On peut dire qu’aujourd’hui « la Terre est un monde de MAMMIFERES ». Les mammifères forment en effet une « grande famille » représentée par « plus de 5 000 espèces différentes », parmi lesquelles il faut compter les Humains, qui exercent leur emprise sur l’ensemble de la planète, allant jusqu’à modifier les écosystèmes et les climats de façon jamais vue jusqu’alors.
Mais ce qu’on sait moins, c’est qu’il n’en a pas toujours été ainsi, tant s’en faut : les premiers mammifères, c’est à dire nos plus lointains ancêtres, ont eu à faire face à une planète qui n’était, pour eux, qu’ « un monde hostile et terrifiant, un monde de DINOSAURES » !
Ce qu’il faut savoir, c’est que les mammifères, dans leur ensemble, sont le résultat « d’une course évolutive de plus de DEUX CENT MILLIONS D’ANNEES, course d’autant plus intéressante et indispensable à connaître qu’elle constitue « notre histoire ».
La plus ancienne trace connue de mammifère a été trouvée au NOUVEAU-MEXIQUE (Etats-Unis), dans une strate géologique remontant à deux cent vingt millions d’années, par le Dr Adrian HUNT. Il s’agit d’un « crâne minuscule » attestant de manière certaine que l’animal qui en était le propriétaire n’était « guère plus grand qu’une souris ». Cette créature, qui mesurait « moins de dix centimètres » allaitait déjà ses petits qui naissaient toutefois encore dans des œufs, et menait une « existence discrète », motivée par la redoutable présence des grands reptiles de l’époque. Dans la même formation géologique se trouvent en effet aussi des traces de dinosaures tels que, par exemple, le COELOPHYSIS, un « redoutable prédateur ».
Dinosaures et mammifères, nous apprend-t-on, constituent « deux groupes qui sont apparus en même temps » et qui se sont affrontés durant pas moins de « cent millions d’années ».
L’UNIVERSITE DE YALE abrite un fossile vieux de « cent cinquante millions d’années », celui de LAOLESTES, un autre mammifère qui, mesurant « à peine dix centimètres », présentait toujours la même apparence très proche de celle de la « souris », ce qui veut dire qu’en les quelques soixante dix millions d’années qui séparent les restes du Nouveau-Mexique de ceux de cet animal, l’aspect des mammifères ne s’est guère modifié. Qu’en penser ? Sans aucun doute, une telle timidité évolutive tient-elle à « l’incroyable essor des dinosaures », devenus « gigantesques ». Comme on s’en doute, le JURASSIQUE était « un monde âpre et violent », qui comptait des monstres comme le SUPERSAURUS, lourd de « quarante tonnes » et long de « trente trois mètres », de surcroît doté d’une durée de vie de « plus de cent ans ».
« Quelle place pour les petits mammifères » face à des créatures de cet acabit ? Pour survivre, ils n’eurent d’autre choix que celui d’ « investir le monde de la nuit », et c’est ainsi que Laolestes, en « s’affairant dans l’obscurité », développa son sens de l’ouïe.
Au nord-est de la CHINE, dans la province de LIAONING, se trouve un site de « plaques » datant du CRETACE (cent vingt cinq millions d’années). On a eu la chance d’y découvrir « tout un écosystème » portant la trace de « plus de trois cent espèces différentes ». À ceci, une raison : au crétacé, le site était « un lac ». Parmi toute cette multitude d’espèces, un mammifère « radicalement nouveau », que l’on a baptisé EOMAÏA. Pourquoi « radicalement nouveau » ? Eh bien, parce que c’est à cette époque que le groupe des mammifères développe un mode de reproduction révolutionnaire avec l’APPARITION DU PLACENTA. Autant dire (ce que fait le commentateur du documentaire) que « notre histoire commence avec Eomaïa ».
Le placenta protège les petits des mammifères de la faim, des écarts de température et des prédateurs beaucoup plus efficacement que ne le font les œufs. En outre, il « associe plus longuement les mères et leurs petits ». Voilà qui explique peut-être que plus de 90% des mammifères d’aujourd’hui sont des placentaires.
