par Philippe Hélias
Philippe Hélias est médecin hospitalier spécialisé en Hématologie. Il est passionné par la mer, le monde sous-marin et la plongée subaquatique. Il est moniteur de plongée 2ème degré et médecin pour la FFESSM (Fédération Française d'Etudes et de Sports Sous-Marins).
Les requins sont-ils aussi victime d'une "biodiversité à visage humain" ?
L'île de La Réunion (Océan Indien) est actuellement marquée par une succession d'accidents liés à des requins sur certains usagers de la mer. 3ème accident en 2012 ce 5 août dernier, six sur l'année 2011... (résumé des évènements récents). Les victimes sont presque toujours des surfeurs, plus rarement des pêcheurs sous-marins. Les baigneurs et les plongeurs ne sont pas attaqués.
Comme ailleurs dans le monde (Australie, Afrique du Sud pour les zones les plus connues), le surf est identifié de longue date comme une activité à risque sur le plan des attaques de requins. La silhouette de la planche, vue du dessous, avec le surfeur allongé dessus, les pieds qui trempent et les mains qui palment, évoquerait celle d'une proie potentielle, comme un phoque, une otarie ou une tortue. Les grands requins (grand requin blanc, requin tigre ou requin bouledogue) seraient trompés par cette figure familière.
Depuis le mois de juillet, suite au 2ème accident de l'année sur l'île, la polémique enfle à propos d'une pêche aux requins. Notamment depuis que Monsieur Thierry Robert, député-maire de Saint-Leu a prit un arrêté municipal rémunérant la pêche aux squales sur sa commune (2€/kg pour toute prise de plus de 1,5 m), en dépit du caractère menacé des espèces visées.
Cet arrêté n'aura vécu que quelques jours. Entaché d'irrégularités, il fût retiré, sitôt obtenu du Ministre de l'Outre-Mer (Victorin Lurel) l'assurance que l'Etat prendrait un Arrêté préfectoral similaire. C'est ainsi que ce 6 août 2012, le secrétaire général de la préfecture de La réunion, Xavier Brunetière, a annoncé : "Dès cette semaine, une vingtaine de requins bouledogues et tigres seront capturés par un pêcheur professionnel".
Cette décision intervient dans un contexte mondial de menaces graves pesant sur les populations de squales. De nombreuses espèces de requins sont à l'heure actuelle menacées d'extinction par le fait de la surpêche. Le commerce florissant des ailerons à destination du marché asiatique est évidemment le promoteur principal de cette hécatombe. L'augmentation de la consommation de chair de requin sur le marché occidental n'améliore pas la situation. Et la reproduction complexe est limitée (fécondation interne, nombre de descendants réduit, maturité sexuelle tardive, …) de ces prédateurs sophistiqués, font des requins des espèces particulièrement vulnérables.
Alors certes, les « prélèvements » envisagés par les autorités à La Réunion sont quantités négligeables au regard des pêches industrielles de part le monde. Néanmoins, ils sont regrettables dans les sens où, peu ciblés, ils participeront peu ou prou à la perte d’une richesse locale et à entretenir la psychose. D’autant plus regrettables que tous les experts sont d'accord pour dire qu'une pêche aux requins ne réglera pas le problème à long terme.
La réserve naturelle marine de la cote ouest de La Réunion se trouve également incriminée. La réserve est accusée par certains, notamment des surfeurs, des pêcheurs et des élus locaux, d’être à l’origine de la prolifération des requins près des côtes. Alors que l’impact de cette réserve est peu probable en la matière. Le conseil scientifique de la réserve rappelle d'ailleurs que la pêche est autorisée sur presque toute la surface de la réserve, 5% seulement étant en réserve intégrale, la densité de poisson y étant encore trois fois inférieure à ce que l’on observe habituellement sur les autres récifs indo-pacifiques. Une restriction des surfaces protégées est pourtant une piste envisagée par certains élus, en dépit des premiers résultats d'une étude de marquage des grands squales, qui montre qu'ils ne se sont pas sédentarisés près des côtes. (Le Figaro)
Le problème de la fréquence des attaques de requins à La Réunion n'est d'ailleurs pas nouveau, et se posait déjà bien avant la création de cette réserve (en 2007). Un article de médecine publié en 2000 relatait déjà leur fréquence élevée sur le littoral réunionnais et considérait cette fréquence comme l'une des plus élevée au monde, en tenant compte de la longueur du littoral concerné et de la densité de population humaine qui y vit (Le Concours Médical, 2000, p2961-68).
