La France semble faire preuve d’exception en matière de vente de médicaments sur internet. Nos voisins européens se sont positionnés vis-à-vis de cette évolution de l’offre officinale. Mais il semble que cela soit plus compliqué à mettre en œuvre au sein de l’hexagone. Mais n’est-ce pas une orientation inéluctable dans un monde où le e-commerce prend une place de plus en plus grande.
Mais là est la question ; peut-on limiter la vente de médicaments à un simple commerce ?
L’état des lieux européen
A ce jour, plus d’une quinzaine de pays européens ont légalisé la vente de médicaments sur internet.
Dans le détail, la vente en ligne est autorisée pour les médicaments à prescription médicale facultative dans les pays suivants : Irlande, Espagne, Belgique, Italie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Finlande.
Elle est autorisée pour tous les médicaments, si le site web est adossé à une pharmacie physique, au sein de l’Allemagne, du Danemark, du Portugal et de la Suède.
Autorisation également pour tous les médicaments, sans contraintes particulières au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Pour les médicaments sur ordonnance uniquement concernant la Suisse.
Source : LNP – n° 399, jeudi 22 avril 2010
La vente de médicaments sur internet semble se légaliser partout en Europe…sauf en France où il est interdit de vendre des médicaments en ligne.
Situation particulièrement floue ou atypique (c’est selon son point de vue) puisque depuis 2003, l’arrêt «Doc Morris«, rendu par la Cour de justice des communautés européennes, rend possible la vente en ligne des médicaments non soumis à prescription. Et qu’en mai 2011, une directive européenne autorise les pays européens à légiférer sur la vente dans leur pays tout ou partie de la liste des médicaments et la vente par une pharmacie d’officine adossée ou par tous (pures players y compris).
En France, le code de la santé publique et le code de déontologie des pharmaciens prévoient que seuls les pharmaciens peuvent commercialiser des médicaments.
En fait, sans que l’interdiction de vente en ligne soit explicitement écrite, la législation Française impose de telles contraintes que dans les faits, cela s’apparente à une non autorisation ; activité exercée dans une officine, sous la surveillance attentive du pharmacien, devoir de conseil, officines soumises à des contraintes réglementaires en termes de publicité, ne peut concerner que les produits non soumis à prescription …
Pour en savoir plus sur l’ensemble de ces contraintes , consulter ce lien
Concrètement, les pharmaciens peuvent avoir un site internet en prolongement de leur officine, mais seulement à titre d’information. En effet, la loi française permet seulement aux pharmaciens agréés de donner des conseils sur Internet.
Et les autorités considèrent que les sites actuels de ventes de médicaments en langue française sont illégaux car usurpant l’appellation «pharmacie », alors qu’ils ne vendent que des produits de parapharmacie. Propos confirmés par une enquête publiée en 2011 par la National Association of Boards of Pharmacy, qui indiquait que 96 % des pharmacies en ligne seraient illégales.
Cela étant, la situation devrait évoluer car la directive de 2011, citée plus haut, doit être transposée par les états membres d’ici janvier 2013. Obligeant certainement la France à statuer sur l’avenir de la vente en ligne de médicaments et ainsi ordonner un peu plus ce nouveau marché.
Un marché dépassant le milliard d’euros en France
En fait, ce chiffre fait état du marché de la contrefaçon des médicaments vendus en ligne. Et cela s’élèverait à plus de 10 milliards d’euros pour le marché européen. Impliquant près de 77 millions d’Européens, usagers de médicaments falsifiés.
Cela peut donner une idée de l’évolution de ce futur marché et notamment en France, où 3 % des Français interrogés via l’étude Lightspeed Research, avaient déjà procédé à l’achat de médicaments en ligne en 2009(contre seulement 24 % des Allemands et 53 % des Anglais). Et qu’en 2010, c’est 14 % des Français, soit 6,9 millions d’individus, qui reconnaîtraient acheter des médicaments délivrés uniquement sur ordonnance en dehors de ces circuits autorisés, selon une autre étude commandée par le laboratoire pharmaceutique Pfizer.
Rappelons qu’à ce jour, les français “peuvent se tourner” vers des officines autorisées à exercer sur le territoire européen pour trouver des médicaments en ligne.
En attendant, la parapharmacie a investi ce créneau de la vente sur internet, à l’image de sites tels que http://www.lecomptoirsante.com/, sur le principe d’une enseigne de parapharmacie basée en Gironde qui commercialise ses produits de bien-être et beauté via son site internet.
Même combat du côté de certains laboratoires, citons Les laboratoires Juvamine qui ont lancé dès 2009, leur site de vente sur Internet http://www.maboutiquesante.com/, leur permettant ainsi d’être leur propre distributeur.
Du côté international, la vente en ligne connaît un leader européen, le site DocMorrris.de dont 90% du capital appartient à Celesio (leader européen de la distribution en gros de médicaments, qui détient l’OCP, premier grossiste répartiteur français) depuis 2007. Celui-ci chercherait à revendre DocMorris selon un article paru dans Les Echos en mars 2012.