Mais voici que le documentaire nous fait quitter la Chine pour le WYOMING, et, pour être plus précis encore, pour ses fourmilières, lesquelles ont la particularité de retenir en leur sein de minuscules dents de « deux millimètres ». Ces dents appartiennent à un mammifère qui vivait il y a soixante six millions d’années, SIMOLESTES, et dont la taille n’excédait toujours pas « quinze centimètres ». La jeune paléontologue américaine qui exhume ces dents en déduit qu’à cette époque, les mammifères « ne se sont toujours pas diversifiés et n’ont toujours pas évolué ». Le Dr LUO, avec raison, commente : il y a soixante six millions d’années, « les dinosaures sont les grands vainqueurs de la course évolutive ».
Pourtant, ils sont proches de leur fin. Une fin brutale, longtemps demeurée mystérieuse mais qui, maintenant, a son explication, en l’espèce d’un « événement imprévisible » : il y a cent soixante millions d’années a lieu « une collision dans la ceinture d’astéroïdes qui se situe entre les planètes Mars et Jupiter » ; elle occasionne une fragmentation, dont les éléments sont « catapultés dans le Système Solaire » lors d’une course qui durera « près de cent millions d’années ». Le résultat ? D’abord, rendons-nous cette fois en BOLIVIE, à côté de la ville de SUCRE, sur un terrain calcaire de falaises de craie qui constitue « un gisement unique ». Nous y rencontrons le Dr Christian MEYER, de BÂLE, en Suisse, qui a pour mission d’étudier ses vestiges. Ses vestiges, ce sont « plus de 5 000 empreintes de dinosaures » appartenant à « six espèces différentes », lesquelles comprennent tant des herbivores que des carnivores.
Or, le site est daté de « juste avant » la disparition des grands reptiles, et il atteste, de façon éclatante, que, plus que jamais, à ce moment-là, ces derniers sont au faîte de leur puissance : nul déclin, puisque « de nouvelles espèces de dinosaures » continuent allègrement d’apparaître et que, parmi eux, « les carnivores sont devenus terrifiants », à l’image du CARNOSAURUS, cependant qu’en face d’eux, les herbivores ont développé des « défenses » non moins impressionnantes (visibles, par exemple, chez le SALTASAURUS).
Non, force est de l’admettre : « depuis cent cinquante millions d’années, les reptiles géants dominent les continents et rythment la vie de la Terre de leurs monstrueux combats », dans « une lutte permanente pour la survie d’une violence inimaginable ».
« Il y a soixante six millions d’années, la Terre est plus que jamais le royaume des dinosaures et pourtant leur règne va bientôt s’achever » : « jusqu’au dernier moment, ils n’ont décliné ni en diversité, ni en nombre, ni en taille », contrairement à ce que cherchent à soutenir certaines théories, que les découvertes du site bolivien viennent justement battre en brèche.
Ce qui va tout changer, ce sera, il y a soixante cinq millions d’années, « l’arrivée de la météorite », de ce fragment issu de la collision d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, près de cent millions d’années plus tôt. Elle sera fatale.
Au CANADA, dans la province d’ALBERTA, le Dr François TERRIEN nous montre une « ligne noire » de trois centimètres d’épaisseur que les géologues désignent par le nom de « LIMITE K-T » (ou encore « LIMITE CRETACE-TERTIAIRE »). Cette « limite » est très importante, puisqu’elle constitue la trace géologique et donc très concrète de « l’événement » accidentel qui cependant occasionna « la disparition de près de 40% de la biodiversité » terrestre il y a soixante cinq millions d’années. On peut vraiment dire que « cette ligne [de limite] marque la fin d’un monde » ; le fameux TYRANNOSAURUS REX vient de naître…
Avec le quartz choqué et l’iridium qu’elle renferme, la limite K-T porte « les indices d’une onde de choc de plusieurs milliards de pascals ». On a calculé qu’elle résultait de la chute d’ « une météorite d’environ huit kilomètres de diamètre » et évalué que l’effet de ladite chute avait été équivalent à « cinq milliards de bombes d’Hiroshima ».
