Nous ne sommes pas - encore - en Espagne et ce n’est pas le fruit de la crise sociale. Mais Isabelle Douet, couturière de son état - métier dont elle dit qu’il constitue la passion de toute sa vie : elle coud depuis l’âge de 7 ans et en a aujourd’hui 54 - a perdu son logement. Pour une raison fort simple : les modestes revenus qu’elle tirait de son activité (environ 20.000 € par an) ont chuté de 70 % à cause des travaux du tram, avenue Grammont où elle tient depuis 2007 au n° 222 une échoppe « Isabelle Couture » (un local de 20 m²).
Activité qui dit-elle, selon ce que je lis sur La Nouvelle République Faute de moyens, elle dort dans son magasin (7 août 2012) lui permettait de vivre voire survivre tout en assumant ses charges : « Je me suis mise à mon compte après plusieurs licenciements, une création de Scop. J'ai fidélisé une petite clientèle. Je pouvais payer le loyer de mon local, 150 €, l'assurance des commerçants, 400 € au mois, et le loyer d'un appartement (HLM) en face, dans la rue »… Depuis le début des travaux (en août 2011) quand elle arrive à gagner 500 € par mois, c’est le bout du monde.
Elle est en effet « positionnée sur une niche bien précise de la confection » et pour la plupart, « ses clientes sont des personnes très âgées (…) qui ne fréquentent plus son échoppe depuis le début des travaux du tram, l'accessibilité étant trop compliquée pour ces personnes qui s'aident à la marche avec des cannes ».
Et pour arranger le tout, elle vient de recevoir en juillet un courrier de l’organisme chargé de l’indemnisation des commer-çants lésés par les travaux l'informant qu’elle ne percevrait de compensation pour son manque à gagner que pour les trois premiers mois - du 1er septembre au 30 novembre 2011 - « la commission d’indemnisation amiable ayant rejeté les périodes de décembre 2011 à mai 2012 »…
Je suis tentée d’y voir de l’acharnement. J’explique : faute de pouvoir régler le loyer de son logement HLM, elle en a été expulsée en octobre 2011 et celui-ci immédiatement attribué à une autre personne. Soit un mois après le début des travaux et donc de ses difficultés. Précipitation inexplicable. J’ai la prétention de m’y connaître suffisamment dans le domaine social. Il est extrêmement rare que l’on expulsât aussi rapidement pour quelques arriérés de loyers. Que ce soit dans le parc privé et a fortiori public. J’ignore s’il y a eu un jugement, en principe préalable à toute expulsion, les juges pouvant accorder des délais.
Quid des travailleurs sociaux de la Ville de Tours ? Qui comme ailleurs, peuvent attribuer des aides ou intervenir pour interrompre une procédure. Selon ce qui lui aurait répondu l’assistante sociale qui s’occupe de son cas « à Tours, on ne la relogerait pas à moins peut-être, lui a-t-on laissé entendre, qu’elle ne cesse son activité »… Je ne peux m’empêcher de trouver tout cela formidablement curieux ! Voudrait-on la forcer à déguerpir de son échoppe - pour l’attribuer à qui ? Mystère et boulle de gomme - que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Mais Isabelle ne l’entend pas ainsi : « J'adore mon métier, je n'ai pas envie de me retrouver entre quatre murs, ce métier c'est mon seul lien social, je veux continuer ».
Cette histoire me fait d’autant plus enrager que Tours est une municipalité socialiste depuis 1995… Mais il faut croire que les Tourangeaux ont autrement la main sur le cœur que Jean Germain & consorts : un sacré cumulard au demeurant, à lire sa fiche sur Wikipedia ! En effet, j’apprends aujourd’hui, sur un autre article de La Nouvelle République que les lecteurs ont été émus des conditions difficiles dans lesquelles elle devait vivre dans son échoppe, « se débrouillant » comme elle le dit, avec de grosses larmes qu’elle ne peut retenir : « une fois son magasin fermé, elle fait cuire quelques pâtes sur un réchaud, déplie un lit de camp. Pour la toilette, elle se lave avec un gant au lavabo installé dans son commerce et pour les toilettes, utilise celles du couloir de l’immeuble d’à côté »…
« J’ai passé l’âge vivre comme ça alors que je travaille, non » ?
Toujours est-il que l’article de Patricia Lange a déclenché un bel élan de solidarité pour Isabelle, la couturière (Nouvelle République 13 août 2012). Réconfortant ! Je suis toujours émue autant que ravie de constater que malgré toutes les difficultés que beaucoup connaissent aujourd’hui la solidarité, l’amour du prochain et la révolte contre les iniquités mobilisent encore suffisamment de braves gens… « Des bounes personnes » diraient les Solognots et sans doute également certains paysans de la proche campagne tourangelle.
« Travaux de couture, courriers, chèques, nourriture sont autant de démonstrations de solidarité qui se sont manifestés derniè-rement »… Le standard du journal a été submergé d’appels. Depuis, « elle croule sous le travail. Les nouveaux clients étant nombreux : plein d’ourlets, de retouches de toutes sortes à faire, 600 € de commandes en seulement trois jours ! ». Et qui plus est, au mois d’août… voilà bien des mois qu’elle n’avait pas eu autant de travail : « Je commence à 5 h du matin jusque 11 h du soir. Ça ne me dérange pas, je veux vivre de mon métier ». Car comme elle le souligne « Je ne demande pas la charité, je veux un toit auprès de mon commerce et continuer à exercer mon métier »…
Elle a reçu des lettres d’encouragement, parfois accompagnées d’un chèque. Une jeune étudiante lui a apporté un fondant au chocolat, d’autres de la nourriture pour « Aragon », son chien. Par son fils qui vit loin de Tours, elle a appris que d’autres médias ont parlé de son cas.
Preuve également que la mobilisation paye : « la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Tours l’a contactée pour l'aider dans sa demande d'indemnisation, qui a été refusée par la commission ad hoc du syndicat des transports en commun de l'agglomération tourangelle »…
Il reste à espérer que cet élan de générosité ne soit pas qu’un feu de paille. Pour l’instant, elle va prendre du repos, son médecin lui ayant prescrit une cure pour de graves problèmes aux jambes. Elle doit être accueillie par des amis dans les Hautes-Pyrénées où elle va suivre ce traitement. Et comme conclut Patricia Lange « Espérons qu'en septembre, la couturière de l'avenue Grammont pourra voir à nouveau la vie en rose. Et qu'elle pourra bénéficier d'un vrai logement ».