Rome, avec ou sans Woody

Par Placebo

Marco LODOLI, Îles, guide vagabond de Rome, traduit de l'Italien par Louise Boudonnat, La fosse aux ours, Lyon, 2009 (218 pages).

Avec la convalescence, revient le goût de sortir de chez soi et, à défaut de voyage, le cinéma constitue une occasion idéale de dépaysement : sortir de chez soi, et aussi sortir de soi : Malraux, c'est bien, mais l’introspection artistique, point n'en faut abuser, sauf à davantage inquiéter ceux de notre entourage prompts à s'émouvoir du moindre cumulus, surtout s'il est du genre congestus, dans notre ciel affectif.

L'annuel Woody Allen aura été la parfaite occasion de dépaysement, avec une intrique effervescente comme un bon proseco, et des vues, de carte-postale certes, mais sous une si belle lumière ambrée, qu'on s'y verrait aussitôt, si, évidemment, on n'avait à s'y rendre... Depuis un bon quart de siècle, on se répète, d'une année à l'autre, que ce n'est pas son meilleur, que depuis Manhattan et Purple Rose of Cairo, il ne fait que se répéter, on y va néanmoins, dût-on refuser d'admettre en public qu'on en a tiré un subreptice plaisir.
Et, de retour à la maison, la lecture de quelques uns des brefs chapitres du guide que nous a offert, il y a quelques années déja, Marco Lodoli, nous permet de prolonger, mais grâce aux mots, l'aventure de la plus belle manière qui soit. Un guide, que je n'ai jamais tout à fait rangé dans ma bibliothèques, où il voisinerait avec le Voyage d'Italie de Dominique Fernandez, ce beau dictionnaire amoureux, mais dépourvu du moindre plan ou carnet d'adresse, et sans les obligatoires !!! et autres *** des usuels du tourisme de masse. On le lit lentement, en y butinant, sans se presser. Peut-être voudra-t-on agrémenter la lecture d'une pérégrination par Internet, à la recherche d'une ou deux photos ou d'un repère géographique, mais ce n'est pas indispensable.
Connaissez-vous le quartier de via Prato Falcone  ? Suivons l'auteur :
« Il y a des îles qui se tiennent secrètes et silencieuses camouflées dans l'indifférence de la ville, recluses derrière une coquille qu'elles se gardent bien de rompre. Bien sûr, elles pourraient de temps à autre agiter une banderole pour se faire remarquer, ... publier un dépliant en couleurs qui vante leur charme, mais elles savent d'instinct que ça ne colle pas. Elles préfèrent continuer à faire semblant de rien et laisser courir le monde insouciant à côté d'elles. Pour ma part, j'ai souvent un peu honte de les pointer du doigt, j'ai l'impression de violer tant de réserve.
» Le petit quartier de via Prato Falcone pourrait en être l'exemple typique, un espace tout à fait hors du commun... Il se réduit à une poignées de maisons des années vingt à proximité du Tibre, un peu sous le niveau de la route juste avant le croisement  avec viale Angelico. Les voitures font sans le voir le tour de ce hameau tranquille d'un autre âge... Les chiens et les enfants traînent sans crainte de se faire faucher dans les petites rues, un bout de campagne y pointe encore son nez, un hectare vert et sauvage où l’œil devient plus clair et l'air se fait plus pur. Les gens d'ici ont un visage différent des autres Romains, les sourires s'épanouissent facilement et il est possible de faire un brin de causette comme dans ces villages où les heures cheminent d'un pas plus lent. On est à cinq minutes de la piazza del Popolo, mais probablement que, si j'habitais ici, je n'y irais pas souvent, je préférerais m'acheter une chaise longue pour me délecter de la clarté tranquille du jour, puis de l'incandescence du crépuscule. »
On s'y rend ?
Et pour un poursuivre le voyage dans le temps, pourquoi pas quelques pages des Promenades dans Rome de Stendhal ?
Présentation :
« La Rome vagabonde de Lodoli n'appartient à aucun guide touristique : c'est une ville d'îlots de beauté et de poésie qui émergent d'un dimanche pluvieux, ou d'un après-midi ensoleillé, mais que seul un œil clairvoyant est capable de saisir.
» On pourrait ajouter mille facettes à cet autre visage de Rome: le cordonnier sans âge de la via San Martino ai Monti, le fronton de San Giovanni dei Fiorentini que les gueules-de-loup pourpres et les câpriers chevelus transformaient en jardin au printemps, la trattoria de la via Attilio Zuccagni Orlandini où l'on mange les meilleurs gnocchis du monde...»