Survenue
tout près de la péninsule centre- américaine du YUCATAN, elle a, de par l’onde de choc qu’elle a générée, projeté une multitude d’ « éjectats » et donné lieu à « une
gigantesque boule de feu » d’une température de « 6 000 degrés Celsius » qui s’est répandue à une vitesse de « 72 000 kilomètres/heure » et a été « visible de
l’espace ». Ensuite se produisit une « condensation en fine poussière » qui au bout d’une heure, se mit à « retomber dans l’atmosphère terrestre ». « Une quantité
phénoménale de particules de poussière » fut émise, qui, dégageant une chaleur de « 1 500 degrés Celsius », eut tôt fait de consumer la peau des malheureux dinosaures tout en
« embrasant instantanément les arbres sur toute la surface du globe ». A l’endroit même de la chute se creusa « une gigantesque cuvette », que, juste après l’impact,
« l’océan réinvestit brutalement » ; l’eau, en s’engouffrant de la sorte, se transforma en déferlante qui eut tôt fait de courir vers les rivages et de submerger le nord comme le
sud de l’Amérique d’un « MEGATSUNAMI » de « trois cent mètres de haut » ; le niveau de l’océan monta. On pense aujourd’hui que « l’océan a dû mettre dix heures pour
réinvestir le cratère », et qu’il projeta, en direction des continents voisins, « une masse d’eau inimaginable » : « ce méga tsunami s’est enfoncé profondément au coeur
des terres ». Les scientifiques ont même réussi à établir (grâce à l’étude des strates) qu’ « au moins six vagues gigantesques successives » ont balayé ces dernières. Un mois
après, la Terre était devenue « un monde de cendres », frappé d’ « un refroidissement de dix degrés » de la température, qui devait se prolonger « sur
plusieurs années ».
Si les végétaux, on le sait, « se sont assez vite reconstitué », les dinosaures, eux, n’ont pas eu cette chance : ils se sont éteints définitivement, « en une dizaine d’années
au plus ».
Mais qu’en est-il des mammifères ?
Ils ont survécu, nous le savons tous, sans quoi nous ne serions pas là pour le dire. Les scientifiques avancent qu’ « ils doivent leur survie avant tout à leur petite taille ». Cette dernière leur a permis de trouver refuge facilement à l’intérieur de « terriers souterrains » aux pires moments du cataclysme. Leur type d’alimentation, « moins spécialisé », les a aussi aidés : « ces petites souris puisaient peu dans les ressources » et, au surplus, se reproduisaient vite. Leur courte durée de vie, qui n’excédait guère deux ou trois ans, joua de même en leur faveur : elle permettait en effet « une évolution beaucoup plus rapide ». Et n’oublions pas non plus leur « stratégie de reproduction » inédite et ingénieuse, qui protégeait bien davantage leurs bébés à naître…
Les mammifères donnent une illustration éclatante du fait qu’ « une petite taille peut devenir un atout », si le contexte s’y prête.
Le cataclysme de la limite K-T fut, sans aucun doute, « une chance extraordinaire » pour notre gent mammifère.
Puis L’ERE TERTIAIRE vint, qui s’ouvrit sur « un monde nouveau, débarrassé des dinosaures ».
Nous voici en ALLEMAGNE, à trente kilomètres de Francfort, sur le site fossilifère de MESSEL. Il remonte à l’EOCENE, c'est-à-dire à vingt millions d’années après l’apocalypse induite par la météorite.
Il y a quarante sept millions d’années, donc, le site de Messel, tout comme, du reste, celui de Liaoning et celui de Sucre, était un lac. Il a livré les traces fossiles de « plus de dix mille poissons » et de « près de mille insectes » (dont une cigale et une fourmi volante) dans un état de conservation « spectaculaire » (imaginez : la coloration des ailes des insectes s’y trouvait préservée !).
Mais ce qui nous intéresse ici avant tout est qu’il témoigne d’« un essor spectaculaire des mammifères » : nous y trouvons le LEPTICTIDIUM, long de soixante centimètres, qui « sautait comme les kangourous », un autre animal long d’une quarantaine de centimètres et ressemblant fort à notre actuel fourmilier, ou encore une espèce de tapir « au corps très compact » et même une chauve-souris. Mais le fossile sans doute le plus remarquable est celui, « en 3D », d’un animal de cinquante centimètres de long baptisé PROPALEOTHERIUM, qui a été jusqu’à conserver « des vestiges de son pelage ». Ce n’est autre que l’ancêtre des chevaux, et il se nourrissait « de feuilles et de graines ».
A la lumière de tout ce que nous livre le site de Messel, un fait apparait flagrant : « les mammifères ont investi de nouvelles niches et ont [enfin !] commencé à se diversifier » !
