Seuls 22% des Français ont plutôt plus confiance depuis ces dernières semaines dans l’avenir de la situation économique française, selon le dernier baromètre de l’économie BVA publié en novembre. Bien compréhensible au vu des nombreuses annonces économiques anxiogènes se succédant sur le devant de l’actualité, cette inquiétude va aujourd’hui de pair avec l’émergence d’un thème jusque là peu présent dans l’opinion française : la dette et le déficit public. Mais au-delà de la simple inquiétude, qu’en est-il vraiment de la perception des Français de la problématique de la dette ?
Des Français préoccupés …
Le premier enseignement des sondages récemment publiés sur le sujet est que la multiplication des actualités sur le sujet de la dette en a fait une des principales préoccupations actuelles des Français. 91% d’entre eux se disaient à cet égard inquiets en pensant au déficit public et à la dette de l’Etat dans un sondage IFOP publié fin novembre (dont 37% de très inquiets), soit un taux comparable à l’Allemagne (87%), pays où la question de la dette semble pourtant être depuis plus longtemps au cœur des débats.
C’est donc assez logiquement que cette problématique devient aujourd’hui un enjeu politique : « la dette et les déficits publics » arrivent en 4ème position des enjeux qui compteront pour les Français au moment de voter en 2012 selon le dernier baromètre politique d’Opinionway. Avec 30% des citations il arrive ainsi derrière la protection sociale (40%), le pouvoir d’achat (39%) et l’emploi (38%) mais devant d’autres enjeux qui le devançaient jusque là souvent : les inégalités sociales (27%), la sécurité (18%), l’immigration (16%), l’éducation et la formation (14%) ou encore l’environnement (12%). Les sympathisants du Modem (50%) et de droite (43%) y sont par ailleurs tout particulièrement sensibles.
Cette préoccupation s’accompagne-t-elle pour autant d’une mobilisation des Français en faveur de la réduction de la dette ? On pourrait le penser à première vue en étudiant les résultats d’une question de la première vague du baromètre politique TNS-Sofres pour 2012 : interrogés sur la priorité à donner « quelles que soient les conséquences », les Français pensent en majorité qu’il faut diminuer les déficits publics et la dette (53%), 23% pensant qu’il faut renforcer les services publics et 19% qu’il faut diminuer les impôts. Faut-il pour autant penser que les Français sont prêts à tous les sacrifices pour réduire la dette de l’Etat ? La problématique semble en réalité plus complexe.
… mais pas prêts à tout
Apparemment convaincus que le déficit public nécessite aujourd’hui une attention toute particulière, les Français ne semblent pas pour autant prêts à tout accepter pour aider au désendettement de l’Etat. Seuls 27% considèrent par exemple qu’il serait normal d’augmenter les impôts des Français pour contribuer au remboursement de la dette de la France dans un autre récent sondage de TNS-Sofres (contre 71% estimant l’inverse), seuls les sympathisants UMP pensant en majorité (52%) qu’il serait normal de le faire.
Il semble à cet égard qu’il y ait au fond une hiérarchie dans l’acceptabilité des mesures destinées à réduire la dette de l’Etat. Dans un récent sondage CSA testant le bien-fondé des différentes mesures annoncées par le gouvernement à la suite de la révision à la baisse de la croissance pour 2012, deux groupes de mesures apparaissent clairement. D’un côté des mesures impliquant les franges les plus favorisées de la population : surtaxe pour les entreprises les plus riches, gel du salaire du Président et des ministres, réduction des niches fiscales. Celles-ci sont très largement approuvées, que l’on soit de gauche ou de droite, puisque 75% à 89% des Français les estiment « justifiées ».
