Longtemps la série Alix a incarné la bande dessinée d’aventures historiques par excellence. Créée en 1948 par le strasbourgeois Jacques Martin, elle représente les canons du classicisme de l’École de
Bruxelles. Plus de 60 ans plus tard, les héritiers et l’éditeur
Casterman ont donné leur
aval pour une nouvelle série dérivée,
Alix Senator. Premier volet sur la genèse d’un spin-off très attendu.
Dans
Alix Senator, le jeune gallo-romain d’une vingtaine d’années a désormais
54 ans, un âge très avancé pour l’époque. Quand la plupart des extensions des séries emblématiques cherchent à comprendre le passé des héros, Valérie Mangin avec Denis Bajram a préféré le vieillir de 30 ans.
Alix devait-il vieillir ?
évolution du graphisme d'Alix par Jacques Martin
Rares sont les séries avec cette longévité. En près de 65 années, la série sur l’antiquité à l’époque romaine de César s’est déclinée en 30 épisodes réalisés par Jacques Martin, puis des dessinateurs et scénaristes successifs ou parallèles, sans compter les 34 albums didactiques dessinés
Les Voyages d’Alix. Le tome 31 d’
Alix –
L’Ombre de Sarapis – dessiné par Marco Venanzi sur un scénario de François Corteggiani – devrait sortir en novembre 2012. L’album suivant, en 2013, révèlera un nouveau duo dont, au dessin, Marc Jailloux, le repreneur remarqué de la série
Orion.
Révélée au grand public dans le magazine
Tintin en 1948, la série suit un jeune célibataire en toge rouge. Librement inspiré du roman
Ben Hur et influencé par
Salammbô de Gustave Flaubert, elle est donc conçue avant l’entrée en 1953 de
Jacques Martin au Studio Hergé, qui ne l’empêchera pas de poursuivre en parallèle sa carrière en solo. D’origine gauloise, Alix a été adopté par un riche romain, Honorus Galla Gracchus, et pris sous la coupe protectrice de César. Ce dernier lui confie régulièrement des missions autour de la Méditerranée, aux quatre coins du monde connu, et même au-delà comme en Chine ou au cœur de l’Afrique noire. Flanqué du jeune égyptien Énak, son faire-valoir, le jeune gallo-romain blond était confronté aux pires
complots et rivalités et à tous les dangers dont il se sortait évidemment toujours.
Jacques Martin et Christophe Simon à Verviers © Manuel F. Picaud/ 2008
Pour Jacques Martin,
le choix de la bouillonnante période à l’époque de César, Pompée, et Octave entre 53 et 46 av. JC lui permettait de confronter son jeune héros à des civilisations variées. Malgré quelques anachronismes et l’insertion de scènes fantastiques, les scénarios s’appuyaient sur des faits historiques. Mais le procédé apparentait davantage le récit à des voyages initiatiques, confrontant aussi Alix à des ennemis redoutables comme Arbacès.
case publiée dans Têtu (magazine gay)
Dans cette
bande dessinée grand public et très chaste, la relation tout de même ambigüe, parfois qualifiée d’homosexuelle entre Alix et Énak, troublait certains regards, tandis que les femmes avaient rarement le beau rôle. Même s’il rappelait des mentalités différentes à l’époque, l’auteur s’est toujours défendu de ces critiques. En fait, il préférait laisser dire et permettre à tout public de s’identifier au héros. De même il confia que pour lui, un héros ne pouvait pas être marié et en charge de famille, au moment de la sortie de la série
Hotep de son
disciple déchu Rafael Morales.
Jacques Martin et Marc Jailloux à Obernai © Manuel F. Picaud/ 2007
En fait, les reproches ont davantage porté
sur l’évolution de la série avec des qualités graphiques et scénaristiques très contrastées pour un rythme de parution annuel depuis 2005. Alors qu’Hergé gravait sa série du temps de son vivant, son rival voyait ses créations lui survivre dans d’autres mains. Aussi, quand sa vision déclinante l’empêche de poursuivre le dessin lui-même, il décide de mettre les pieds à l’étrier à plusieurs dessinateurs, puis des scénaristes. Pour pérenniser son œuvre, il négocie un contrat très favorable avec l’éditeur Casterman. Un comité composé de ses deux enfants Frédérique et Bruno, ainsi que deux représentants de l’éditeur qui sont aujourd’hui Simon Casterman et Jimmy van den Haute, directeur de la collection est désormais chargé de veiller au grain.
Mais
les codes « martiniens » sont particulièrement exigeants et la série peine à trouver de nouveaux auteurs et de bonnes histoires. Le nombre d’exemplaires vendu, s’il reste très appréciable dans le marché actuel, a tout de même bien davantage perdu de terrain qu’une série comme
Blake et Mortimer. Au total, la série comptabilise plus de 13 millions d’albums vendus éditions francophones, mais aujourd’hui le bonheur serait d’atteindre 100.000 exemplaires vendus quand Alix l’intrépide est parti à plus de 400.00 000 exemplaires. Au jour de la disparition du « maestro » le 21 janvier 2010, il n’a jamais été question d’autre chose que la poursuite des séries commencées…
le Comité Martin à Bruxelles : Frédérique Martin, Simon Casterman, Bruno Martin,
Arnaud de la Croix, Jimmy van den Haute (de gauche à droite) © Manuel F. Picaud / 2011
Pourtant, quelques mois plus tard, quand survient l’idée de Valérie Mangin et Denis Bajram de
renouveler en profondeur la série, l’oreille est immédiatement positive… Et si vieillir de 30 ans le héros donnait
un souffle nouveau à tout cet univers ?
Prochain épisode : la naissance d’
Alix Senator