Nos voisins belges ont franchi également le pas depuis 2009, avec la vente en ligne de médicaments OTC à l’image de sites tel que http://www.newpharma.be/pharmacie/
Voir la vidéo :
Aux Etats-Unis, un site au nom évocateur comme « Drugstore.com » affiche près de 45 000 produits, dont de nombreux médicaments soumis à prescription, à son catalogue.
A titre d’information, il faut savoir qu’en janvier 2012, la France comptait 22.706 pharmacies (-0,5% versus 2011) par rapport à l’année précédente. Et que 73.127 pharmaciens sont inscrits à l’Ordre en 2012 (-0,2%). On compte une pharmacie pour 2.900 habitants, plus de trois pharmacies pour 100 km2 (cinq en Allemagne, 15 en Belgique).
Un flou juridique national en attendant une harmonisation européenne
En attendant une éventuelle harmonisation en 2013 avec les pays de l’Union Européenne, des tentatives ont pourtant été tentées, tel ce projet de loi proposé par l’ex-ministre de la santé Roselyne Bachelot en avril 2010. Sans succès. Son successeur, Xavier Bertrand, s’est positionné sur le principe que seules les pharmacies “en dur” puissent réceptionner puis délivrer les médicaments sans ordonnance qui auront été commandés par Internet. Le tout sous le contrôle d’un pharmacien. Il a même commenté la situation en indiquant que les médicaments n’étaient pas des bonbons et qu’ils ne devaient pas être vendus sur internet, tout en rappelant que le code de la santé publique n’indiquait aucune interdiction…ni autorisation. Difficile de faire plus flou.
Mais globalement, rien n’a vraiment évolué au cours de ces dernières années. Et de ce fait, la France est toujours confrontée à un vide juridique, indique Alain Breckler, membre du bureau du conseil central de la section A et membre du groupe de travail ordinal sur le sujet.
Il ajoute également que « tant qu’Internet n’aura pas été introduit dans le code de la santé publique, la vente en ligne restera illégale…En effet, les règles de dispensation indiquées dans le code de déontologie sont claires : le pharmacien doit assurer dans son intégralité l’acte de dispensation du médicament et mettre à disposition du patient des informations et les conseils nécessaires au bon usage du produit. De plus, sur Internet, on ne trouve pas d’informations sur les contre-indications et pas de notice.
Autre problème : « Il n’y a pas de limite de vente sur Internet, alors que si on dépasse deux boîtes d’ibuprofène par exemple, il faut une ordonnance. Même si la vente en ligne de médicaments OTC n’est pas explicitement interdite, en pratique si on le fait on ne respecte pas les textes. Et l’Ordre peut sanctionner… »
Ceci explique sans doute le fait que les professionnels qualifiés renoncent pour le moment à investir le champ ouvert par l’arrêt DocMorris. Et par voie de conséquence, ce sont donc des sites étrangers non pharmaceutiques qui occupent l’espace. Avec tout ce que cela comporte de risques ou d’illégalité (produits de qualité douteuse, médicaments interdits en France ou soumis à prescription médicale, contrefaçons…).
Des pharmaciens en première ligne de la contestation
L’ensemble de la profession est unanimement opposé, cela va des représentations syndicales (FSPF, UNPF, USPO) jusqu’à l’Ordre des Pharmaciens. On peut imaginer que la première crainte des pharmaciens officinaux serait de perdre le monopole de dispensation des médicaments au profit d’acteurs divers (la France et l’Espagne sont les seuls pays Européens où le monopole des pharmacies sur les médicaments existe), notamment des pure-players et que cela débouche, à terme, vers une possibilité de vente de médicaments pour la grande distribution, comme cela a déjà démarré autour de la commercialisation de produits d’automédication. L’exemple le plus connu est Leclerc avec ses espaces de parapharmacie et qui emploie déjà des pharmaciens diplômés…http://www.e-leclerc.com/univers+parapharmacie/
D’un point de vue purement économique, ce positionnement peut se comprendre car à la lecture de la dernière étude réalisée par la Fédération des centres de gestion agréés (FCGA), qui a analysé 77 professions dans 11 secteurs d’activité pour l’année 2010, les pharmaciens ont dégagé le résultat courant le plus élevé des 77 professions, avec 125.260 euros pour un chiffre d’affaires moyen de 1.423.500 euros. En effet, pourquoi vouloir modifier un modèle économique qui semble bien fonctionner ?
Le second argument est celui de la prolifération des produits de contrefaçon, fléau qui semble bien être une réalité à la vue des derniers chiffres publiés par l’OMS qui indiquent que plus de 50 % des médicaments proposés à la vente sur Internet seraient des contrefaçons. Les Chiffres de la Commission européenne pour 2011 indiquent plus de 27 millions de médicaments contrefaits saisis contre un peu plus de 3 millions en 2010. Souvent le fait de sites hébergés aux Etats-Unis, parfois en Russie ou en Angleterre.