Les autres mesures impliquant l’ensemble de la population (âge de la retraite, gel de la hausse des allocations, hausse de la TVA à 7%) sont elles beaucoup plus clivantes. Justifié pour 48% des Français et pas justifié pour 49%, l’avancement en 2017 du passage à 62 ans du départ à la retraite est par exemple assez largement rejeté par les ouvriers (64%), les salariés du public (60%) et les sympathisants de gauche (66%). Même phénomène pour la limitation à 1% des hausses d’allocations familiales et aides au logement : 48% de « justifiée » contre 49% de « pas justifiée », les jugements des Français étant toutefois plus homogènes selon les différentes catégories de population. La hausse de la TVA à 7% pour certains secteurs est enfin elle majoritairement rejetée (53% contre 45%), notamment chez les ouvriers (67%), les revenus de moins de 1000 € mensuels (67%) et les plus jeunes (62%).
La perception de la politique de réduction de la dette semble donc être largement dépendante des effets anticipés des mesures sur le niveau de vie des Français. Or les Français sont déjà aujourd’hui particulièrement inquiets des répercutions de la crise économique et financière sur leur situation : 51% citaient ainsi en premier dans un sondage CSA pour Cap’Com leur pouvoir d’achat comme le domaine risquant le plus d’être impacté négativement par les difficultés économiques et financières traversées par la France, devant leur protection maladie et santé (41%), leur retraite (41%) ou leur emploi (23%).
C’est pour cette raison que l’opinion française est encore aujourd’hui circonspecte face à la perspective de sacrifices à l’avenir : 57% des Français déclaraient ainsi dans un récent sondage Viavoice qu’ils n’étaient pas prêts à perdre un peu de pouvoir d’achat pour réduire la dette et les déficits publics, contre 41% s’estimant au contraire prêts. Une réalité qui peut faire réfléchir certains hommes politiques à l’heure de construire leurs argumentaires pour 2012, une majorité de Français n’estimant apparemment aujourd’hui pas justifié de se sacrifier personnellement pour contribuer au désendettement de l’Etat.
Un consensus fragile
Au-delà de ce rejet d’une trop grande austérité, on peut s’interroger sur le réel consensus des Français autour de la problématique de la dette. L’avalanche de mauvaises nouvelles économiques et de scénarios catastrophe a en effet grandement facilité l’arrivée du sujet sur le devant de la scène mais doit-on pour autant penser que tous les Français se positionnement de la même manière vis-à-vis du problème ? Une question du sondage IFOP cité plus haut apporte à cet égard un élément de nuance important en interrogeant les Français sur la responsabilité de cette crise européenne de la dette. Si une majorité relative (39%) cite « l’incapacité des Etats à réduire leurs dépenses », ce qui conduit alors logiquement à des plans d’austérité, d’autres réponses sont fréquemment citées : « la spéculation sur les marchés financiers » (26%), « l’incapacité des Etats à relancer leur croissance économique et à augmenter leurs recettes » (15%) ou encore « l’incapacité des institutions européennes à limiter par des règles l’ampleur des dettes des Etats », toutes ces responsabilités perçues appelant à des réponses politiques bien différentes.
Face à cette variété de perceptions de la crise de la dette, on comprend que l’émergence d’un consensus autour du problème de la dette est encore difficile, autant chez les Français que dans la classe politique qui est sensée les représenter. D’autant plus difficile que la présence médiatique de la dette publique ne suffit pas encore à faire de celle-là un sujet également compris par tous : 64% des Français s’estiment ainsi mal informés au sujet de l’endettement de la France dans le sondage CSA pour Cap’Com déjà cité plus haut. Plus généralement, l’information disponible sur la situation financière de la France n’est jugée « compréhensible » que par 45% des Français, « permettant d’évaluer les conséquences concrètes de la crise sur sa vie quotidienne » que par 34%, « objective » par 23% et « complète » par seulement 17% des Français.
Face à ce flou encore important entourant la problématique de la dette, beaucoup semble donc encore à faire, tant par les médias que par les hommes politiques, pour informer les citoyens et leur procurer des grilles de lecture de la situation. Il est peu probable en revanche que la politisation du débat en vue du premier de la présidentielle incitera les Français à se réunir sur le sujet, l’affrontement entre austérité (même non-dite) et relance (même teintée d’austérité) risquant d’être au cœur de la campagne.