Première hier soir de la Donna del lago de Rossini au Theater an der Wien qui présente en coproduction la mise en scène que Christof Loy a montée au Grand Théâtre de Genève en 2010. Les décors et les costumes ont été conçus à Genève.
Le livret de la Donna del lago n'est sans doute pas des mieux composés qui soient et c'est une gageure de mettre cet opéra en scène. Sans doute en relève-t-on le défi parce que la musique en est si belle et comporte des morceaux de bravoure pour les belcantistes.
Christof Loy a opté pour l'unité de lieu. Mais ce lieu n'est pas le lieu attendu. Alors qu'on imagine une forêt, un val boisé, un lac dans les Highlands écossais, on se retrouve dans une salle des fêtes des plus banales, une de ces salles rectangulaires multifonctionnelles avec une scène de théâtre et des chaises empilées dans un coin, comme les écoles, les paroisses, les communes et les villes se devaient d'en avoir une au 20ème siècle. L'option du théâtre dans le théâtre est connue. Les changements de décor auront lieu non plus sur la scène de l'opéra, mais sur la scène de la salle des fêtes. Ainsi y verra-t-on une forêt, le refuge de Douglas, un orchestre, une salle du palais royal. En soi ce n'est pas mal vu, mais le problème est qu'en refusant la solution traditionnelle de la forêt, Christof Loy altère profondément, -d'aucuns diront supprime-, la référence au romantisme à la Walter Scott pour centrer l'action sur le personnage d'Elena, ballottée entre quatre hommes: son père et ses trois amoureux. L'Elena de Christof Loy oscille comme une poupée entre l'amour filial pour son père, son amour adolescent pour Malcolm, son devoir d'union avec Rodrigo, et son inclination profonde pour Giacomo. La forêt profonde est devenue un simple élément du décor dans le décor. Outre les quelques panneaux coulissants représentant des frondaisons sur la scène, un projecteur de diapositives projettera sur un écran portable la photo d'une forêt, puis d'un lac.
Christof Loy retravaille également les conflits intérieurs d'Elena, jusqu'à les escamoter. Sa trouvaille la plus étonnante est de faire de Malcolm la soeur jumelle d'Elena: même cheveux roux, mêmes vêtements, manteau et bonnet ou robe de mariée, mêmes attitudes. Le rôle de Malcolm étant écrit pour une voix de femme, on assiste ainsi à un double travestissement. La lecture provocante de Christof Loy transforme l'amour adolescent des deux jeunes gens en un amour gemellaire avec une composante narcissique intense. Mais à la fois, cette option disqualifie la possibilité attendue qu' Elena puisse vraiment aimer Malcolm. Si tant est qu'on ne peut aimer que dans l'altérité... Quant au public, face à de tels changements, il lui faut la connaissance préalable de l'argument de l'action pour s'y retrouver, mais c'est souvent le cas à l'opéra. Le rôle de Rodrigo est confié à un routier chevronné et accompli. Elena ne semble pouvoir tomber amoureuse d'un homme qui pourrait avoir l'âge de son père, et la seule option qui lui reste est celle de succomber aux charmes du jeune premier qui incarne Uberto/Giacomo. Et en définitive, le seul véritable conflit qui reste est celui qui oppose les raisons du devoir filial aux raisons du coeur. Loy fait d'Elena une poupée tiraillée, naïve et béate, sans beaucoup de jugeotte, tout au plus gentiment ridicule.
A Vienne comme à Genève, le public a réagi très diversement aux choix scéniques de Christof Loy, et le metteur en scène a été autant chahuté qu'ovationné. Il faut cependant lui rendre justice: quelles que soient les réactions épidermiques des spectateurs, sa mise en scène est lisible et cohérente. Si elle prend le parti pour d'aucuns iconoclaste de se refuser au romantisme, elle conduit à une lecture ironique et amusée, voire comique, des amours humaines. Faut-il pour autant en faire une querelle des classiques et de modernes? Sans doute le livret ne mérite-t-il pas qu'on fasse tout un fromage de son détournement, et la lecture de Loy ouvre des possibilités d'interprétation belcantiste inattendues, notamment dans le grand air final d'Elena, qui frise par moments le burlesque.
La Suédoise Malena Ernman donne une intéressante composition du rôle d'Elena, surtout par son jeu d'actrice en parfaite intelligence avec les visées de la mise en scène. La chanteuse a plus d'un tour dans son sac (elle a fait le détour par l'Eurovision de la chanson 2009 où elle représentait la Suède) et séduit tant par la légèreté de son phrasé que par ses jeux de vocalises où elle pratique des changements abrupts d'octave avec un sens inné du comique vocal. Avec une très amusante interprétation du Fra il padre e fra l'amante final, où elle se livre à un feu d'artifices de comique vocal, avec un clin d'oeil à Olympia, la poupée désarticulée des Contes d'Hoffmann. Son Elena est drôle et bien interprétée, mais le talent musical de Malena Ernman n'est hélas pas à l'aune de son jeu théâtral. L'Uberto/Giacomo de Luciano Botelho est princier, à défaut d'être royal: une voix légère, suave avec des douceurs et quelques fulgurances, un joli timbre qui laisse entrevoir un avenir radieux au jeune premier brésilien, même s'il n'a pas encore l'étendue vocale et la puissance qui lui permettrait de s'imposer face aux rodomontades exigées par le metteur en scène du ténor concurrent. C'est Gregory Kunde qui incarne Rodrigo, dans cet opéra qu'il maîtrise bien et dont il connaît toutes les parties puisqu'il incarna lui aussi autrefois son royal rival. Le problème est que Kunde lâche toute la vapeur et que sa puissance vocale règne sans partage sur la scène. Face à ce déséquilibre, on aurait pu lui demander de se modérer, mais sans doute la mise en scène exigeait-elle l'emphase caricaturale, et c'est davantage un stentor qu'un ténor qui donne la réplique à Giacomo. Le déséquilibre vocal est patent et en proportion inverse du contenu de l'action. Le Malcolm de l'Arménienne Varduhi Abrahamyan a emporté l'adhésion du public, avec un timbre riche, de très beaux graves, une amplitude vocale appelée à grandir encore, et qui séduit d'emblée. Maurizio Muraro donne quant à lui pas un Douglas passable, mais sans ampleur.
Leo Hussain dirige l'orchestre symphonique de l'ORF avec un entrain aussi attentif que passionné,
et les choeurs Arnold Schoenberg donnent la mesure de leurs talents malgré les jeux scéniques difficiles qui leur sont demandés. On aurait cependant apprécié goûter davantage à la virtuosité rossinienne.
Distribution
Elena Malena Ernman
Giacomo Luciano Botelho
Rodrigo di Dhu Gregory Kunde
Malcom Groeme Varduhi Abrahamyan
Douglas d’Angus Maurizio Muraro
Albina Bénédicte Tauran
Serano Erik Årman
Orchestre ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Choeurs Arnold Schoenberg
Représentations les 10, 12, 14, 17 et 19 août 2012
Tickets de 7 à 135 euros
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