La lutte contre la contrefaçon de médicaments est donc devenue un enjeu européen et se traduit par la création d’un service informatique de traçabilité des médicaments, lancé par le Conseil de l’Europe et la Direction Européenne de la Qualité du Médicament et soins de santé. Ce service nommé eTACT, se traduit par un code-barre unique identifiant chaque boîte de médicament qui pourra être également consultable par le patient via une application smartphone. Il devrait être mis en place en 2016-2017 pour l’ensemble des états membres de la Commission européenne.
Vers une évolution des services proposés par les pharmaciens
Alors que dire de cette situation d’exception concernant la France ? A vrai dire, je ne sais pas, n’étant pas pharmacien de formation.
Il y a certainement des arguments valables à entendre en termes de garantie de santé publique.
De l’autre côté, on peut se dire cette situation va à l’encontre des perspectives de mise en place et d’évolution de la télémédecine, de la télésanté et plus généralement, de la dématérialisation des process de santé.
Car si on admet volontiers, que l’accompagnement des patients et le rôle de conseil lors de la dispensation des médicaments sont essentiels pour les pharmaciens d’officines, il faut admettre également que les patients évoluent et qu’ils ont parfaitement intégrés internet dans la prise en main de leur santé, tant au niveau de la recherche d’information que de la notion de l’e-commerce concernant les médicaments (voir chiffres cités plus haut). Et internet n’est pas incompatible avec le rôle de conseil de la part du professionnel de santé, voir peut aider à l’observance thérapeutique.
L’exemple nous vient des Etats-Unis, avec l’accord entre Family Health Network et Kerr Health, importante chaine de pharmacies située en Caroline du Nord. Ils ont formé leurs pharmaciens aux spécificités de la population séniors et à leurs besoins, via un service développé pour que le pharmacien fasse des visites à domicile via la vidéo, pose des questions au patient, s’assure de son état de santé, vérifie la bonne observance des médicaments …
La Suisse également innove en intégrant la vidéo autour d’un projet mené depuis avril 2012 autour de la téléconsultation. Cela se nomme Netcare et est mené dans plus de 200 pharmacies.
En termes de fonctionnalités qui pourraient accompagner la vente en ligne et afin d’éviter tout risque d’interaction médicamenteuse, il conviendrait de mettre à disposition sur son site, une appli sécurisant la dispensation, capable de vérifier l’adéquation d’un médicament à un patient, d’aider à éviter les interactions médicamenteuses entre médicaments (exemples d’applis : Interactions Médicamenteuses, iMediGuide, Ordonnance pour iPad,…).
De manière plus pragmatique, il n’est sans doute pas inutile de rappeler les avantages liés à la mise en place d’un service en ligne de ce genre (pas de contraintes horaires, disponibilité, absence de déplacement pour les patients, respect de la confidentialité, comparaison aisée des tarifs,…).
La vente de médicaments en ligne peut également s’intégrer dans le cadre de la dématérialisation des documents de santé. Par exemple, cela peut concerner les ordonnances qui pourraient devenir des prescriptions électroniques, à l’image de l’application mobile « Ma pharmacie mobile » de Pharmagest. Cette fonctionnalité permettrait d’établir une fidélisation entre le client et son e-officine, compte tenu des éléments d’informations personnelles que devra certainement renseigner le patient au préalable pour utiliser cette ordonnance en ligne.
Un tel site peut également s’articuler autour de services liés à la télémédecine, à l’image du projet SYMPAD, dispositif de télésurveillance d’indicateurs biologiques en pharmacie et en temps réel. Un système de prise de RDV peut être imaginé, un suivi des données médicales lié au traitement, des passerelles peuvent mises en place entre la plateforme Médecindirect et le site officinal pour échange d’informations.
Ces quelques exemples de services qui pourraient s’intégrer dans la mise en place d’une offre de vente en ligne pour des acteurs de type « click and mortar », renforcent si besoin était, le rôle essentiel et attendu de conseil et accompagnateur du pharmacien auprès de son client. Services qui permettent de garder également un lien physique entre les personnes.
Lien qui pourrait « s’espacer » un peu plus, d’après la dernière préconisation de l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances, de fermer près de 10 % des officines pour 2016. Ceci afin de contenir la progression des dépenses de l’Assurance-maladie. Cette baisse mettrait la France au même niveau que les autres pays européens, c’est-à-dire une pharmacie pour 3 300 habitants environ.
A noter enfin, qu’il existe quand même des signes visibles d’expérimentation de la part des pharmaciens d’officines, telle cette expérience menée par une pharmacie de Lannoy (nord de la France) ; mettre à disposition un distributeur automatique accessible 24h sur 24. Les clients trouvent ainsi des couches, de la crème hydratante ou encore des préservatifs…Encore un petit effort, on s’approche de l’écran tactile pour passer sa commande !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Documentations à consulter pour en savoir plus :
Conférence « Pharmacie en ligne, une nouvelle législation pour une meilleure protection des officines et des consommateurs » – janvier 2012 – cabinet d’avocat Ulys :
http://www.ulys.net/upload/conferences/doc/Pharmacies%20en%20ligne%20v4_FINALE%20(3).pdf