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Umar TIMOL : "L'homme qui voulait rire" (suite).

Par Ananda

 

7.

Je dois procéder maintenant à une analyse de mon rire. Je veux bien essayer de décortiquer ses mécanismes. Je m’intéresse surtout à l’aspect physiologique. Je ne sais pas tout à fait ce que ‘physiologique’ veut dire mais il m’arrive d’être pédant.

Ce n’est pas un crime. Du moins pas encore.

Avant d’aller plus loin, un rapide constat. Je suis arrivé à la conclusion qu’au sein de ma famille il y a plusieurs types de rire. Il y a le rire gras, celui de l’oncle Rico, qui a le pouvoir de faire trembler les vitres et les vases mais qu’il réserve à des occasions exceptionnelles, quand, par exemple, grand-mère, dans un grand élan de gâtisme, se met à radoter ses vieilles histoires. Il y a le rire fluet et mignon, celui de ma nièce, Amira, un rire si subtil qu’on l’entend à peine, il ressemble au gazouillement d’un petit oiseau. Il y a le ricanement de la terreur, celui de ma tante Anouckha, une enseignante à la retraite, qui évoque un film de science-fiction, où un bulldozer, doté d’un cerveau, sème la terreur en émettant des bruits étranges. Ce ricanement ressemble aussi au cri hystérique de la victime dans Scream quand le psychopathe lui tombe dessus. Je vous laisse choisir. Nous sommes après tout en démocratie. Il y a aussi le rire mesquin, celui de ma cousine Neha, qui me fait penser aux glapissements de chacals dans un dessin animé.

Le mien, avant que je ne succombe à cette maladie, était tout à fait normal. Il n’était ni gras, ni fluet, encore moins mesquin. C’était un rire comme les autres. Depuis il s’est métamorphosé. Il ressemble beaucoup à celui de l’oncle Rico mais plusieurs tons au-dessus. On dira que c’est un rire gargantuesque. Ce n’est pas un hihihihi ou un hahahaha ou encore un hohohoho c’est un HOUHAHOUHAHOUHAHOUHA suivi d’une HOHOHOUHOHOHOU. Je n’arrive malheureusement pas à retranscrire son intensité.

On peut le trouver effrayant et je pense que c’est un sentiment légitime.

Mon nouveau rire émerge littéralement de mes tripes, on pourrait le comparer à un tsunami, une fois le mécanisme enclenché, rien ne peut l’arrêter, c’est une incroyable déferlante, il traverse mon corps à très grande vitesse pour enfin jaillir dans ma bouche. Rien ne peut le contenir. J’ai parfois l’impression d’être en transe, d’être dans un au-delà, d’être littéralement possédé. Mon cerveau est, par ailleurs, pratiquement paralysé. Pendant que dure la crise, je n’arrive plus a réfléchir.

Et détonne alors un HOUHAHOUHAHOUHAHOUHA.

Et résonne alors un HOHOHOUHOHOHOU.

Un mot, en l’occurrence ‘la police’, je précise ‘la police et non ‘police’, parvient bizarrement à interrompre la crise.

Pourquoi est-ce qu’il en est ainsi ? Le mystère demeure.

Voilà pour ce qui de l’analyse des symptômes cliniques. Je dois reconnaître, en toute modestie, que c’est une analyse percutante. Cela ne permettra certes pas d’en venir à bout mais il était important d’en parler.

8.

Je me suis fixé un objectif, qui est le suivant, guérir dans moins d’une semaine. Je crois que c’est un objectif assez réaliste. Je vais prendre le problème à bras le corps. Il faut combattre le mal avec le mal. Et voila que je me mets à parler comme un personnage de Star Wars. Morale de l’histoire, on a raison d’interdire aux jeunes enfants de regarder la télé.

Que la force soit donc avec moi.

Je me propose de procéder de la façon suivante. D’abord couper tout contact avec le genre humain. Etant donné qu’un Mauricien sur trois ( estimation conservatrice ) est ridicule et qu’un mauricien sur 6 est a peu près fou ( estimation généreuse ) et qu’un mauricien sur 8 ( estimation utopique ) est parano-mégalo ( un terme de mon invention ) il me faut à tout prix les éviter. Mais comme ils sont évidemment partout je dois donc m’isoler. Il est impératif d’extraire la racine du problème, en d’autres mots, me défaire des objets de mon fou rire. Ensuite je vais me concentrer très fort et je vais penser à des choses très sérieuses.

J’ai déjà établi une liste.

(1) La guerre dans le monde

(2) La raison d’être des embouteillages à Maurice.

(3) Suis-je effectivement un chou ?

C’est une liste provisoire qu’il faudra, petit à petit, étoffer. Je me propose donc de consacrer de longues heures à méditer la question du mal, une méthode qui devrait normalement refouler très loin toute envie de rire. Et ce n’est pas tout. Je vais régulièrement chatouiller la plante de mes pieds afin de susciter le rire. Cette méthode somme toute révolutionnaire s’inspire d’une conviction, qu’on combat, comme je l’ai expliqué plus haut, le mal par le mal. Ainsi je suis convaincu que ce procédé d’auto-chatouillement provoquera une irrésistible envie de rire que mon corps apprendra à vaincre.

Je précise que je n’ai pas encore identifié un objet pour chatouiller la plante de mes pieds.

Voilà donc les trois volets de ma stratégie. Je dois réussir. Aide-moi Obi-Wan Kenobi tu es mon seul espoir ( désolé pour ce réflexe mais je suis un fan invertébré - et non invétéré - de Star Wars ).

C’est une question, après tout, de vie et de mort.

Umar Timol.


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