Celà traduit parfaitement ce que peuvent être les priorités dans l'esprit de beaucoup : d'abord les activités nautiques et touristiques, secondairement la préservation du milieu naturel. La nature sauvage trouve difficilement son droit de citer devant le tourisme balnéaire.
Pourtant, d’autres responsabilités ne doivent pas être négligées dans la genèse des accident.
Responsabilités des sportifs
- Ils peuvent être très bons surfeurs, très expérimentés, comme cela est régulièrement loué par les médias à la suite des accidents, et faire des erreurs d’appréciation quand même. L’analyse des circonstances de survenue des accidents fait apparaître des facteurs de risque, antérieurement identifiés, dans la quasi-totalité des cas,
- eaux troublées suite à de grosses pluies ou par une forte houle,
- heure tardive et soleil bas (début de la chasse pour les prédateurs, d’autant plus que dans l'eau, il fait plus sombre qu'en surface),
- présence d’effluents ou de nourriture dans l’eau (rejets ou embouchure d’un cours d’eau).
Les derniers accidents sont éloquents en la matière. Survenu à 17h30, une demi-heure à peine avant le coucher du soleil, pour le dernier en date, alors qu’un accident mortel était intervenu 2 semaines auparavant, à une dizaine de kilomètres de là seulement, dans une eau sale et qui "sentait la m...", au dire de surfeurs eux même, pour celui du 23 juillet.
C'était quelques jours après un rejet de matières fécales par une station d'épuration. Comment ne pas incriminer aussi le comportement du sportif ? (quelques précisions sur le sujet).
Responsabilité des élus locaux
- Elus qui n'ont répondus aux demandes d'études scientifiques des requins côtiers que dans l'urgence, fin 2011, au terme d'une année noire.
- Elus responsables d'un bétonnage anarchique du littoral (suivi d'une érosion et de rejets organiques en mer augmentés).
- Elus responsables d'une insuffisance chronique dans les capacités d'épuration des eaux usées (suffisante pour 350.000 hab en 2011, l'île en comptant plus de 800.000), contraignant les stations à relâcher en mer des eaux surchargées en matières organiques, susceptibles d'attirer les grands prédateurs.
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Elus qui ont autorisé l’implantation d’une ferme aquacole en baie de St Paul, en 2007 également, sur cette même cote ouest où les problèmes semblent se concentrer. La question se pose d'une relation entre la multiplication des accidents et cette ferme qui pourrait attirer les prédateurs. Des élus curieusement bien silencieux au sujet de cette ferme…
Alternatives au massacre organisé des squales
Il existe des solutions simples pour limiter les risques :
- Poursuivre les études et le suivi des requins côtiers pour mieux préciser les zones ou les facteurs de risque. Un point qui risque justement d'être compromis par une campagne de pêche (si les requins balisés sont prélevés) !
- Envisager la fermeture des plages en fin d'après-midi, en particulier si l'eau est trouble ou si une attaque a eu lieu récemment.
- Restreindre ou réglementer des zones de surf si elles s'avères particulièrement à risque (comme des embouchures).
- Assurer et développer une surveillance spécifique des zones d'activités balnéaires, au besoin par des patrouilles en jet qui dissuade potentiellement les requins de croiser dans ces eaux.
- Développer l'éducation des surfeurs (points d'information, panneaux, brochures, patrouilles sur les plages) et de la population, notamment dans les écoles (biodiversité, richesses locales, connaissances des milieux).
Trop simple peut être ?
Probablement. D'autant que le problème de "cohabitation" avec les requins n'est pas sans rappeler celui des grands prédateurs terrestres sous nos contrées. La réthorique utilisée par le député-maire Robert, à l'origine de cet arrêté municipal controversé, rappelle étonnamment le discours agro-pastoral anti-nature que nous connaissons bien. J'en veux pour preuve cette vidéo où la pêche au requin est justifiée par les mêmes arguments que pour la "régulation" de l'ours ou du loup. Ou encore cette page web du député Thierry Robert où l'on trouve le propos récupérateur suivant : "Je suis très satisfait car le ministre va totalement dans mon sens. Il m’a dit qu’il voulait privilégier l’humain." Phrase qui rappelle étrangement le concept fumeux de "biodiversité à visage humain" cher à nos ultra-pastoraux de métropole.
