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Umar TIMOL : "L'homme qui voulait rire" (suite).

Par Ananda

 

9.

Je tiens à apporter une nouvelle précision. On pourrait croire que mon directeur m’obsède, que je pense à lui tout le temps. Ce n’est le cas. Il est vrai qu’il est un véritable emmerdeur, nul débat n’est possible à ce propos mais s’il est si présent dans mes pensées c’est aussi parce qu’il incarne un type qu’on rencontre malheureusement souvent dans les couloirs des grands corps et des esprits étroits de l’état. Il est le type même d’une certaine médiocrité, de vies étriquées dont l’objectif central est de progresser à tout prix dans une hiérarchie, somme toute, absurde. Ce sont des gens qui rêvent, toute leur vie durant, à un titre, celui de directeur ou de CEO. Ils sont tellement obnubilés par leur obsession qu’ils en arrivent à oublier le plus important. Ils ne sont pas tous ainsi dans mon lieu de travail mais on en trouve très peu qui recèlent une vraie intelligence, celle de la culture, de l’humour ou du savoir vivre. Ce sont des êtres butés et obstinés, dont la conversation se résume à des palabres et à d’autres futilités. Je les vois ainsi comme les personnages d’une mauvaise pièce de théâtre, qui élaborent des stratégies de la réussite dans un endroit qui n’a de sens qu’à leurs yeux alors que pendant ce temps le monde tourne et ne cesse de tourner, indifférent aux manigances de ces êtres du dérisoire.

D’où cette envie de rire que j’ai pendant longtemps réprimé mais qui aujourd’hui éclate. Contre mon gré malheureusement.

10.

Il est minuit. J’effectue le bilan de la première journée. On dira qu’elle fut mi-figue mi raisin. Dans un premier temps cela s’est plutôt bien passé. Je me suis longuement chatouillé la plante des pieds. J’ai utilisé à cet effet un plumeau, qui s’est révélé être d’une grande efficacité. J’ai ri comme un fou, de majestueux HAHOUHAHOU suivi de stupéfiants HOHOHOUHOHOHOU, que mon corps s’est exercé graduellement à dompter. Et je crois que je suis la bonne voie. En effet, mon cinquième fou rire matinal s’est rapidement apaisé. Cette méthode qui est fondée sur la maîtrise de soi porte déjà ses fruits.

Je dois reconnaître, cependant, que cet exercice n’est pas sans inconvénients. Il réclame une certaine dextérité. Il faut déjà trouver la bonne position car s’il est vrai que mes pieds se trouvent à distance raisonnable de mes mains il faut parvenir à les chatouiller sans se livrer à des voltiges dignes d’un acrobate de haut niveau ( de préférence Russe ). Mais j’y suis parvenu et c’est le plus important. Personne ne pourra témoigner avoir vu un homme tout à raisonnable, un citoyen respectable se transformer en une créature mi-folle, mi-hystérique.

Puis j’ai longuement médité les choses sérieuses. Et ce sont des choses si éminemment sérieuses que j’ai du mal à en parler maintenant. Je risque de sombrer dans la déprime. Réfléchir ainsi à la question des embouteillages à Maurice m’a bousillé plusieurs neurones. Et ne parlons pas de la question du chou, autrement plus fondamentale.

J’étais franchement content. J’étais parvenu, en moins d’une demi-journée, à vaincre mon fou rire. Cela laissait présager beaucoup de bonnes choses. Mais survint un événement qui allait changer toutes les données ( désolé d’avoir recours au vocabulaire de l’informatique mais je suis à bout de neurones ).

Vers cinq heures de l’après-midi puisque je commençais à m’ennuyer, j’ai décidé de regarder la télévision. Je considère que la télévision est plutôt intéressante mais c’est loin d’être une passion. Le malheur a voulu que je tombe sur un film de Tabu.

Je dois maintenant ouvrir une nouvelle parenthèse pour parler de Tabu. Il est bon de savoir que je suis un fan inconditionnel de Tabu. Je ne le crie pas sur tous les toits mais je ne m’en cache pas (………….)

Fin de la parenthèse car j’étais littéralement scotché à l’écran. C’était loin d’être le meilleur film de Tabu mais ses beaux yeux me suffisaient. J’oubliais pendant une longue heure mes déboires quand soudain, apparu à l’écran, un étrange personnage qui ressemblait curieusement à mon directeur, monsieur le point, et qui se déhanchait comme un beau diable. Je n’en croyais pas mes yeux. La ressemblance était stupéfiante. Ce même visage rond et bouffi, cette même tète d’un guignol qui croit être nobélisable, ce même corps dont les proportions bien grasses s’étendent jusqu’aux confins de l’espace connu ( and beyond ). Mon directeur s’était invité chez moi de façon insidieuse. Il est aisé ensuite de comprendre ma réaction. Se produisit dans mes entrailles un tremblement de rire et le tsunami se mit à déferler. Un rire, comme je l’ai expliqué plus bas, carrément gargantuesque. Et j’ai essayé, de toutes mes forces, de le vaincre selon ma méthode anti chatouillement mais en vain. Le rire était le plus fort. Et il prenait de plus en en plus d’ampleur. Je gisais par terre et je ne cessais de rire. Mon directeur, le point, à la télévision dans un film. Mon directeur le point qui se déhanche. Le guignol, le minable, mon dieu, quelle horreur. Et je riais, et je riais, encore et encore. Comme un fou.

HAHOUHAHOU

HOHOHOUHOHOHOU

Plus fort, toujours plus fort. Le fou rire m’avait vaincu. Il a suffi d’un rien. D’un moins que rien. D’un point et tout s’est écroulé. Mais je ne compte pas abandonner.

Umar Timol

(à suivre)


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