Essayons d’imaginer l’étrange univers ancien de Messel : il s’agit d’une « jungle chaude », à l’image de toute l’Europe de l’époque. Tandis que le leptictidium pourchasse les insectes avec constance, l’EUROPOLEMUR, qui mesure près d’un mètre de long, vient tout juste d’apparaître. Pourtant, ne nous y trompons pas : cette jungle n’est en rien un éden. « Cette terre est loin d’être encore un paradis pour nos lointains ancêtres ». Témoin, le « FOSSILE DE KARLSRUHE » qui, de toute évidence, porte « la preuve d’un crime commis sur un europolémur, donc un être arboricole, sur les bords du lac de Messel ». La malheureuse bête a été « déchirée en deux par une puissante mâchoire », dont on aimerait bien savoir à quelle créature elle appartenait.
Mais il y a gros à parier qu’il s’agissait d’un crocodilien. Les CROCODILES DE MER de la région de DARWIN, en AUSTRALIE, n’ont-ils pas pour habitude de faire des bonds hors de l’eau pour attraper des proies ?
Les
CROCODILIENS sont une vieille famille qui s’est séparée des reptiles « il y a environ deux cent millions d’années ». Leur premier ancêtre répertorié, le SALTOPOSUCHUS, vivait sur la
PANGEE, mesurait quarante centimètres et était bipède. Puis eut lieu le fractionnement de la Pangée en divers continents et, à cette faveur, les crocodiliens se mirent à investir les marécages,
qui n’intéressaient guère les dinosaures. Il y a soixante treize millions d’années, ils évoluèrent jusqu’à donner, sur le territoire des actuels Etats-Unis, la forme géante du DEINOSUCHUS, le
plus grand crocodilien à avoir jamais existé. Avec ses bons quinze mètres de long et ses dents hautes de quinze centimètres, cet animal était « aussi grand que les dinosaures de son
époque » et pouvait facilement tenir en respect jusqu’aux tyrannosaures, qui se méfiaient de lui. Il vivait « le long des rivages ». Cependant la chute de la météorite fatale vit
l’extinction tout aussi bien des crocodiles géants que de leurs monstrueux « cousins » les reptiles terrestres. Seules les espèces de crocodiliens « les plus petites »
survécurent et purent, après le drame, se lancer dans la reconquête de leur royaume semi aquatique où ils entamèrent avec dynamisme un nouveau développement, avec de nouvelles évolutions (le
DIPLOCYNODON, par exemple).
Mais un autre fait frappe à Messel : le grand nombre d’oiseaux que recèle le site. « Plus de cinquante espèces d’oiseaux » s’y trouvent en effet représentées, dont, parmi elles, un
volatile qui a de quoi attirer l’attention. Imaginez : cet oiseau est doté d’un os de la cuisse mesurant trente centimètres.
Il se trouve qu’il existait également sur le continent américain. Avec ses deux mètres de haut et ses cent kilos de poids, le GASTORNIS était incapable de voler. Il affichait « un énorme crâne, un énorme bec, un cou très robuste et très musclé », toutes caractéristiques qui signalent « un grand prédateur ». Il apparut très tôt après l’extinction des dinosaures…à se demander s’il n’était pas « leur descendant le plus direct ». Après tout, le site de Liaoning (encore lui !) a livré un fossile de dinosaure daté de cent vingt cinq millions d’années qui était « couvert de plumes ». En MONGOLIE, de même, on a la trace d’ « un petit dinosaure de la fin du crétacé », l’OVIRAPTOR, dont un spécialiste mongol de la question nous révèle qu’ « il couvait ses œufs » et que cette découverte « a révolutionné notre vision des dinosaures » en nous suggérant que certains d’entre eux avaient « développé un nouveau métabolisme ».
Reste à savoir pourquoi les oiseaux ont réussi à survivre au cataclysme météoritique. Si l’on ignore toujours, on serait toutefois enclin à avancer l’hypothèse que le fait de couver leurs petits « a dû jouer un rôle », en augmentant, un peu à l’image de ce qui se passait chez les mammifères, l’INVESTISSEMENT PARENTAL.
Ce qui est certain, en tout cas, c’est que « les oiseaux ont conservé les pattes de leurs ancêtres dinosaures ». Surtout le gastornis, que les scientifiques soupçonnent fortement d’avoir eu un comportement voisin de celui des casoars actuels.
Ce redoutable volatile, à l’éocène, « régnait sur la jungle européenne ».
