Dans le même temps, des journaux dans des pays comparables comme l'Italie ou l'Espagne, publient au coeur du mois d'août des numéros denses, informés, et parfois décalés, qui font, eux, 60 pages. Une question affleure le lecteur bilingue. Comment la Repubblica peut faire un quotidien de 60 pages, quand Libération ou le Figaro en plein mois d'août en donne à lire seulement 28. Les esprits les plus optimistes diront que ce n'est pas la quantité qui compte, mais la qualité. Certes, mais pour avoir lu la Repubblica pendant une semaine chaque jour, je peux attester de la qualité réelle de ce quotidien. Tant dans la façon d'aborder les sujets chauds, que les sujets d'actu plus froids, que les sujets cultures ou encore les papiers "d'été" qui n'en sont d'ailleurs pas vraiment. De fait, pour les quotidiens italiens, espagnols ou même britanniques, l'été n'est pas forcément une période où l'on en donne moins. Au contraire même, le lecteur qui a plus de temps est peut-être même plus réceptif à des papiers classiques.Faut-il inévitablement lui servir des sagas de ceci ou de cela, des rétrospectives, des papiers thématiques uniquement parce que c'est l'été ?
Pourquoi ne pas rêver d'un Libération qui à l'instar de La Repubblica s'étale, l'été sur 60 pages, alliant les papiers d'actualité, les papiers de décryptage, mais aussi des papiers plus longs de reportages ou dédiés à la culture. Si El Pais et la Repubblica y parviennent pourquoi pas nous ?
Ce constat terrible pour la presse française souligne de fait deux éléments qui font la crise structurelle de notre presse. D'abord, la crise de l'offre. Les quotidiens dans leur ensemble, en croyant bien faire ont sacrifié à la dictature du court et du fameux dicton "le lecteur n'a pas le temps". Ils ont parfois oublié leur mission de "créateur" d'information dans le sens ou par leur regard, ils donnent à voir le monde. Cette crise de l'offre est une part essentielle de la crise actuelle de la presse quotidienne - et parfois hebdomadaire - française. L'oubli de l'envie de donner à voir au lecteur autre chose que la lumière émise par le lampadaire. Lui donner envie de regarder derrière le lampadaire, de prendre des chemins de traverses et de découvrir des choses qu'il ignorait. Les succès de XXI, de Mediapart, les tentatives plutôt réussies de L'Impossible de Michel Butel démontrent que le lecteur n'est pas aussi tenté que cela par le "buzz", le court et tout ce qui va avec. Au contraire.
L'autre point qui fait notre crise structurelle est bien évidemment les conditions de fabrication et de distribution des quotidiens papiers en France. Cela n'est toujours pas résolu et on en vient à se demander s'il ne serait pas stratégique pour les éditeurs d'abandonner purement et simplement la vente au numéro. C'est cela qui fait la crise structurelle de la presse. Il devient aujourd'hui stratégique pour un éditeur de ce poser cette question : doit-on abandonner la vente au numéro ? Faut-il rappeler que la vente au numéro est, au contraire, ce qui démontre la vitalité et la santé d'un titre.
Si les confrères européens connaissent eux aussi la crise du modèle du quotidien délivré sur papier, ils ne semblent pas avoir abandonné leur mission. L'été, les quotidiens français eux le font et c'est le début d'un renoncement.