L'affaire devient franchement croustillante quand on découvre que le député-maire en question est labellisé Modem. Si l'on connaît d'abord la dimension de ce groupe à l'Assemblée Nationale (2 députés), et ensuite le Nom du seul autre député Modem, Jean Lassalle, on ne peut que s'amuser de la comparaison de la sémantique anti-environnementale des personnages.
Et cette pensée archaïque d'essaimer, quand on lit cet extrait des délibérations du conseil municipal de la commune de L'étang salé (La Réunion), que je vous laisse savourer :
MOTION AVIS DU CONSEIL MUNICIPAL DE L’ETANG-SALE SUR LA CRISE REQUINS
"Depuis ces deux dernières années, les attaques de requins se sont multipliées sur le littoral Réunionnais avec des conséquences souvent tragiques. Parmi les activités nautiques les plus exposées à ce risque, les surfeurs ont payé un lourd tribut depuis 2011 avec pas moins de 7 attaques dont 3 mortelles.
D’autres usagers de la mer (Kayakistes, plongeurs…) ont par ailleurs fait l’objet d’attaques aux conséquences moins graves mais aux causes toujours préoccupantes. Nonobstant les dispositions prises depuis lors : fermetures des plages de Boucan Canot et des Roches Noires durant de longs mois, pose de filets anti-requins, lancement d’une étude comportementale, encadrement des activités par la mise en place de vigies, signalétique appropriée…,les différentes activités nautiques demeurent très exposées au risque.
Ainsi, et outre les drames humains qu’engendrent cette situation, l’économie de notre île, et particulièrement son image touristique, est, après la crise du chikungunya, une fois de plus mise à mal.
Avec la fermeture successive des spots de Boucan Canot, des Roches Noires et celui des Trois Bassins, de plus en plus d’usagers se replient sur notre commune pour pratiquer leurs activités nautiques favorites.
Jusqu’ici relativement épargnée, la plage de l’Etang-Salé n’en est pas moins exposée, comme les autres, au risque requin nonobstant les mesures particulières qui y ont été prises tant par la Commune que par la CIVIS ou la ligue de surf.
Cette situation préoccupante nous amène à nous positionner sur le risque requin et sur les dispositions à prendre pour le rendre sinon nul, mais du moins acceptable.
La multiplication de ces attaques consécutives à la mise en place de la Réserve Marine nourrit depuis plusieurs mois déjà, une vive polémique sur le lien de causalité entre ces deux faits et donc, sur la pertinence de ladite réserve ; ainsi que sur la nécessité ou non d’autoriser la pêche aux requins dans le périmètre de la réserve.
1/ Sur la pertinence de la Réserve marine :
L’instauration en février 2007 de la Réserve Marine a été bénéfique à double titre :
- Au niveau environnemental, l’effet de la réserve sur la préservation des colonies de coraux et sur la biodiversité marine est admise de tous et doit être encouragée.
- Au niveau économique, outre la valorisation touristique de notre patrimoine maritime, les pêcheurs sont les premiers à constater les effets positifs de la réserve marine sur la reconstitution des ressources au bénéfice de la profession bien sur, mais au bénéfice des générations futures surtout.
Cependant, si chacun admet l’effet positif de la réserve sur la reconstitution de la faune marine, certains réfutent l’augmentation corrélative de l’augmentation du nombre de requins auprès de nos côtes au mépris des observations qui sont faites par les professionnels de la mer et surtout au mépris des faits dramatiques de multiplication des attaques qui y sont constatées.
Avons-nous encore besoin de longues années d’études pour comprendre que l’interdiction de pêche dans une zone déterminée entraîne mécaniquement une augmentation de la faune préservée de tout prédateur sur ladite zone ?
De combien de victimes supplémentaires avons-nous besoin avant de se décider à prendre les mesures qui s’imposent ?