Il faut, au passage, préciser qu’en ce temps-là, l’Europe n’offrait pas du tout l’aspect que nous lui connaissons de nos jours ; elle consistait en « un territoire morcelé » par d’innombrables « bras de mer » où s’étendaient des zones forestières denses, très humides. En ce sens, elle se différenciait radicalement de l’ASIE qui, il y a cinquante deux millions d’années, était au contraire « restée un bloc continental massif ». De cette différence patente découle d’ailleurs un fait important : alors que les mammifères d’Europe frappent par leurs dimensions encore modestes, la province du HENAN, en CHINE, a livré les restes fossiles d’un « grand mammifère », l’AZOCORYPHODON. Il est avéré que « l’immensité du continent asiatique, avec la diversité des niches écologiques qu’elle comporte (zones de déserts, zones de jungles, espaces de prairies) a favorisé notablement la diversification des mammifères », ainsi que l’augmentation de leur taille.
Les mammifères, au départ, ont eu la chance de s’incarner sous une forme « très simple », voire même « primitive », celle de la souris, totalement exempte de spécialisations. Au rebours de leurs contemporains les crocodiliens et les gastornis, animaux déjà fortement spécialisés et, en tant que tels, peu aptes à s’adapter à de nouvelles niches écologiques, ils avaient donc « la possibilité (enviable à l’époque) d’évoluer dans toutes les directions ». C’est ce qu’ils firent, notamment avec l’apparition des premiers mammifères carnivores lesquels, très rapidement, entraînèrent la disparition des gastornis.
« Il y a trente cinq millions d’années, les mammifères occupent toutes les niches continentales et, désormais, la lutte pour la survie ne se joue plus qu’entre leurs différentes espèces ». L’Asie, qui est déjà depuis bien plus longtemps que l’Europe, comme nous l’avons vu, un « royaume de mammifères », voit apparaître des formes géantes, tel l’INDRICOTHERIUM, un « véritable phénomène » de huit mètres de long qui, à lui seul, totalise le poids et le volume de deux de nos éléphants d’Afrique.
Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est que, « durant vingt millions d’années », la planète fut le théâtre d’ « un affrontement entre deux grandes familles différentes de mammifères » : les MAMMIFERES PLACENTAIRES déjà cités et les MAMMIFERES MARSUPIAUX.
Les seconds se distinguent des premiers en ce qu’ils ont « un placenta beaucoup moins développé » et que, par voie de conséquence, la majeure partie de leur gestation s’effectue dans une poche marsupiale située à l’extérieur, contre le ventre de la femelle (comme c’est le cas du kangourou).
Il y a quarante sept millions d’années, dans la jungle européenne, les marsupiaux étaient présents, comme en attestent les découvertes du site de Messel, où l’on a dénombré, « sur quarante espèces de mammifères, seulement deux espèces » appartenant à ce groupe.
D’après ce que l’on sait, les marsupiaux sont apparus en même temps que les placentaires, avec lesquels ils ont d’abord coexisté, avant de reculer puis de disparaître sur tous les continents hormis l’Australie.
Pendant longtemps, on a cru que c’était l’isolement du continent austral qui, en empêchant les placentaires d’y accéder et de s’y répandre, avait autorisé la survie des marsupiaux. Pourtant, une récente découverte, effectuée dans la strate de MURGON, une strate de cinquante cinq millions d’années d’âge, est venue remettre en cause de façon inattendue cette certitude bien ancrée. Cette découverte fut celle d’une dent de mammifère placentaire. D’elle, un paléontologue australien nous dit qu’elle délivre « un message très clair » : il y a cinquante cinq millions d’années, l’Australie, au même titre que tous les autres continents, vit se côtoyer sur son sol les deux catégories rivales de mammifères et il y eut, tout autant qu’ailleurs, « compétition entre les deux groupes ». Cette compétition, comme on sait, fut perdue par les placentaires, là au contraire de ce qui se passa sur toutes les autres terres. Le choc de cette constatation passé, les spécialistes se demandèrent, légitimement, pour quelles raisons l’Australie fut vouée à ce destin exceptionnel. La réponse (supposée), ils la trouvèrent dans « la sécheresse de l’environnement australien », ainsi que dans la capacité qu’ont les mères marsupiales de « contrôler mieux leur reproduction » du fait que « leurs petits naissent à l’état de larves ».
