Revue de livre par Louise V Labrecque
D’abord, on se demande pourquoi un titre
pareil. Puis, nous traversons le préambule pour découvrir les intentions de
l’auteur, Carl Bergeron. Soudain, s’impose comme une envie d’en savoir
davantage, de dévorer ce livre ou mieux, d’écrire, exactement de la même
manière que l’on constate l’urgente nécessité, tous les printemps, de préparer
le terreau afin que plantes, fleurs et fruits puissent planter ses racines. En
fait, cela va encore plus loin que la parole ou l’écriture. Plus loin que la
sensibilité. Nous parlons ici de cynisme, comme analyse symbolique et
philosophique des films de Denis Arcand. En tant que rapport au monde
également, dans un regard en surplomb -comme celui d’Arcand-, scrutant l’horizon
au tant de l’intime que du collectif, notamment en ce qui a trait à la
situation québécoise actuelle.
Le
cynisme d’Arcand, paraît-il, ne date pas d’hier. Le saviez-vous ?
En
effet, Denys Arcand possède une œuvre magistrale, allant des films de fiction
« On est au coton » (1971) jusqu’à « L’âge des ténèbres »
(2007), sans oublier son œuvre documentaire, forte et critique. Le cinéaste, en effet, est profondément ancré
dans la réalité; même lorsqu’il aborde la fiction, il est parfaitement en phase
avec les aléas sociaux et culturels du Québec d’hier et d’aujourd’hui. Cela en
fait un artiste profondément bouleversant. Justement, ce livre de Carl Bergeron
« Un cynique chez les lyriques » est un cadre de réflexion essentiel
sur l’œuvre magnifique de Denys Arcand, en plus de mettre en lumière, comme peu
d’auteurs l’on fait, une véritable rencontre entre les deux hommes. Une
surprise de taille vous attend donc puisque la réunion entre ces deux esprits
n’épargne rien, dans la géographie humaine, culturelle et politique du Québec. C’est que le cynisme philosophique d’Arcand ne
date pas d’hier, en effet, et c’est bel et bien à un portrait sensible du
célèbre cinéaste que Carl Bergeron nous convie, avec ce brillant essai. Ainsi, tel
l’artiste créant une œuvre, Arcand affirme : « Le Québec est une
histoire impossible » ; en lisant ces mots, on ne se sent pas très à
l’aise. C’est que l’œuvre de l’artiste,
Arcand à l’occurrence, tranche nettement avec celle des autres, de par la somme
des regards graves qu’elle suscite, ainsi que par la réflexion des personnages,
lesquels ne sont pas tous également intéressants, même parmi ceux que Denys
Arcand semble privilégier. Justement,
comment faire une œuvre, notamment de fiction, au Québec, si on est, comme
Arcand, profondément lié à son pays d’origine, amoureux de sa culture
historique, et dans sa complexité schizophrène (oui, mais non) même? C’est que le Québec profond, c’était
hier : on revient de loin, assurément, et de cette vision du monde, Arcand
l’embrasse ardemment, marqué par le
poids des rapports de forces, de son œuvre, et de l’Histoire. En effet, la plupart des Québécois ont parmi
leurs ancêtres, un fermier ou un coureur des bois, de qui ils ont hérités le
respect et l’amour de la nature. Des
souvenirs pas toujours très glorieux…Dans les faits : la condition humaine
et québécoise dans ce qu’elle porte de plus difficile, de plus désenchantée, et
parfois de plus tragique, mise en lumière, notamment dans l’œuvre documentaire
de Denys Arcand , mais également dans « Gina », une femme déclassée, laquelle voile également
une grande espérance, tel un secret bien gardé : le mariage ! Or, à la
sortie du film, en 1975, Arcand revisite lucidement la blessure, persiste, et
signe : « le mariage est le tombeau de la classe ouvrière ».
Savoir
choisir ses batailles
Ainsi, Denys Arcand possède une poétique
originale : c’est un inclassable ! Il n’est pas nécessaire, en effet, de
chercher vitam aeternam une raison à son anti-lyrisme notoire, ni de cette
tendance naturelle à se méfier de toutes entreprises et tentations
passionnelles, « que cela soit dans le registre de l’amour ou de la
détestation »: nous avons affaire à un être de raison, lequel pose
« son regard de plomb » sur l’environnement, lequel façonne tous les
êtres. Dans son film « Jésus de
Montréal (1989)», nous avons là, peut-être, son sujet le plus personnel,
le plus intime, le plus sincère. Ainsi,
un artiste ne peut évoluer seul; alors que fondamentalement, il appelle cette
solitude de tous ses vœux. Dans les faits, il a besoin des autres, il a besoin
de la société. Son désenchantement viendrait-il de là ? Savoir, par avance, que
nous serons incompris, voire blâmés, avant ou après avoir été loués, pour
paraphraser la célèbre citation ? C’est qu’il faut éviter les impasses. Les
écrivains, les poètes, les artistes, ne font pas du porte- à -porte; ils sont
intimidés ou silencieux, et rarement l’œuvre coïncide avec les définitions
qu’on en donne de l’extérieur. Il y a un hiatus quelque part, que l’artiste
doit prendre sur lui, afin de conserver sa liberté de créateur. La fiction,
c’est la place qu’occupe un film, ou un livre, dans cette machine; exactement
comme on dirait systématiquement de ce moi comme cinéaste, ou mieux du rôle que
l’œuvre a joué dans la vie d’une autre personne. Les artistes sont enfermés dans une sorte de
cercle vicieux : produire une œuvre implique que tu fasses partie de ce
monde-là. C’est cette présence qui devient gênante; il y a une différence entre
aimer aller vers les autres, et d’obliger le corpus artistique à intégrer
l’œuvre. Par contre, avec une ouverture directe sur le public, il arrive qu’un
artiste puisse se porter tout seul. Cela est impossible en littérature,
toutefois dans d’autres disciplines, il arrive que ce soit possible; sinon, ce
sont les œuvres qui vous portent, jusqu’à dénaturer l’image et l’œuvre,
laquelle s’abandonne trop souvent, hélas, à sa myopie et son goût du pouvoir.
Ainsi, après cette réflexion, située au cœur
de l’œuvre, par nostalgie peut-être, nous devons plonger en somme dans un
climat plus infernal que bucolique, lequel parfois est franchement
fantastique, en dépit de la misère, de l’injustice, et du mépris, triples
facettes d’une même face. Or, tout le pessimisme d’Arcand vient de là, lequel
puise sa source à la fois dans une lucidité têtue, un réalisme machiavélien, et
un cynisme inattaquable. Ce tableau est
criant tant qu’à l’avenir du Québec, notamment culturellement et politiquement,
à plus long terme : comment fera t’il pour se définir, se redéfinir, se
réinventer ? Le spectacle de cette misère est en effet palpable chez Arcand. Simplement exister, en tant que nation, que
pays, est difficile à supporter à certains moments; dans le contexte de l’œuvre
de Denys Arcand, le propos n’est pas neuf, certes, mais il acquiert une
éloquence incontestable. Tellement que nous en somme, nous-mêmes, étonnés. Bref, allez lire ce livre en courant : « Un
cynique chez les lyriques », de Carl Bergeron, publié aux Éditions Boréal.
Vous m’en donnerez des nouvelles !
Bergeron, Carl, Un cynique chez les lyriques,
Édition Boréal, Montréal, 2012.