José Bové, en s’en prenant au prédateur, a relancé le débat. Sans demander son extermination, les éleveurs de moutons veulent une régulation raisonnée de l’espèce.
Par ELIANE PATRIARCA
Biologiste, spécialiste du loup, le Suisse Jean-Marc Landry s’en désole, lui qui travaille à la mise au point d’outils pour aider les éleveurs à protéger leurs troupeaux. Comme ce collier antiloup, qu’il a expérimenté début août, dans le canton de Vaud. Il a équipé un petit troupeau de brebis de cardiofréquencemètres mesurant les variations du rythme cardiaque et reflétant ainsi leur niveau de stress. Le troupeau a été soumis à l’attaque de chiens-loups équipés de muselières. Une expérimentation nécessaire à la mise au point d’un collier antiloup. A l’approche du prédateur, les pulsations cardiaques passent de 80 à 100 par minute à 225. C’est ce bond qui déclenche l’envoi à l’agresseur d’un répulsif et d’un SMS alertant le berger. L’objectif est que le loup associe cette douleur au troupeau et évite ensuite le bétail.
Cohabiter
Jean-Marc Landry n’a pas été choqué par les propos de Bové, même s’il redoute le braconnage : «Quand le loup attaque ton troupeau à répétition et que tu n’as pas le droit de le défendre avec un fusil, c’est dur à vivre», observe-t-il. Pourtant, le biologiste est convaincu qu’on se trompe de débat. Selon lui, les éleveurs français n’ont plus d’autre choix que d’apprendre à cohabiter avec le loup. Canis lupus va poursuivre sa colonisation de nouvelles régions, confirme l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) «Depuis son retour en France, en 1992, venue d’Italie, l’espèce n’a cessé d’étendre son territoire : il est présent dans tout le massif alpin, avec désormais aussi des individus dans les Pyrénées-Orientales, deux loups dans les Vosges observés depuis à peine deux ans et un individu en Lozère», détaille Eric Marboutin, ingénieur à l’ONCFS. Logique : «C’est une espèce protégée, sans concurrence sur le plan écologique et qui a de la place pour s’étendre.» Mais la progression de la population de loups, estimée à 250 individus aujourd’hui en France, n’est pas proportionnelle à celle des attaques. Selon le ministère de l’Ecologie, les attaques sont légèrement en baisse depuis le début de l’année par rapport à 2011 : 497 recensées au 25 juillet contre 585 il y a un an. Sauf dans les Alpes-Maritimes, département qui paie le plus lourd tribut au prédateur, avec 217 attaques attribuées au loup contre 162 l’an dernier, et les Vosges, où l’on recense 48 attaques contre 12 en 2011.
«Ce qu’on observe en Lozère, où le loup est arrivé récemment, c’est ce qu’on appelle le primo-choc, explique Eric Marboutin. Non pas que l’on s’habitue jamais au loup ou qu’on l’accepte, mais, dans le Mercantour par exemple, les réactions aux attaques de loup sont moins virulentes et, dans les Alpes, les éleveurs ont adapté leurs pratiques. Ils ont acquis des chiens de protection, ont confié les troupeaux à la surveillance de bergers et regroupé les animaux en enclos la nuit.» Autant de pratiques à réapprendre en Lozère, de contraintes supplémentaires pour une agriculture déjà fragile.
L’association Eleveurs et Montagnes, qui regroupe 300 professionnels des Alpes-de-Haute-Provence et des Alpes-Maritimes, confie que Bové a dit tout haut ce que tous pensent. «On ne demande pas l’extermination, mais on va droit dans le mur avec la prolifération de l’espèce !» tempête son président, Yves Derbez. Il reste traumatisé par l’attaque de son troupeau l’an dernier dans la vallée de l’Ubaye. «Trois brebis et 98 agneaux massacrés par quatre loups et six louveteaux !» Il a perçu «8 100 euros d’indemnisation pour un préjudice de 13.800».
«Paix sociale»
Depuis le début de l’estive, il vit dans le stress :il s’est doté de quatre chiens de protection, ne quitte jamais ses brebis, les regroupe la nuit dans un parc. «Mais le loup est intelligent, il trouvera la faille», s’inquiète-t-il. Il réclame «une régulation efficace, le renforcement des tirs de défense effectués par la louveterie et l’autorisation de tirs léthaux quand la prédation est trop importante».
Une option inacceptable pour Pierre Athanaze, le président de l’Aspas. «Les tirs sont autorisés par les préfets depuis 2004 pour acheter la paix sociale, on voit bien que ce n’est pas la solution !» Seule solution, martèle-t-il, la protection des troupeaux. Et de souligner que les loups vivent dans une société hiérarchisée, «avec un couple dominant par meute. Si vous abattez un dominant, vous déstructurez la meute et les individus se rabattent sur les proies domestiques».
Source : Libération