Le continent sud-américain, lui, ne connut pas d’évolution analogue. Pourtant, un autre site constitué de strates, le site de TIUPAMPA en BOLIVIE atteste clairement, grâce à de nombreux fossiles, que voici 64,5 millions d’années, le continent comptait une proportion tout à fait équivalente d’espèces marsupiales et d’espèces placentaires. Etudiés à Paris, ces fossiles, qui appartiennent à des « animaux de petite taille » révèlent « un monde unique et étonnant » au sein duquel on assiste à un véritable « équilibre inversé » par rapport à celui qui triomphe dans le reste du globe. Ici, contre toute attente, ce sont les dents appartenant à des marsupiaux qui portent témoignage d’un régime carnivore ; les placentaires, tant herbivores que carnivores, tiennent un rôle de proies. Les marsupiaux exercèrent donc une très longue domination, qui culmina voici trois millions d’années avec le règne « sans partage » d’un étrange tigre à dents de sabre marsupial baptisé THYLACOSMILUS. Ce grand prédateur carnivore était au sommet de la chaîne alimentaire sud-américaine, sur un continent qui, tout comme l’actuelle Australie, pouvait à bon droit se voir attribuer l’étiquette de « royaume des marsupiaux ». Dans le même temps, l’Amérique du Nord suivait un chemin tout à fait différent. Si nous le savons, c’est, entre autres, grâce au désormais réputé « PUITS DE GOUDRON DE LA BREA », en CALIFORNIE qui, en raison de ses propriétés toutes particulières, a piégé en son sein une énorme quantité de mammifères de l’ère tertiaire. Ainsi le Dr Christopher SHAW peut-il mener des recherches approfondies sur le grand prédateur local de cette époque, le SMILODON, un placentaire qui fut le quasi sosie du thylacosmilus. « de la taille d’un lion actuel », ce grand fauve aux impressionnantes canines recourbées « chassait probablement en groupe » et « dominait l’écosystème nord-américain » de la même façon que son équivalent et contemporain marsupial dominait celui de l’Amérique du Sud.
Etrange cas que celui de cette évolution convergente des marsupiaux et des placentaires ! Non seulement, comme nous venons de le constater, il y eut « apparition de prédateurs aux caractéristiques identiques » de part et d’autre, mais encore « toute une série d’espèces pratiquement jumelles » exista, dans les deux Amériques ! Des fossiles de « taupe », de « chat » et d’ « écureuil volant », notamment, en attestent. Le moins qu’on puisse dire est que le cas d’ « évolution parallèle » est ici troublant. Mais cette situation, il y a quelques 2,7 millions d’années, se modifia avec la fusion entre les deux continents américains, qui étaient auparavant séparés. En toute logique, cette rencontre des deux masses continentales par le biais de l’Isthme de Panama se solda par l’entrée en contact (et donc la mise en concurrence) des deux faunes qu’elles abritaient. Ce contact fut fatal à tout ce qui n’était pas placentaire et, en particulier, à l’un de nos « deux jumeaux prédateurs », on devine lequel. Résultat direct : en peu de temps, « la lignée de thylacosmilus s’est éteinte », et celle de smilodon « a prospéré » jusqu’à ce que, il y a seulement 10 000 ans, survienne sa disparition.
Y a-t-il une explication à ce triomphe des placentaires ? Sans doute…car on a noté que le cerveau de smilodon était « une fois et demie plus volumineux » que celui de son infortuné rival. Il n’est d’ailleurs pas seul dans ce cas, et l’on a pu s’apercevoir que « les cerveaux des placentaires sont, en moyenne, plus gros et plus complexes que ceux des mammifères marsupiaux ». Ceci résulte du fait que, chez ces derniers, le cerveau est bridé dans son développement par la contrainte qui lui est imposée de devoir s’ossifier plus tôt en raison de la beaucoup plus courte période de gestation.
Eh oui, force est maintenant d’en prendre conscience, sans longue période de gestation, le développement de cerveaux « volumineux et complexes » demeurerait impossible. Jamais des animaux aux caractéristiques telles que celles des marsupiaux n’auraient pu donner naissance, même par évolution parallèle, aux primates et aux Humains !
Au terme d’une course évolutive de deux cent vingt millions d’années, les placentaires, plus favorisés par la nature, n’ont pu que s’imposer, et ce « en grande partie grâce au développement de leur masse cérébrale ».
P. Laranco