Notre narrateur en flash-back nous raconte son père violent, déçu de son Irlande, déchu par son alcool. Pat Meehan, en mai 1923 avait perdu la guerre, l’Irlande était coupée en deux, père de trop d’enfants, que l’Irlande ne pouvait nourrir. Pendant la Seconde Guerre, le père maintenant décédé, la famille quitte Killybegs pour l’autre côté de la frontière : Maman avait décidé de vendre la maison de mon père. Pendant des semaines, l’écriteau jaune et bleu est resté planté dans le gravier de notre allée. Mais cette tristesse de pierres n’intéressait personne. Trop exiguë, trop éloignée de tout. Et puis la mort rôdait par là, la misère, la douleur de cette veuve à chapelet qui parlait à Jésus comme on rabroue son homme. Tyrone Meehan, seize ans, fils de Patraig et de la terre d’Irlande. Chassé de son village par la misère, banni de son quartier par l’ennemi, joint l’IRA. Emprisonné dès l’âge de dix-sept ans : à cet instant, j’ai compris que ma vie suffoquerait entre ces murs captifs et ma rue barbelée. J’entrerais, je sortirais jusqu’à mon dernier souffle. Mains libres, entravées, libérées de nouveau pour porter un fusil en attendant les chaînes. Sans savoir si la mort m’attendrait dehors ou dedans.
Et trahir, ça a été difficile, inhumain. Ça a été trop grand pour moi. Alors ne me demande pas pourquoi, ce pourquoi, c’est tout ce qui me reste.
Tyrone Meehan a été enterré le 14 avril 2007, au cimetière de Belfast, accompagné de sa seule famille. Il a été tué à bout portant, d’un fusil de chasse, par deux tueurs cagoulés.
Sorj Chalandon, journaliste, auteur de plusieurs romans dont Une promesse lauréat du Médicis 2006, Retour à Killybegs, remporte le Grand prix du roman de l’Académie française. Un roman mémorable.