Quand j’étais petit, un oncle m’avait dit qu’il y avait un Monsieur installé dans le poste de radio. Je me suis dit que ce serait intéressant d’aller y voir de plus près, d’autant plus que le Monsieur dans le poste de radio parlait même l’anglais quand on écoutait la BBC !
Quand ma tante a vu que j’ouvrais le poste pour vérifier, elle a ameuté toute la famille, mais il était trop tard. A leur grand soulagement, j’ai remis les tubes en place, j’ai remis les boutons, le poste marchait toujours. Le Monsieur de la BBC parlait toujours l’Anglais, même s'il n’était pas dans le poste.
La famille s’est plus ou moins habituée à me voir démonter et remonter tout un tas de trucs, de l’installation électrique à la grosse pendule…que je remontait parfois avec des modifications de mon cru : par exemple faire sonner l’heure de Londres à la pendule (c'est pratique pour la BBC), tandis qu’elle indiquait l’heure de Paris !
et c'est grave, docteur ?
C’est pour dire que j’étais déjà un garçon incrédule, qui aime bien vérifier ce qu’on veut lui faire croire. Et que quand je remontais un truc, j’aimais bien l’améliorer à ma façon. De nos jours, on dirais « ce garçon finira en prison, c’est un hacker ». Ce qui est bien injuste, après tout, les dauphins jouent bien dans les vagues, cela ne les empêche pas d’attraper des poissons !
Je vous passe les détails sur l’additionneur binaire en Mecano, la machine à tracer les ellipses en Lego, l’installation de va et vient qui (contre toute attente) marchait normalement. Tout ne réussisait pas, en particulier, je ne suis jamais parvenu à modifier valablement le micro-code de l’ordinateur de mon école (voilà qui aurait été vraiment rigolo !).
mon garçon est sérieux, maintenant…
En fait, c’est à cette époque là que Maman s’est mise à croire que je faisais de l’Informatique (le mot existait déjà depuis quelque temps, même si presque personne ne savait ce que c’était au juste). En réalité, je faisais surtout des trucs amusant, comme un programme en Fortran qui lisait les données avec du COBOL (si, si, et c’était utile), ou encore ajouter une fonction d’analyse de texte en langage naturel à un logiciel d’enseignement assisté par ordinateur (j’aurais dû déposer un brevet, pour pouvoir ensuite attaquer Google)…
Ensuite, c’est devenu moins drôle, car je travaillais sur des techiques robustes et sécurisées. Il est bien difficile de faire faire de la voltige à des commutateurs X.25, Frame Relay ou ATM bien faits (encore que certaines implémentations étaient assez amusantes). Alors, quand j’ai vu le potentiel de gags et de gaffes de la suite IP, j’ai su que le paradis était enfin sur terre pour tous les Gastons et leurs émules.
et maintenant, que vais-je faire ?
Dans leur grande sagesse, mes chefs m’ont juste laissé le niveau 2 comme terrain de jeu, avec pour mission de faire marcher les switches sans perdre du temps à les démonter complètement. Ils ont sans doute l’espoir que je ne casse pas trop les machines, mais d’un autre côté, ils ne peuvent pas me gronder trop fort si je fais de temps en temps un croche pied à l’IOS dernier cri, ou si je trouve une fonctionalité inattendue gravée dans le silicium (à propos, dans les switches que je connais, il n’y a pas non plus de Monsieur parlant Anglais pour trier les trames).
Et c’est comme cela que j’ai prospecté sur les terres de l’Ethernet, certes peu fécondes en bugs, mais qui ont malgré tout du charme pour peu qu’on creuse un peu. En définitive on y trouve quelques pépites, qui sont bien plus précieuses à mes yeux que les kyrielles de failles basiques qui émaillent les couches supérieures.
Cela est bien dit... mais il faut cultiver notre jardin (Voltaire, Candide ou l'optimisme,chapître 34).
Pascal
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