Jason Aaron et R.M. Guéra – Scalped, La valée de la solitude

Par Yvantilleuil

Le meilleur comics du moment !

En reprenant le catalogue Vertigo, Urban Comics a mis la main sur des séries d’une grande qualité, dont cette perle signée Jason Aaron.

Si le tome précédent ne faisait pas avancer l’intrigue principale d’un iota, tout en démontrant que ce sont surtout l’ambiance et le développement psychologique des personnages qui priment dans un bon polar, ce cinquième volet, qui reprend les épisodes #25 à #29 de la série US, lève enfin le voile sur les tenants et aboutissants de toute cette histoire.

Tout commence par l’arrivée d’un nouveau protagoniste nommé Wesley Willeford. Cet arnaqueur professionnel qui est interdit de jeu dans tous les casinos de Las Vegas, va tenter de trouver son bonheur dans l’établissement de Lincoln Red Crow. Si ce nouveau personnage est particulièrement charismatique et qu’il permet à Jason Aaron d’étaler son talent de narrateur (le développement en parallèle des pensées et des dires de ce malfrat est une petite merveille du genre), son plan contient cependant un point faible de format : le bonheur n’existe pas à Prairie Rose !

L’auteur ne manque d’ailleurs pas de nous le rappeler en proposant la suite de la descente aux enfers de Dashiell Bad Horse et de Carol, la fille du chef Red Crow. Une chute parsemée de violence, de sexe et de drogue et des personnages qui incarnent le malaise de tout un peuple et portent les stigmates de cet environnement régi par le crime et la misère, où la justice n’est que trop rarement au rendez-vous. Tandis que l’auteur restitue avec beaucoup de réalisme et de dureté les conditions de vie déplorables qui règnent au sein de cette réserve indienne rongée par la misère, l’alcoolisme, la criminalité et le chômage, le lecteur poursuit cette immersion particulièrement sombre en territoire Lakotas. Couche par couche, l’auteur met à nu le découragement et la résignation de tout un peuple, chaque page nous éloignant un peu plus du Happy End.

En mettant l’accent sur les personnages, Jason Aaron parvient non seulement à construire son intrigue, mais également à montrer les conséquences de ce génocide qui condamna tout un peuple à (sur)vivre dans des réserves de désillusion. Au fil des chapitres, il remue les souvenirs de ses héros à coups d’allers-retours qui n’ont rien à envier à la noirceur du quotidien. Ces flash-backs qui permettent d’en apprendre plus sur les secrets enfouis et sur les vieux démons des différents protagonistes, contribuent à donner énormément de profondeur aux personnages et à renforcer l’empathie du lecteur. Chaque nouvelle page, qu’elle revienne en arrière ou dévoile la suite de l’histoire, ne fait donc qu’assombrir cet univers débordant de désespoir et entraîne le lecteur dans une noirceur abyssale.

En revenant sur le passé de Baylis Nitz et sur ce meurtre non élucidé qui date d’il y a trente ans, Jason Aaron livre l’origine de la quête vengeresse de cet agent du FBI et lève le voile sur les événements qui sont à la base de ce récit. L’auteur poursuit ce travail d’orfèvre entremêlant passé et présent, en revenant sur les rêves d’enfance de Diesel et en s’attardant sur les démons du vieux Catcher. Sans jamais se perdre au sein de cette structure narrative lumineuse, le lecteur découvre ainsi le fin mot de cette histoire découpée de main de maître par un auteur en grande forme.

Et pour couronner le tout, le trait nerveux et dynamique de R.M. Guéra (“Le lièvre de mars” chez Glénat) vient parachever l’ambiance sombre de ce polar et fait ressortir toute la tension et le désespoir qui règne au sein de cette enclave indienne du Dakota du sud. Les dessins de Davide Furno et de Francesco Francavilla s’avèrent également en parfait adéquation avec le ton pessimiste du scénario.

Parmi les saga incontournables venues d’outre-Atlantique, tels que Criminal ou Fables, celle-ci risque bien de toutes les détrôner !