Poésie du samedi,51 (nouvelle série)
En bon aficionado des JO, j’ai vibré aux épreuves de natation et partagé la joie des Camille Muffat en or, argent et bronze, Yannick Agnel lecteur de Nabokov , Florent Manaudou, inattendu colosse à tête de poupon dans les bras de sa sœur Laure , Mickael Phelps collectionneur de médailles aux bras gigantesques et bien d’autres traceurs sur sentiers humides. Et voilà que le hasard me fait émerger un excellent recueil intitulé Les nageurs, subtilement brassé par un nommé Charles Dantzig, dont le blaze désigne à l’allemande le port polonais de Gdansk. Cézigue serait sûrement médaille d’or si des épreuves de natation poétique existaient, faudrait songer à inventer la discipline…
Inspiré sans doute par son patronyme hanséatique, Charles Dantzig trace allègrement son sillon à la surface d’un Océan avec un grand O où l’on croise des surfeurs autant que des nageurs. La piscine, même olympique, serait trop étroit terrain de jeu à lui qui se veut porte-parole de l’océan... Ouvrant le livre – couverture bleue – comme on fendrait l’onde d’un crawl délicat, je suis tombé en premier sur ceci :
« (…)Bouchons nos oreilles hérissées de vagues
effaçons la rumeur des milles horreurs humaines
les sportifs me parcourent ô leurs puérils exploits
les femmes tissent au bord en psalmodiant Lucrèce
suave mari magno a-t-il bien son canot (…)
là-haut le surfeur me voit ouvrir
la bouche et du fond de mon palais
surgir la vague de la langue (…) »
Bonne trouvaille, comme un trésor qui fait résonner le grand Lucrèce ! Du coup, j’ai plongé céans dans ce Grand O liquide, principe et fin de tout… et j’en ai d’abord ramené une Cène revisitée mais où l’essentiel est sauf, à savoir que le personnage principal nage en chacun de nous … L’autre perle pourrait être une suite logique du repas, puisqu’il s’agit de la digestion d’un naufrage, où parmi les trésors au fond de l’eau, on trouve un Christ ostentatoire et un poisson dans l’orbite d’Apollon…
Cène du bord de mer
Un surfeur au corps sec pèle son buste
sa combinaison pend en pétales à ses hanches
et notant un nombre dans la paume de sa main
ce lis noir s’assied au bout de la table
où la robe pendant en cascade entre ses genoux donne à l’hôte
(c’est exprès) l’air d’un Jupiter plus jeune.
Douze alentours babillent en mangeant des gambas
Judas peux-tu me passer le vin rosé
et le surfeur étend le bras
dis Pierre c’est vrai que tu as pris un congre
et le soleil les douche à travers la charmille en roseau
Sunday in the Park with Georges ? J’ai préféré Avenue Q
quelles moeurs ! dit le serveur les yeux au ciel
qui rapporte à la cuisine les plats dévastés
un flyer scintillant étoile le comptoir
« DJ Jehovah Beach Party – Come in Red Speedo ! »
venez en maillot rouge
ainsi vénère-t-on le vrai dieu dit
Jésus Celui de la tendresse et du plaisir le dieu sans nom le
Nageur en maillot rouge
il nage en chacun de nous
Digestion d’un naufrage
Gros O qui mange tout
qui contient tout
je digère l’averse du naufrage des civilisations
un crucifix en couteau flanqué d’aigles crochus
horde plate anguleuse et méchante
garde le trésor de guerre et c’est guerre en effet
encensoirs-grenades, crosses pour battre, clefs car on ferme
et tout au fond droit comme un reproche
un Christ ostentatoire de sa douleur
attriste le sol où il s’est installé
dans une anfractuosité claire dort le trésor
grec, raison de la clarté ;
étuis d’émail bleus piqués d’yeux en rubis
qu’envient les poissons
colliers d’or plat d’où gouttent des larmes d’or
sœurs de mes bulles
diadème où pend un soleil charmant
suppléant la lumière interdite ici
un poisson de nacre observe un Apollon déhanché
le voici (coup de nageoire) de l’autre côté :
la moitié du visage est arrachée
« on n’arrive pas à défigurer le beau »,
dit le poisson fonçant dans l’orbite
Charles Dantzig (né à Tarbes le 7 octobre 1961), Les Nageurs, Grasset 2010. Poète, essayiste, romancier, éditeur, Charles Dantzig est notamment l’auteur d’un Dictionnaire égoïste de la littérature française et d’une Encyclopédie capricieuse du tout et du rien.