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"Le ravissement de l'été" de Luisa Etxenike

Publié le 11 août 2012 par Francisrichard @francisrichard

A la devanture d'une librairie de Saint Jean-de-Luz mon oeil est attiré par la couverture du livre de Luisa Etxenike. La belle femme de quarante ans ne me regarde pas, mais derrière elle, alors qu'elle est assise au bord d'une eau scintillante, l'été, vêtue d'une robe bleue, élégante et légère, qui dessine son corps. 

C'est le nom de l'auteur plus que la femme de la couverture qui, je sais, a capté mon attention. Parce que c'est un patronyme typique du pays où je me trouve.

En prenant le livre en main j'apprends que l'auteur est effectivement basque, espagnole, et qu'il s'agit de son premier roman traduit en français. Il n'en faut pas davantage pour que je veuille l'habiter aussitôt, dans la chaleur d'un été basque caniculaire.

Le roman se passe à San Sebastian et dans un village perdu au milieu de vignobles. Les événements ont lieu au présent et quinze ans auparavant. Les trois personnages prennent tour à tour la parole pour nous conter cette histoire, chacun à sa façon.

Raul Urbieta est, par excellence, le fils de famille de la ville, de San Sebastian. Il est bien conscient du milieu aisé dont il est issu. Il en use et en abuse. Cette vie trop facile lui joue des tours, parce que, surtout, il manque d'envie et que tout lui semble dû. Il s'endette jusqu'au cou et cherche par tous les moyens à obtenir de l'aide pécuniaire de sa mère et se met en quête d'une faille dans sa vie à elle pour l'y obliger.

Fermin Lizarazu est le fils d'une famille de la campagne, où l'on cultive le vin - le titre original du livre est Vino. Ses parents aimeraient qu'il fasse des études de médecine, mais très tôt il se met à parler la langue propre du vin, qui lui permettra plus tard de s'épanouir. Il a acquis une grande connaissance en la matière, par l'observation minutieuse, et amoureuse, sur le terrain, puis en faisant des études d'oenologie à Bordeaux.

Isabel Astiazaran est la mère de Raul. Au contraire de son fils c'est une personne déterminée, en quête de profondeur. Certes elle a hérité d'une véritable fortune, mais cela ne lui a pas tourné la tête. Elle a cinquante-cinq ans aujourd'hui et son mari, toujours amoureux d'elle, vit loin, à Atlanta, où il a créé une entreprise, et ne vient la voir qu'une fois par an, pour son anniversaire. Et c'est très bien comme ça.

Seize ans auparavant Raul Urbieta père a eu la riche idée de vouloir passer des vacances différentes dans le village de Fermin. Deux étés de suite Fermin est chargé par ses parents de tenir compagnie à Raul. Les deux garçons ne s'entendent guère et échangent des propos peu amènes, Raul jouissant du pouvoir qu'il exerce sur Fermin. Chaque après-midi Raul doit travailler pour rattraper des matières, son père est absent, sa mère se prélasse au soleil sur la terrasse, Fermin attend.

En pénétrant par effraction dans l'appartement que possède sa mère à Saint Jean-de-Luz au 22 de la rue Gambetta, face à l'église, Raul découvre des dessins de Fermin, reliés pieusement par sa mère, où Fermin parle avec ravissement du dernier jour du deuxième été. Raul croit détenir là la faille pour faire chanter sa mère. Mais il se trompe sur ce qui s'est passé ce dernier jour, il ne sait rien et ne saura jamais rien.

Furieux de ne pas parvenir à ses fins, Raul, prenant un malin plaisir à la douleur d'autrui, laisse libre cours à son instinct destructeur. L'effet produit n'est pas celui qu'il escomptait. Il provoque seulement la montée du souvenir chez Fermin de son initiation par Isabel et d'un souvenir particulier chez cette dernière qu'elle ne révélera qu'au seul Fermin, souvenirs qu'ils ne sont pas sûrs, ni l'un, ni l'autre, de vouloir archiver dans leur mémoire:

"La mémoire appartient au temps, pense Isabel, et vieillit en conséquence. Elle perd en acuité, estompe les faits, les altère, les change de place. Alors que le souvenir, au contraire, fait très attention. Le souvenir appartient à la vie, et tant que tu n'es pas morte, il persiste, intact. Eveillé, en alerte." 

Luisa Etxenike est à l'aise dans la peau de ses trois personnages. Elle sait les faire parler tour à tour de ce qui les préoccupe, de ce qui les tourmente, de ce qui est enfoui au fond d'eux-mêmes. Ce sont bien des êtres de chair, passionnés, qui peuvent souffrir mais aussi trouver leur plaisir. Ils forment un ménage à trois inédit, dont l'un s'exclut de lui-même en suscitant la rage des deux autres. Une fois le livre refermé, ils vivent encore.  

Francis Richard

Le ravissement de l'été, Luisa Etxenike, 192 pages, Robert Laffont ici  


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