La petite réflexion que je vous livre aujourd’hui tranche avec mes sujets de prédilection. Mais l’introspection, parfois, a du bon…
Par Frédéric Wauters, depuis Bruxelles, Belgique
Entendons-nous bien, si je parle d’introspection, ce n’est pas dans l’intention de vous livrer mes états d’âme. Ni de prendre parti dans ce nouveau “combat du bien contre le mal” qu’est la libération de Michèle Martin et sa claustration auto-imposée dans un couvent de Soeurs Clarisses. Quoique…Déjà, Malonne, pour celles et ceux qui ont la mémoire courte, et ils sont nombreux, c’est le village où Saint Mutien-Marie Wiaux — c’est comme ça qu’on l’appelle depuis sa canonisation par Jean-Paul II — passa le plus clair de sa vie de religieux. Je sais, ça n’a strictement rien à voir avec le sujet. En apparence, du moins. Car, pour commencer, Mutien-Marie a consacré sa vie à la prière et à la contemplation, deux activités que Michèle Martin déclare aujourd’hui vouloir embrasser. Et pour poursuivre, parler de Mutien-Marie, c’est une excellente occasion d’arrêter de contempler les choses par le petit bout de la lorgnette et de reprendre un peu de perspective. Et ça, ce n’est pas plus mal, d’autant que la région est fertile en symboles, dont certains sont sérieux et d’autres beaucoup moins. La preuve? Pas très loin de Malonne, on trouve également Floreffe et son célèbre boucher.
#lesgens
Mais de quoi diable ai-je l’intention de vous entretenir ? Du déchaînement des passions humaines, et tout particulièrement du pessimisme et de la misanthropie. De ces gens (hashtag #lesgens pour les plus twitteux d’entre vous) qui remplissent leur statut Facebook ou leurs conversations des derniers sujets auxquels les média les incitent à penser. Les média ou pire encore, d’ailleurs. Il y a aussi la race des obligeants “amis” qui remplissent leur mur de photos d’animaux maltraités, de petits enfants africains faméliques ou de gamines cancéreuses et incitent leur entourage à partager ces horreurs en insinuant sournoisement que celui qui ne partage pas n’a pas vraiment de coeur, de compassion ou que sais-je encore.
Avec, toujours, comme une lancinante rengaine, des phrases du genre “que ce monde est laid”, “que les gens sont méchants”, “comment peut-on vivre dans un monde pareil” et autres “mais mon dieu, dans quel monde grandiront nos enfants!”. Parfois, j’ai l’impression de revoir Salvatore, le bossu du Nom de la Rose, hurlant “Penitenziagite” dans une chapelle décorée de gargouilles grimaçantes.
“Non sono heretico. Ma, les hommes must do penitenzia!“
Voilà voilà. Repentons-nous, le monde est laid, et c’est la faute des hommes. La terre se réchauffe, la glace va fondre, les ours polaires vont mourir, les baleines aussi, Bashar Assad tue des petits enfants et le grand capital vous spolie… Oh, on se calme, merde!
La réalité n’existe pas
Il y a bien longtemps déjà, un illuminé, fils de prince qui plus est, décide de s’asseoir sous un arbre et de méditer jusqu’à l’Eveil (entre parenthèses, j’ai un jour atteint l’éveil en pleine méditation, mais c’est juste parce que je m’étais endormi. C’est vachement dur de méditer, mine de rien. Fin de la parenthèse) Mais qu’est-ce que l’Eveil, et pourquoi un “E” majuscule?
Pour les bouddhistes, atteindre l’Eveil, c’est, en gros, arriver à percevoir le monde tel qu’il est réellement, dans son entièreté, dépouillé des Voiles de l’Illusion. Mais encore?
Depuis l’Antiquité (si on reste en Europe) et bien avant encore (si on se tourne vers l’Inde), les hommes s’interrogent sur leur rapport à la réalité. Qu’est-ce que la réalité? L’homme peut-il la percevoir dans son entièreté? À cette dernière question, philosophes, psychologues et moines bouddhistes ont apporté une réponse convaincante: non. La “réalité”, en tant que telle, n’existe pas pour les humains. Nous nous construisons chacun notre propre représentation de la réalité. Notre confrontation avec le quotidien nous permet, si nous sommes suffisamment sains d’esprits, d’adapter cette représentation en fonction des nouvelles informations que nous glanons. Si nous ne sommes pas suffisamment ouverts à cette rétroaction constante, nous nous construisons une représentation de la réalité de plus en plus distante de la réalité elle-même. Entre le schizophrène en plein crise paranoïaque qui se croit victime d’un complot du gouvernement, le pauvre diable qui souffre de troubles obsessionnels compulsifs qui le poussent à retourner plus de vingt fois dans son appartement vérifier qu’il a bien fermé le robinet de la cuisine et l’amoureux qui perçoit l’attitude plus réservée de sa dulcinée comme de la froideur alors qu’elle a simplement passé une mauvaise journée, il n’y a finalement qu’une nuance: celle de la distorsion du rapport entre la réalité et la représentation mentale que nous en avons.
Et donc…
Si tu veux changer le monde…
“Si tu veux changer le monde, commence par toi-même”, aurait dit ce brave Gandhi, jamais avare de paroles sages mais un peu mystérieuses. Cette phrase, beaucoup la comprennent comme une incitation à s’intéresser d’abord à soi, à s’appliquer à devenir meilleur. Ce qui, par définition, changera le monde puisqu’il contiendra au moins un être changé. Mais est-ce vraiment ce que ce brave Mohandas a voulu exprimer? Pourtant, lui-même ne s’est pas tenu à cette maxime: obtenir l’indépendance de l’Inde, ça reste quand même un petit peu “changer le monde”, non? Enfin, il me semble. À mon sens, Gandhi parlait donc avant tout d’un autre changement. Celui de notre vision du monde. De notre représentation de la réalité. Un proverbe anglais l’exprime à merveille: “Beauty is in the eye of the beholder”. La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde. Je pense que c’est mon proverbe préféré, parce qu’il contient la clé de notre bonheur.
Nous décidons de ce que nous voyons. Ou plus exactement, nous choisissons ce que nous voulons voir. L’animal maltraité par des humains sans coeur, ou le petit geste de solidarité au coin de notre rue. La méchante Michèle Martin qui sort de prison ou une autre histoire.
Ce matin, je vous en propose une, tout gentille, toute mignonne, toute pleine d’espoir pour le futur de l’humanité. L’histoire de la petite fille qui ne pouvait pas utiliser ses bras, et à qui une nouvelle technologie inventée par les hommes permet de mener une vie presque normale. En la regardant, je suis sûr que vous serez aussi ému(e) que moi.
La prochaine fois que vous verrez le monde moche, hostile et sans signification, rappelez-vous qu’il ne tient qu’à vous de changer votre regard. Cela ne signifie pas qu’il faut nier la réalité ou renoncer à vous battre pour vos idéaux. Mais que votre bonheur ne dépend pas de l’issue de ces combats. Il dépend avant tout de vous et de ce que vous décidez de voir.