Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Le 15 décembre dernier, la Cour d’appel rendait une décision très intéressante en matière de droit de l’emploi dans l’affaire THQ Montréal inc. c. Ubisoft Divertissements Inc. (2011 QCCA 2344). Elle est d’ailleurs tellement intéressante, que nous lui consacrerons plusieurs billets, le premier traitant de la durée des ordonnances de sauvegarde. En effet, dans cette affaire la Cour indique qu’on ne devrait jamais émettre d’ordonnance de sauvegarde à durée indéterminée et que la simple mention qu’une telle ordonnance restera en vigueur jusqu’à l’injonction interlocutoire est potentiellement insuffisante comme limite temporelle.
La trame factuelle de l’affaire est relativement simple. Les Appelantes démarrent un nouveau studio de jeux vidéo dans la ville de Montréal. Elles recrutent deux de leurs employés parmi les travailleurs oeuvrant pour le compte de l’Intimée. Cette dernière soutient que ces deux employés ont sollicité d’autres membres de son personnel, et ce, malgré l’existence de clauses de non-sollicitation les liant à elle. Pour mettre fin à ce comportement qu’elle juge déloyal, l’Intimée demande à la Cour supérieure de prononcer des ordonnances d’injonction contre les Appelantes et ses deux ex-employés.
Le 13 juillet 2011, la Cour supérieure renouvellait une ordonnance de sauvegarde jusqu’au prononcé du jugement sur l’injonction interlocutoire. Cette ordonnance enjoignait aux Appelantes de :
[73] d) […] s’abstenir et de cesser immédiatement, directement ou indirectement, de solliciter et d’embaucher tout employé à l’emploi de la requérante Ubisoft Divertissements inc. lié, à sa connaissance, par une clause de non-concurrence, sauf par des moyens généraux de sollicitation tels la radio, la télévision ou autres moyens similaires s’adressant à une collectivité plutôt qu’à des individus ciblés;
Les Appelantes se pourvoient et soulève un certain nombre d’arguments. Celui qui nous intéresse aujourd’hui veut que l’ordonnance soit invalide quant à sa durée, une ordonnance de sauvegarde devant toujours être limitée dans le temps.
La Cour d’appel, l’Honorable juge Guy Gagnon écrivant pour un banc unanime, est d’accord avec cette prétention:
[66] Malgré qu’elle soit par sa nature même comparable à une injonction provisoire, la jurisprudence reconnaît qu’une ordonnance de sauvegarde excédera souvent dix jours. Toutefois, elle ne peut être pour une durée indéterminée.
[67] La doctrine convient que la durée de l’ordonnance de sauvegarde doit être conditionnée par un temps d’application stricte. Celle-ci ne peut donc par sa durée emprunter aux caractéristiques de l’ordonnance d’injonction interlocutoire prononcée pour une période prolongée, possiblement jusqu’à la fin de l’instance.
[68] L’ordonnance de sauvegarde n’est accordée que pour des fins conservatoires et vise essentiellement à préserver les droits des parties. Dans ces circonstances, sa durée ne doit pas avoir comme conséquence de dénaturer cette fonction première et, en bout de course, de permettre de préjuger du fond du litige.
[...]
[71] En l’espèce, au moment de l’audition de l’appel, l’ordonnance de sauvegarde initiale était en vigueur depuis huit mois et devait le demeurer jusqu’à la prochaine étape en Cour supérieure, soit jusqu’au moment où se tiendra l’audition de la requête sur l’injonction interlocutoire fixée quelque part en décembre 2011.
[72] Lorsqu’une ordonnance de sauvegarde influe sur les droits d’une partie qui manifestement ne consent pas à être astreinte au respect de conditions qu’elle n’a pu jusqu’à maintenant contester, il devient impératif que celle-ci ne soit pas prolongée pour une période de temps indéterminée. Le redressement d’une situation basée sur l’idée qu’entretient un requérant de son droit protégé par une ordonnance à caractère éphémère ne saurait s’imposer à la partie adverse de manière indéfinie sans provoquer un déséquilibre entre les forces en présence.
[73] À titre d’illustration de mon propos, je remarque que la durée de l’ordonnance en cause a eu comme conséquence de sceller pratiquement le sort du litige en ce qui a trait aux situations de Désilets et de Gomez-Urda, puisqu’ils ont été sous le coup d’une ordonnance de sauvegarde presque durant toute la période où la clause de non-sollicitation s’est appliquée à eux.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/tUqCoy