Nouveau scandale dans le monde du ballon rond et des Bleus. L’équipe de France, cible des critiques des médias sportifs et de l’Equipe en particulier, a décidé de passer à la manière forte pour régler ses comptes, démontant littéralement et en direct le studio de télévision du célèbre quotidien, sous les yeux d’une journaliste stupéfaite tentant de rendre l’antenne dans la confusion la plus totale.
Vous ne me croyez pas. Vous en auriez entendu parler, n’est-ce pas ? Lu et entendu des dizaines de chroniques indignées, de débats à n’en plus finir sur l’argent qui pourrit le sport, d’analyses ethnico-sociologiques sur les valeurs en perdition d’une discipline en proie aux mœurs tribales des sauvageons trop bronzés. Comme il y a deux ans lors du mondial sud-africain.
Et pourtant si : cette scène de guérilla urbaine sur plateau télévisé a bien eu lieu (à lire et regarder ici).
Sauf que le ballon concerné ne se pousse pas au pied, mais à la main, et que ces Bleus-là viennent d’être sacrés champions olympiques pour la deuxième fois consécutive. Sauf que les premières réactions journalistiques ont plus joué la carte de la connivence bienveillante que de l’indignation : des handballeurs « trop euphoriques pour répondre aux questions des journalistes », « survoltés », qui font une « fête à tout casser ». Karabatic qui « allume gentiment les médias ». La principale victime, l’Equipe, a même « minimisé » l’incident (avant visiblement de commencer à se rebiffer). Tiens, pour le prix ils auraient même dû passer les caméras par la fenêtre !
Les Bleus expert du pied ont aussi eu leurs griefs à répétition envers l’Equipe. Mais leurs réactions à eux, comme le « ta gueule » chuchoté par Nasri à la presse du dernier Euro, paraissent aujourd’hui bien pâles en comparaison de l’explosion de joie des experts de la main. Petit bras les footeux, je vous dis ! Quand un Anelka marmonne une insulte dans l’intimité d’un vestiaire, quand ses coéquipiers se lancent dans une grève de l’entrainement, c’est carrément l’entraîneur national de hand, Claude Onesta, qui s’adonne aux joies de l’épaulé-jeté de table Ikea, nouvelle discipline olympique improvisée un soir de victoire. Que de la gueule, Raymond Domenech …
Alors le mystère demeure. Pourquoi ne fait-on pas au handball le même procès moral que celui qui est fait en permanence au football ?
Il est vrai que hand et rugby, sports de valeurs, de respect, de modestie, de simplicité, sont systématiquement convoqués pour faire la leçon au ballon le plus populaire. Ouest France se fendant même d’un article d’anthologie sur le saccage de dimanche soir, saluant des handballeurs « so rugby » (sic) qui ont fait triompher l’esprit franchouillard sur des JO trop sérieux : « Les Experts, qu’on appelle désormais les Immortels sont des légendes au même titre que Usain Bolt. Mais eux, ne se prennent pas au sérieux et s’en fichent de leur image. Ils tranchent ainsi avec les discours policé et langue de bois ambiants dans le sport. En revanche, il est très possible qu’ils soient accompagnés d’une bonne gueule de bois aujourd’hui pour aller à l’Elysée… ». Allez, levons le coude en chœur !
Imaginons que les Nasri, Ménez, Benzema, aient détruit un plateau de télévision, même un soir de victoire, même dans une bonne ambiance, sur fond de différend avec les commentateurs sportifs. Qu’aurait-on entendu, qu’aurait-on lu ?
Gentils handballeurs, méchants footballeurs. Race d’Abel, race de Caïn.
On est tout prêt à pardonner des frasques post-match, voire à s’en amuser avec leurs auteurs. On aimerait juste comprendre : pourquoi ce traitement à géométrie variable de la part des commentateurs? Sauf à penser que ce soit justement la victoire qui justifie et pardonne tout – ce qui ne serait pas, pour le coup, très moral. Ou que le football est devenu le punching ball favori de la société française contre une partie d’elle-même …
Romain Pigenel