lit Reverdy (" c'est un des piliers de la poésie contemporaine et l'autre pilier, c'est Jouve "), Jouve qu'il ouvre tous les jours et Hugo. Il faut dire le plaisir de suivre la diction de Vargaftig ; on reprend dans sa bibliothèque les textes lus pour les redécouvrir par la voix du poète. Relevons encore que la musique de Christophe Chevalier est subtilement en harmonie avec le propos de Valérie Minetto. Un bel ensemble, à voir et à écouter, à lire et à relire.
Valérie Minetto, Dans les jardins de mon père, film, écrit par Cécile Vargaftig, et Bernard Vargaftig, L'aveu même d'être là, le livre du film, préface de Pascal Maillard, éditions Au diable vauvert , 34 €.
contribution de Tristan Hordé
extrait de ce coffret aujourd'hui dans l'anthologie permanente de Poezibao
Ce coffret ainsi que le livre Ce n'est que l'enfance paru chez Arfuyen ont fait également l'objet d'une chronique de Ronald Klapka
Colloque du jeudi 3 au mercredi 9 juillet, "Avec les poèmes de Bernard Vargaftig, L'énigme du vivant", à Cerisy-la-Salle ; renseignements : 01 45 20 42 03 et 02 33 46 91 66. Bernard Vargaftig lira des textes et, présenté par Pascal Maillard, Dans les jardins de mon père sera projeté, avec Valérie Minetto et Cécile Vargaftig.