L’insolence de Michel Polac ne reposait pas sur son humeur, mais sur sa culture, ses lectures, ses études des dossiers et sa réflexion. Hommage de Bernard Pivot à Michel Polac qui vient de disparaître.C'est l'occasion pour moi de relire des passages du Journal, 1980~1998, (Pages choisies par Pierre Emmanuel Dauzat), puf, janvier 2000, 565p.
Retour sur sa vie.
L'absence totale d'éducation (malgré l'affection, le foyer, etc.) puis ma rupture rapide avant l'université et une "carrière" anti-carrière, tout ça concourt à faire de moi un colosse aux pieds d'argile comme disaient déjà mes copains quand nous avions 20 ans, pire une statue de sable qui s'effrite en permanence. Malgré mes livres que je ne peux relire, mes films parfois amusants mes articles et toutes mes polémiques audiovisuelles, j'ai une sensation de chaos, une vie comme un nuage qui s'est formé et va se dissoudre dans le ciel après quelques contorsions, effilochages, esquisses de figures. (...) Il fait beau, je vais marcher. (p235)Je suis surtout sensible à ce qu'il écrit de ses lectures parce que c'est encore de lui qu'il parle.
Je ne change guère: lorsqu'à 20 ans j'ai découvert Constant, je me suis reconnu en lui, surtout à travers l'essai de Francis Jeanson. Constant a vécu toute sa vie la main sur la porte de la mort, un chantage aus suicide qui lui évitait de s'engager plus avant dans la vie, dans l'amour,dans un rapport sincère avec autrui, jugement sévère et juste d'un homme qui en ce temps-là s'engageait dans l'action politique. Mais aujourd'hui,y a-t-il une autre attitude possible quand on voit l'état du monde?
Lu Proust de Beckett. Les pages 75 à 78 sont parmi les plus terriblement belles qu'on ait jamais écrites sur la condition humaine, le reste est suprêmement intelligent et donne vraiment envie de relire Proust.
De belles pages aussi sur le Journal de Cioran (p538 à 541) :
...l'écrivain est une vraie chochotte, un parasite qui se plaint tout le temps. ... Oh! je parle de Cioran, mais c'est de moi que je parle, encore que l'univers de Cioran ne soit que la moitié de mon univers: la moitié du temps je suis un écrivain impuissant qui tourne en rond dans son appartement, mais l'autre moitié je suis un "journaliste" suractif, pressé, "compétitif".(...) Malgré ses énormes défauts, ces Cahiers resteront pour moi aussi précieux que le Zibaldone de Leopardi, le Journal de Gombrowicz, les cahiers de Valéry ou les "Posthumes" de Nietzsche: des fatras qui reflètent la vie de l'esprit et de l'homme et non des traités abstraits.Le Journal de Cioran est à son œuvre ce qu'est une statue de marbre inachevée à un chef-d'œuvre: je préfère souvent l'ébauche d'œuvre, la trace de l'outil, la pierre brute qui affleure encore au milieu d'une forme travaillée. Et les esquisses de Rubens tellement plus belles que les œuvres (à part quelques portraits).C'était mon humble hommage à celui dont j'ai aimé les émissions et dont le Journal (plus intéressant que bien d'autres) me touche par l'aveu même de ses fragilités.
Son épitaphe: Touche-à-tout, il a fini par toucher terre, mais il en suggérait une autre dans son Journal: Out enfin, ouf! (de mémoire, page à retrouver)
A lire aussi le billet (amicalement ?) vachard de Pierre Assouline Ici : L'amère réussite d'un écrivain raté.