Deuxième transporteur aérien en France, qui plus est en croissance constante et en pleine santé financière, EasyJet vient d’obtenir, non pas sa naturalisation, mais sa carte de séjour longue durée. Ou, si l’on préfère, elle est entrée dans une phase de normalisation, de banalisation : la voici compagnie française à part entière, soumise à l’ire du SNPL et paralysée par trois jours de grève. Non pas EasyJet tout entière mais sa seule branche hexagonale.
Pour l’instant, Carolyn McCall, qui dirige la compagnie orange avec brio, ne s’est pas encore exprimée. Mais on imagine volontiers sa perplexité, son incompréhension, dans la mesure où elle n’a sans doute pas encore assimilé toutes les subtilités de la culture de la grève à la française. En revanche, quel que soit le coût de cet incident de parcours, sans doute est-elle ravie de constater qu’EasyJet obtient ainsi son certificat de multi-domesticité. Et fournit la preuve ultime de la réalité de la déréglementation totale et absolue du ciel aérien européen.
Les pilotes d’EasyJet qui ont choisi d’adhérer au SNPL, une majorité de 80%, dit-on, devraient être heureux d’appartenir à une entreprise qui a le vent en poupe. D’autant qu’elle n’affiche pas l’arrogance d’une vulgaire low cost qui desservirait uniquement des aéroports implantés au milieu de champs de betteraves. Tout au contraire, ses Airbus se posent sur les pistes aristocratiques des grands aéroports et côtoient les grands de l’aviation commerciale, d’Air France à British Airways, sans compter les éclopés méritants comme Alitalia ou les éternels convalescents comme SAS et Olympic. Carolyn McCall est une personne élégante et distinguée et, en cela, elle se départit grandement de son homologue et pseudo concurrent irlandais.
Le problème posé est de taille : de nos jours, en ces temps de récession, de zone euro très malade, de perte de confiance des consommateurs dans l’avenir, le fait qu’une compagnie aérienne gagne de l’argent et des parts de marché dépasse l’entendement. Du coup, des frustrations de luxe prennent corps, en même temps que d’imprudentes initiatives. Il suffit, pour le comprendre, d’extraire quelques chiffres bien choisis des résultats d’EasyJet relatifs au troisième trimestre de l’exercice fiscal en cours. Le chiffre d’affaires a dépassé allègrement le milliard de livres sterling (grosso modo 1,2 milliard d’euros), le nombre de passagers transportés, 17,9 millions, a progressé de 10,9% et le coefficient moyen d’occupation des sièges caracole à près de 90%. Aussi Carolyn McCall ne se méfie-t-elle guère des analystes financiers et n’hésite pas à prédire que l’année clôturée fin septembre affichera un bénéfice se situant entre 280 et 300 millions de livres. Vous avez dit crise du transport aérien ? Quelle crise ?
Sans pitié pour leurs collègues d’Air France qui hésitent à accepter un gros chèque pour quitter provisoirement le pavillon hexagonal et rejoindre celui sans gloire de Transavia, ou encore ceux que la compagnie nationale encourage à exercer leurs talents en Chine, les pilotes français d’EasyJet exigent une revalorisation de leurs salaires (pourtant «aux normes») et, mieux encore, un bonus, leur part du gâteau, symbole de partage de cette enviable prospérité. N’obtenant pas satisfaction, et sans plus attendre, ils feront grève les 15, 17 et 19 août, en plein chassé-croisé estival, quand cela fait le plus mal.
Ce faisant, ils vivent dangereusement, noyés d’illusions. EasyJet, qui occupe 800 personnes sous contrat français, pourrait prendre la mouche et rapatrier tout le monde outre-Manche. Ce qui ne lui interdirait évidemment pas de continuer à défier Air France, Britair, Régional, Airlinair et la SNCF. Entre-temps, l’état-major d’EasyJet s’en tient à d’autres priorités et, notamment, un patient lèche-vitrines qui conduit ses techniciens à Toulouse, Seattle et Montréal. Le moment approche, en effet, de passer une importante commande d’avions supplémentaires, le prix de la réussite.
Pierre Sparaco - AeroMorning