Avons-nous les moyens à la Réunion de nous priver de notre déjà maigre façade maritime et de l’activité touristique qui va avec ?
Devons nous pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et remettre en cause le principe même de la réserve marine ?
Ce débat de société doit à notre sens ne souffrir d’aucune tentative de récupération politique, mais également d’aucune intolérance partisane.
Ce n’est pas servir la cause écologiste que de refuser l’évidence : OUI la réserve marine est une bonne chose, OUI elle a permis de reconstituer la faune marine, OUI il y a plus de requins prés de nos côtes aujourd’hui qu’hier.
La nature repose sur un savant équilibre. La réserve marine en instituant des zones sanctuaires, en réglementant les aires et les périodes de pêche a contribué à rétablir cet équilibre.
En protégeant les requins de tout prédateur, elle a aussi rompu ce bel équilibre.
2/ Sur la nécessité d’autoriser la pêche aux requins dans la réserve marine
Toutes les études du monde, bien que nécessaires ; tous les dispositifs technologiques, bien qu’utiles ; ne suffiront pas à rétablir une sécurité minimale sur nos côtes sans une pression sur la population de requins qui s’y est établie.
C’est pourquoi l’autorisation et l’organisation de prélèvements de squales dans la réserve marine paraissent indispensables à rétablir l’équilibre dans cette zone.
La protection de notre environnement n’exclut pas la régulation des espèces dangereuses dont la prolifération est accentuée par les mesures de protections.
A ceux qui ont fait de l’écologie une religion, il parait utile de rappeler que la définition même du développement durable implique la conciliation des impératifs environnementaux, sociologiques et économiques.
En conséquence, la Commune de l’Etang-Salé pourrait participer au dispositif de régulation d’espèces dangereuses par tous moyens décidés par les autorités gestionnaires et conditionne sa participation future aux instances de la réserve marine par une meilleure prise en compte, par cette dernière, aux côtés de la dimension environnementale, des considérations sociologiques et économiques.
Après en avoir délibéré et à l’unanimité des membres présents, le Conseil Municipal de la Commune de l’Etang-Salé :
- CONSIDERANT la multiplication d’attaques de requins aux abords de nos côtes,
- CONSIDERANT les impératifs de protection des activités humaines dans les zones vouées à ces activités,
- CONSIDERANT la nécessaire régulation des espèces dangereuses seule gage du retour à l’équilibre
- DEMANDE que soient organisées des opérations de prélèvement des espèces dangereuses,
- DECLARE être prêt à participer auxdites opérations de régulation dans le cadre fixé par les autorités compétentes."
Sans que soit défini ce qu'est le "bon équilibre", sans que soit évoqué aucune des autres causes potentielles que la réserve. Des élus partiaux ? partisans ? aveuglés ? aux ordres ? ou tout simplement simplets ?
La campagne de "régulation" qui s'ouvre, sous l'égide de l'Etat, serait-elle le premier aveu d'impuissance de la fraction écologiste représentée au gouvernement ? En sera-t-il de même pour l'Ours ? L'avenir nous le dira ...
Il n'est toutefois pas trop tard pour continuer à exercer une pression sur les élus et ministres, afin qu'ils perçoivent que toute la population n'a pas envie d'une extermination des requins.
Dans ce but, si vous voulez faire entendre une tonalité un peu différente à nos responsables, vous pouvez toujours envoyer un message (en restant poli et constructif) aux acteurs suivants :
- Député de la 4ème circonscription de la Réunion et Maire de St Leu : Thierry Robert
- Préfecture de l'île de la Réunion
- Ministère de l'écologie
- Ministère des Outre-Mer : pas de contact web possible sur les différents sites officiels. Par contre, Victorien Lurel, le ministre, possède une page facebook et un compte Twitter.
- Ministère de légalité des territoires et du Logement, sans rapport direct avec le sujet, mais dirigée par Cécile Duflot, pour réveiller la conscience verte de ce gouvernenent.
Pour que nos mers restent des espaces sauvages.
Philippe HELIAS
Sur le même sujet, mais dans un autre style, pour savoir quel est l'intrus dans cette histoire, le requin, ou le surfeur ? Z'avez dit bouledogue ?